Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

nouveau gouvernement à Saint-Luc, alors favori du roi, moyennant 60.000 livres, et le roi se chargea de cette récompense.

Quand vint le moment des préparatifs de l'expédition des Açores, Lanssac, remuant et prodigue, obtint de la reine mère une commission pour lever des troupes et liquida sa charge de gouverneur de Blaye. Cette dernière opération lui rapportait 10.000 écus (1), encore fournis par le roi pour gratifier de cette charge Jean-Paul d'Esparbès de Lussan. Lanssac fit d'énormes dépenses pour lever et équiper deux régiments de gentilhommes; mais, au moment de l'embarquement, il se brouilla avec Strozzi, le chef de l'expédition, qui lui refusait une enseigne de colonel, et il planta là l'expédition, retenant avec lui ses deux régiments. Il devient aussitôt un embarras et un sujet d'inquiétude, surtout à cause de ses deux régiments. Le roi écrivit, à plusieurs reprises, au maréchal de Matignon, de les faire licencier ou de les rompre avec toutes ses forces, « mesme permettre au peuple de leur courre sus au son du toquesain » (2).

Après cette déconvenue, Lanssac semble avoir perdu sa voie, il est mûr pour toutes les aventures, la Ligue lui tend les bras, Brouage lui offre une retraite, il va donner de l'exercice à ses cavaliers. Nous l'avons vu, à la fin de l'année 1583, mêlé à une entreprise qu'avait su rompre le gouverneur d'Angoumois et Saintonge; depuis, il ne reste pas étranger à ces assemblées et remuements que le roi s'efforçait de découvrir, à ces allées et venues mystérieuses qui ont Brouage pour aboutissant.

Au lendemain de la surprise de Bourg, c'est à Brouage, son quartier général, qu'on le retrouve, il y séjourne d'ailleurs avec sa femme. La famille de Lanssac avait de grands intérêts à Bordeaux et était unie aux principaux personnages de cette ville, non seulement par des relations sociales, mais encore par des alliances. Cette circonstance explique la forme amicale et quasi-paternelle de la lettre de semonce que le maréchal de Matignon écrivait, au mois d'avril, à Guy de Lanssac :

« Monsieur. Je vous envoye le sieur d'Abadie (3), présent porteur, pour vous

(1) Le 8 décembre 1581, Lanssac donne quittance au trésorier de l'Épargne, Pierre Mollan, de cette somme de 10.000 écus qu'il reçoit en deux mandements: l'un, de 4.000 écus, tiré sur François Ferreau, receveur général des finances à Bordeaux; l'autre, de 6.000 écus, assigné sur Arnauld de Broca, fermier général de la Comptablie de Bordeaux. Quittance originale signée «Guy de St Gelais >> et scellée. Bibl. Nat., Ms. franç. Pièces originales 2.751, Saint-Gelais, pièce 49. (2) Bibl. Nat., Ms. franç. 3291, fol. 122 et 130. Lettres de mai et du 26 mai 1582.

(3) Sans doute Jean-Pierre d'Abbadie, cinquième fils de Bertrand d'Abbadie,

faire entendre le bon advis et conseil que les sieurs qu'il vous dira et moy vous donnons pour vostre utilité et conservation de l'honneur de vostre maison, qui est de si long temps, que nous porterions tous un extresme regret et desplaisir si celluy qui a la sagesse, prudence et expériance pour la rellever, quand elle seroyt cheute, favorisoyt sa ruine. Vous reviendrez doncques, s'il vous plaist, à vous mesmes et prendrez pour vous le conseil que sauriez très bien donner à ceulx qui se pourroyent, sans y avoir bien pensé, estre engagés autrement qu'ils ne doyvent. Telles personnes que vous ne peuvent faillir d'estre emploiés, avec l'ordre qu'il faut, aux grandes charges, vostre valleur est assés cognue, je vous prie ne vouloir donner aucun empeschement à vostre bonne fortune et croire que vous avés beaucoup d'amys qui désirent.vostre bien, et moy, bien particulièrement, de vous faire service. A quoy vous me trouverés, toute ma vie, autant affectionné que, de bon coeur, je prie le Créateur, après avoir salué vos bonnes gràces de mes plus humbles recommandations, vous donner.

