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Tout est fini. Ton fils n'est plus. Un peu de terre,
Où la fleur de l'oubli ne poussera jamais,
Couvre à présent le corps du petit militaire
Que chacun admirait autant que tu l'aimais.

Oh! qu'il demeure en toi! Que jamais il n'en sorte!
Et lorsque la vieillesse aura franchi ta porte,
Lorsque tes cheveux noirs seront devenus blancs,
Tu l'auras gardé jeune en ton âme aussi forte,
Et son joli sourire aura toujours vingt ans.

C'est en pensant à cette mort glorieuse, très certainement, que le poète a symbolisé les sublimes sacrifices des fils de France, dans ces quelques vers, qui résument bien le drame héroïque et sanglant qui s'achevait << Pour une tombe ». Il y en a des milliers comme celle-là, hélas !

Passant! découvre-toi : si la France est la France,
Si tu vis librement où ton père a vécu,
C'est grâce au sacrifice et grâce à la vaillance
Des chers soldats par qui le Germain fut vaincu.
Le héros de vingt ans couché sous cette pierre
Fut l'un des plus ardents à courir au danger;
Ivre de liberté, d'idéal, de lumière,

Il était de ceux-là, dont la patrie est fière,
Pour qui le pire affront est le joug étranger.

Il est assez malaisé d'analyser un ouvrage en vers sans en multiplier les citations. Mais, par ailleurs, c'est presque déflorer une ode ou un poème que de n'en reproduire que des fragments. Le choix est difficile et délicat. Tout se tient dans une strophe: la pensée et le style. On risque de tronquer l'une et l'autre en donnant, un peu au hasard du goût ou de la fantaisie, des parties restreintes. C'est dire que pour apprécier sainement et justement une œuvre poétique il faut la lire et la méditer en entier. Je m'en voudrais, cependant, dans cette étude de l'Épopée de Victor Billaud, d'avoir effeuillé à la légère quelques-unes des fleurs qui en font une gerbe si belle et si complète. J'ai cité, non pas, peut-être, les plus beaux passages, mais ceux qui m'ont le plus séduit.

En tournant les pages de ce livre émouvant, harmonieux, écrit au jour le jour, au cours d'événements tragiques, dans la tourmente desquels se jouait le sort du monde civilisé, j'ai souvent admiré, rarement trouvé place à la critique. Il y aurait mauvaise grâce à reprocher à un poète de talent, qui écrit sans prétention, avec la modestie qui lui a toujours été coutumière, qui n'a jamais pensé être un Sully-Prudhomme ou un Leconte de Lisle, quelque défaillance de forme ou quelques strophes plutôt de « métier » que

d'inspiration. Ce sont là des vétilles, dont les plus grands poètes ne sont pas exempts, et auxquelles il serait injuste de s'arrêter quand on se trouve en présence d'un auteur consciencieux, admirablement doué, qui a mis dans son œuvre le meilleur de son cœur.

Son cœur ! oh! oui, c'est avec le cœur qu'a été écrite L'Épopée. Ceux qui ont vu Victor Billaud aux prises avec l'angoisse, errant seul dans une imprimerie déserte, alors que son fils risquait à chaque minute sa vie dans les tranchées; que ses typos étaient aussi au front; que toute la prospérité de quarante années de labeur s'en allait à la dérive sous la poussée des événements, ne peuvent qu'admirer l'homme qui a eu la sérénité d'esprit suffisante, en de telles circonstances, pour composer une œuvre poétique inoubliable.

Pendant plus de quatre années, chaque soir, Victor Billaud, anxieux, se dirigeait vers l'Hôtel-de-Ville de son cher Royan pour prendre connaissance du communiqué. Il n'était pas souvent réconfortant, hélas! Le poète rentrait chez lui, après un regard contemplatif donné à la mer qui, insouciante des larmes et des souffrances, continuait méthodiquement son murmure berceur et éternel. Il pénétrait dans sa maison silencieuse et triste. Le bruit des machines à imprimer s'était tu. La demeure familiale avait, maintenant, l'aspect d'une retraite morne, d'une station poignante devant un calvaire d'angoisse. Et c'est là que le poète s'enveloppait dans ses pensées douloureuses. Il relisait les lettres émues et courageuses de son Pierre bien-aimé, il baisait les fleurs de Lorraine qu'il lui avait envoyées, entre deux attaques, fleurs à jamais bénies, à jamais sacrées, cueillies sur des tertres ensanglantés ou à l'ombre de vieux arbres amputés par les balles. C'est là, dans une chambre solitaire, sur une table couverte de papiers épars cartes géographiques, fragments de journaux, de lettres, photographies, que la Muse fidèle se penchait sur le poète et lui dictait ses vers.

