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Où ton bras fit trembler le Rhin, l'Escaut et l'Ebre,
Lorsqu'aux plaines de Lens nos bataillons poussés
Furent presque à tes yeux ouverts et renversés :
Ta valeur, arrêtant les troupes fugitives,
Rallia d'un regard leurs cohortes craintives,
Répandit dans leurs rangs ton esprit belliqueux,
Et força la victoire à te suivre avec eux.1

La colère à l'instant succédant à la crainte,
150 Ils rallument le feu de leur bougie éteinte :
Ils rentrent; l'oiseau sort; l'escadron raffermi
Rit du honteux départ d'un si foible ennemi.
Aussitôt dans le chœur la machine emportée
Est sur le banc du chantre à grand bruit remontée.
15 Ses ais demi-pourris, que l'âge a relâchés,

Sont à coups de maillet unis et rapprochés.
Sous les coups redoublés tous les bancs retentissent;
Les murs en sont émus; les voûtes en mugissent,

2

1. Le poëte Sarazin dit du prince de Condé dans cette bataille célèbre :

Condé lance cette foudre,
Qui, pour affermir son roi,
Fit trébucher sur la poudre

Les Espagnols à Rocroi :
Avec lui vont la victoire,
L'honneur, la valeur, la gloire :

La fère Bellone et Mars

Font passage à cet Alcide;
Et Pallas de son égide

Le couvre dans les hasards.

Et Bossuet, avec moins d'appareil mythologique, mais avec plus d'éloquence et de vérité, peint le héros à Rocroy: « Le voyez-vous comme il vole à la victoire ou à la mort? Aussitôt qu'il eut porté de rang en rang l'ardeur dont il étoit animé, on le vit presque en même temps pousser l'aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier la première à demi vaincue, mettre en fuite l'Espagnol victorieux, porter partout la terreur, et étonner de ses regards étincelants ceux qui échappoient à ses coups. » (Oraison funèbre du prince de Condé.)

2. Insonuere cavæ gemitumque dedere cavernæ.

(VIRGILE, Énéide, liv. III, v. 53.)

Et l'orgue même en pousse un long gémissement.1
160 Que fais-tu, chantre, hélas! dans ce triste moment?
Tu dors d'un profond somme, et ton cœur sans alarmes
Ne sait pas qu'on bâtit l'instrument de tes larmes!
Oh! que si quelque bruit, par un heureux réveil,
T'annonçoit du lutrin le funeste appareil!

165 Avant que de souffrir qu'on en posât la masse,
Tu viendrois en apôtre expirer dans ta place,
Et, martyr glorieux d'un point d'honneur nouveau, *

1. Les six vers précédents offrent chacun des beautés différentes d'harmonie imitative. « Le second exprime, dit Clément, par les r, le frottement de la machine sur le banc. Le second hémistiche du troisième montre, par une sorte de bâillement qu'occasionnent ces syllabes longues et uniformes l'age a relâchés, le relâchement lui-même de la machine. Cette harmonie fait un heureux contraste avec les deux vers suivants, qui sont pressés, surtout:

Sous les coups redoublés tous les bancs retentissent, etc.

Cette cadence est exactement le bruit du marteau. Mais quel nouveau contraste dans les deux vers qui suivent! les mots ont un son sourd, mais extrêmement prolongé, pour imiter celui des voûtes qui répètent longtemps le même son. Remarquez dans ce vers :

Les murs en sont émus, les voûtes en mugissent, etc.,

que son harmonie vient de la répétition de cette syllabe mu, qui est le cri même de l'animal qui mugit. Le vers d'ensuite est au-dessus de tout éloge; il n'est personne assez malheureusement organisé pour n'en pas sentir l'extrême beauté. » (SAINT-SURIN.)

« Quand on finit un sens, il le faut finir à la seconde rime, et non pas faire que, des deux rimes, l'une achève un sens et l'autre en commence un autre. » Telle est la règle posée par Malherbe, à laquelle Saint-Marc accuse Boileau d'avoir manqué dans ces deux vers. Amar justifie le poëte en disant que, s'il s'est permis souvent cette liberté plutôt que cette licence, il n'en a jamais peut-être usé avec plus de grâce que dans le vers qui donne lieu à cette note. Le son de l'orgue paraît se prolonger durant tout l'espace qui sépare ce vers de celui qui suit.

2. Dans les fragments de 1673 on lisait :

Et donnant aux martyrs un successeur nouveau,

Offre ton corps aux clons.....

Offrir ton corps aux clous, et ta tête au marteau.

Mais déjà sur ton banc la machine enclavée 70 Est, durant ton sommeil, à ta honte élevée : Le sacristain achève en deux coups de rabot;

Et le pupitre enfin tourne sur son pivot.1

1. Quelle admirable légèreté dans ce vers! La chose reste pour jamais sous les yeux. (Le Brun.)

CHANT IV.