En lisant et relisant l'Épopée je me reporte au temps du Livre des Baisers. Un rapprochement se fait dans ma pensée entre hier et aujourd'hui. Je compare le poète de l'Amour au poète de la Guerre, et j'avoue, en toute sincérité, que le second a atteint un lyrisme supérieur au premier. Victor Billaud ne sera peut-être pas de mon avis. On tient généralement à ses œuvres de jeunesse parce que ce sont les premières. Ce n'est pas une raison pour qu'elles soient les meilleures. L'auteur et le lecteur ne pensent pas toujours de la même façon, ce serait trop beau... pour l'auteur. Dans l'Épopée, Victor Billaud est resté le poète de l'Amour. Son dernier

livre est, en effet, un chant d'amour, mais d'un amour sublime, qui s'élève au-dessus des plaisirs de la jeunesse, des joies éphémères qui fleurissent dans les cœurs de vingt ans.

C'est l'amour de la patrie, l'amour de l'humanité blessée, l'amour du beau dans l'art, dans le courage, dans les grandes et belles actions de la vie, qui jaillit à chaque page du livre, comme un flot sonore et majestueux. Il s'y trouve un mélange heureux de douleur, de châtiment et d'espérance.

C'est pour tout cela que l'Épopée est un beau livre, qui fait honneur à l'auteur et à la Saintonge sa petite patrie.

PAUL DYVOrne.

II

SOUVENIRS DE GUERRE

1914-1919

Sous ce titre nous nous proposons de publier des lettres, des notes, des petits mémoires de Saintongeais ayant pris part à la guerre. On nous en a promis quelques uns, et peut-être nos confrères sauront-ils découvrir et obtenir d'autres manuscrits. Un peu d'histoire contemporaine ne messied. pas, dans notre revue. Les pages de la longue et terrible histoire que nous venons de vivre intéresseront les témoins éloignés du front et serviront aux générations futures de leçons — peut-être pour se garer du fléau et ne pas croire béatement que les voisins ne veulent pas la guerre parce qu'elles-mêmes ne désireront que vivre en paix. N. D. L. R.

A LILLE

(AOUT-OCTOBRE 1914)

A Lille, pendant les quelques jours qui précèdent la mobilisation générale, au milieu de ces nouvelles qui toutes sentent la poudre, la population, en général, garde son sang-froid. On peut seulement noter beaucoup d'animation, d'excitation même dans quelques milieux restreints. C'est ainsi que dans la matinée du 31 juillet, un certain nombre de personnes impatientes et nerveuses envahissent les boutiques des épiciers, charcutiers et autres marchands de produits alimentaires, et s'approvisionnent de toutes choses, comme à la veille d'un siège. Le mouvement se propage, par contagion ; très rapidement, certains produits menacent de manquer, et les prix montent.

C'est l'impression commune, dans tous les milieux, que le conflit entre l'Autriche et la Serbie n'est qu'un prélude, qu'il va s'étendre, et que la France y sera entraînée ainsi que ses alliés.

D'une manière générale, on envisage la situation sans effroi, avec une sorte de soulagement plutôt, tant est grand le malaise que la menace perpétuelle de l'Allemagne fait régner partout. C'est ainsi préparée, qu'à 'Lille, l'opinion publique accueillera la nouvelle de la mobilisation générale de nos armées.

Reçu par le maire dans l'après-midi du samedi, premier du mois, le décret qui l'ordonne est d'abord solennellement proclamé du haut du perron de la Grand'garde, devant la foule recueillie qui remplit la Place d'Armes. Après la lecture du document, toutes les têtes se découvrent au milieu du silence général.

Le sort en est donc jeté. La France va de nouveau croiser le fer. Seulement, cette fois, aucune manoeuvre n'est parvenue à mettre les torts de son côté, comme en 1870. L'Allemagne et ses complices endosseront seuls la responsabilité de la lutte et de ses conséquences effroyables.

Dans cette même journée du 1er août, l'administration des Téléphones a prévenu ses abonnés de la suppression du circuit reliant Lille à Paris. C'est la première de ces mesures par lesquelles la région de Lille va être peu à peu conduite à cet isolement complet qui sera l'une des plus vives souffrances de la population.

Dès le même jour, les trains partent plus chargés que d'habitude. Le lendemain, ce sont les étrangers, en particulier les nombreux Allemands que recèle la région, qui s'empressent de regagner leur pays. Mais c'est le 3, que se manifeste au chemin de fer la plus grande activité. Tous les trains sont surchargés, certains doivent être multipliés, quelques-uns sont octuplés.

L'enthousiasme transporte la masse de nos mobilisés, sans que l'ordre cesse d'y régner. La population, de son côté, manifeste son patriotisme avec vivacité, mais également sans désordre.

En quelques instants les couleurs nationales sont arborées partout, côte à côte avec celles de nos alliés. C'est à peine si dans toute cette journée du 3 août, si animée, quelques rares incidents sans gravité viennent trancher sur la tranquillité générale.

Mais des manifestations plus graves devaient se produire dans la journée du 5. Un avis de la municipalité, sur un ordre émanant du gouvernement, avait prescrit la destruction des plaques apposées un peu partout par la maison allemande Kub, lanceuse d'une espèce de bouillon en tablettes. On venait de découvrir que lesdites

plaques, sous la forme anodine d'enseignes commerciales, n'étaient autre chose que des indicateurs à l'usage éventuel des armées d'invasion allemandes. Toutes étaient pourvues d'un signe conventionnel, une flèche, dont l'inclinaison et l'emplacement combinés indiquaient la direction à suivre pour se rendre à la station du chemin de fer, à l'ouvrage ou à l'établissement militaire situé dans le voisinage.

A cette nouvelle, non seulement les plaques incriminées sont détruites, mais plusieurs maisons allemandes sont saccagées.

Visiblement, les esprits se montent; et beaucoup, défiants à l'excès, se montrent disposés à voir partout des espions.

La nouvelle de la pénétration en Belgique de l'armée allemande, dans la nuit du 3 au 4 août, fut connue à Lille dans la matinée du 5. Elle y produisit une impression considérable.

C'est à la même date que la population apprit que le général Percin venait de prendre le commandement de la 1 région militaire.

Dans l'affaire des « fiches », à côté du général André, le général a joué un rôle que tout le monde n'a pas jugé avec la même faveur. Cependant, l'on s'accorde généralement à voir une intention louable d'apaisement dans la note élogieuse que lui consacre la presse locale à l'occasion de sa prise de commandement. On se dit que le moment est grave, que la France a besoin de tous ses enfants, que l'union est indispensable, et que si, chez le général Percin, le politicien a cédé le pas au soldat, chacun a le devoir de passer l'éponge sur les erreurs du passé. Seulement, ce que le public ignore, c'est que les lignes laudatives placées sous ses yeux émanent du général Percin lui-même.

Bientôt l'on apprendra que l'armée franco-anglaise, portée en Belgique au secours de nos voisins, a pris le contact avec l'ennemi dans différentes rencontres. Le premier blessé amené à Lille, un capitaine du 33° de ligne, a été atteint à Dinant, au cours du sanglant combat qui s'y est livré à notre avantage.

De forts détachements français ont pénétré en Alsace. Ils se sont emparés d'Altkirch et poursuivent leur marche sur Mulhouse. Nous avons enregistré quelques autres succès.

Mais les Allemands assiègent Longwy. Ils avancent, toujours plus nombreux, en Belgique. Leur cavalerie vient d'occuper Bruxelles et ils continuent de traverser la Meuse en forces croissantes. Le jour approche où nous allons apprendre la retraite générale de nos armées et assister au rapide envahissement de la France.

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