Les cloches dans les airs, de leurs voix argentines,
Appeloient à grand bruit les chantres à matines,
Quand leur chef, agité d'un sommeil effrayant,
Encor tout en sueur, se réveille en criant.
5 Aux élans redoublés de sa voix douloureuse,

1

Tous ses valets tremblants quittent la plume oiseuse. 3 Le vigilant Girot court à lui le premier.

3

1. Un jour que Boileau lisait son poëme chez Segrais, Chapelle, qui avait soupé en leur compagnie, critiqua cette épithète d'argentines. Voici l'anecdote qu'on trouve dans les Mémoires de Segrais : « Chapelle, qui se prenoit aisément de vin, lui dit (à Despréaux): Je ne te passerai pas argentines; argentines n'est pas françois. Despréaux continuant de lire sans lui répondre, il reprit : Je te dis que je ne te passerai pas argentines, cela ne vaut rien. Despréaux repartit: Tais-toi, tu es ivre. Chapelle répliqua : Je ne suis pas si ivre de vin que tu es ivre de tes vers. » OEuvres de Segrais, 1755, t. II, p. 1.

2. Le chantre. (BOILEAU, 1713.)

3. Desmarets fait cette belle remarque sur la plume oiseuse : « Il eût été aussi bon de mettre la plume oysonneuse; car on la tire des oysons, et il a voulu marquer que ces valets couchoient sur la plume. -Saint-Marc doute qu'on puisse dire oiseux en parlant des choses dans un sens à peu près parallèle à celui d'oisif, employé quand on parle des personnes. Boileau avait pour lui l'usage qui autorisait l'emploi de ce mot dans les deux sens que Saint-Marc trouvait hasardés. — Roman de la Rose, 18901 : « Onc ne li plut oiseus séjors. » - «La lecture des livres qui apportent seulement une vaine et oiseuse délectation aux lisants est à bon droit réprouvée. » (AMYOT, Préf., I, p. 25.) — « Une vie oiseuse. » (Id., Pyrr., 42.) « Une vie incertaine, inégale, oiseuse dans son agitation. (MASS., Profess. relig.) - « Les professions oiseuses, futiles ou sujettes à la mode, telles, par exemple, que celle de perruquier. » (J.-J. ROUSSEAU, Emile, III.)

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4. Brossette prétend qu'il s'appelait Brunot et qu'il était désolé que Boi

C'est d'un maître si saint le plus digne officier;
La porte dans le chœur à sa garde est commise : 1
Valet souple au logis, fier huissier à l'église.

2

Quel chagrin, lui dit-il, trouble votre sommeil?
Quoi! voulez-vous au chœur prévenir le soleil?
Ah! dormez, et laissez à des chantres vulgaires
Le soin d'aller sitôt mériter leurs salaires. 3

Ami, lui dit le chantre encor pâle d'horreur,
N'insulte point, de grâce, à ma juste terreur;
Mêle plutôt ici tes soupirs à mes plaintes,
Et tremble en écoutant le sujet de mes craintes.
Pour la seconde fois un sommeil gracieux
20 Avoit sous ses pavots appesanti mes yeux,

Quand, l'esprit enivré d'une douce fumée,

J'ai cru remplir au chœur ma place accoutumée.
Là, triomphant aux yeux des chantres impuissants,

leau ne l'eût pas désigné par son nom. Il remplissait les fonctions de bedeau et d'huissier et gardait la porte du chœur. (M. CHÉRON.)

1. Commise, c'est-à-dire confiée. Cette expression latine (committere) était fort usitée.

Tu m'as commis ton sort, je t'en rendrai bon compte,

Un voleur se hasarde

(CORN., Hor., II, v.)

D'enlever le dépôt commis aux soins du garde.

(LA FONT., Matr. d'Eph.)

Je vous rends le dépôt que vous m'avez commis.

(RAC., Ath., II.)

« Il commet à Josué ce qui lui reste à faire. » (BOSSUET, Hist. univ., II, 3.) -« Enfin ils étaient prêts d'en venir aux mains et de commettre leur réputation au sort d'une bataille. » (VOLTAIRE, Louis XIV.)

2. S'il faut en croire Brossette, ce vers revenait à la mémoire du président de Lamoignon toutes les fois que ce magistrat voyait Brunot en fonction dans l'église de la Sainte-Chapelle. Mais on sait combien il faut se méfier de tout ce qu'affirme Brossette. (M. CHÉRON.)

3. Ce sont à peu près les mêmes paroles que Gilotin adresse au trésorier dans le premier chant. Il était impossible d'éviter ce retour des mêmes idées, mais le poëte en a su varier l'expression.

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