Monsieur, en parfaite [santé], très heureuse et longue vie. De Bourdeaux ce XXIII apvril 1585 (1). »

Dans sa réponse à cette lettre si digne et si mesurée, Lanssac élève le ton jusqu'à l'emphase; on pourrait même voir, dans les nombreuses lettres majuscules qui émaillent sa lettre, un indice graphologique (2) :

« Monsieur. Je vous Remertie bien humblement des considérations que vous me Représentés par vostre lettre que m'a Randue monsieur d'Abadie, présent porteur. Si j'estois Espaignol ou Huguenot je m'asseure que vous ne mectriés en peine de les m'escripre. Or, Monsieur, je vous diray que s'il fault que les princes et Seigneurs, qui sont les chefs de l'entreprinse faicte pour la Ruine de L'hérésie et conservation à nostre postérité de la foi Catholique, doibvent, pour ozer unne chose si Saincte, périr et Ruiner, que je serois très marry que moy et ma maison demeurassions en estre et ne feussions ensevelis avec telles Relicques. Par quoy, voulant, avec euxs, participer au bien et au mal qui en pourra réussir, je me résous d'attendre l'esvènement de l'unne ou l'autre fortunne et y apporter la constance qu'un homme de bien doibt avoir inséparable avecques luy. Nous croions que nostre Roy, à l'exemple de ses prédécesseurs qui ont, avec ce moien, acquis et conservé le Nom de très-chrestien, ne laissera à aucun de ses subiects, la gloire de triompher d'une si Religieuse victoire. Je ne m'estandray d'advantaige en ce discours et Remectray audict sieur d'Abadie le surplus d'une longue lettre, la Lecture de laquelle vous pourroit ennuier. Vous suppliant humblement de croire que je suis vostre serviteur de pareille affection que très humblement je vous baise les mains et prie Dieu vous donner,

seigneur de Baleix, Lignac, etc., avocat général du roi de Navarre, premier président à la Chambre des Comptes de Pau. Jean-Pierre d'Abbadie, né en Béarn, fut maitre des requêtes de l'hôtel du roi de Navarre ct cependant resta catholique. Devenu veuf, il entra dans les ordres en 1598 et fut évêque de Lescar, de 1599 à 1609.

(1)« Coppies de lettres escrites à Monsieur de Lanssac. » Bibl. Nat., Ms. franç. 15569, fol. 106. Cette copie donne la date du 23 avril, pour 13 avril, sans doute, car la réponse olographe de Lanssac est datée du 21 de ce même mois.

(2) Lettre olographe. Bibl. Nat., Ms. franç. 15568, fol. 123.

Monsieur, en parfaicte santé, très longue et très contente vie. De Brouaige, ce 21 apvril 1535.

Ma femme présente ses humbles Recommandations, et moy aussi, à Madame de Gourgues, vostre (1) cousine.

Vostre humble serviteur.

LANSSAC.

La «< confrairie » comptait encore une autre forte tête. Jean-Paul d'Esparbès de Lussan (2), seigneur de La Serre, de La Garde, etc., âgé à cette époque d'une cinquantaine d'années, était destiné à se rendre célèbre par son caractère intraitable; et son passé n'était pas exempt de cruautés (3). Il avait commencé à servir en Italie sous Monluc et il prit part au siège de Sienne en 1554. Resté rude soldat, après cet apprentissage, il fut distingué par le roi Charles IX qui lui donna plusieurs commissions de capitaine de compagnie. Henri III le retint gentilhomme ordinaire de sa chambre, en 1576, et le fit mestre de camp du régiment de Piémont en 1577.

Par lettres du 8 décembre 1581, le roi l'avait gratifié du commandement de la ville et du château de Blaye, sur la démission du sieur de Lanssac, et c'était bien une entière gratification puisque, comme nous avons dit, le roi s'était chargé de la récompense de cette charge. Une commission, datée du 17 décembre 1581, fut expédiée à Pierre Seguier, président au Parlement de Paris, étant en Guyenne, pour recevoir le serment de Lussan et celui-ci le prêta à Agen, le 5 février 1583, lorsque la Chambre de Justice siégeait dans cette ville (4).

Lussan ne tarda pas à mettre à profit l'avantage de sa position dans une région troublée. Tout d'abord nous le voyons associé aux entreprises des gens de Lanssac. Son serment d'hier n'est pas fait

(1) On peut lire nostre ou vostre, Lanssac lui-même a hésité, la première lettre du mot est surchargée.

(2) Septième fils de Bertrand d'Esparbès de Lussan et de Louise de Saint-Félix, mariés le 26 août 1523, il épousa, par contrat du 16 avril 1576, Catherine Bernarde de Montagu, dame de La Serre en Condomois, et mourut le 18 novembre 1616. Son fils, François d'Esparbès, qui fut maréchal de France, en 1620, épousa Hippolyte Bouchard, fille unique et héritière de David Bouchard, vicomte d'Aubeterre, dont il prit le titre et les armes.

(3) Il est exécré et maudit par delà la tombe dans une chanson qui courut en 1594. Archives historiques de la Gironde, t. XIII, p, 480.

Si gis Lussan, de tous ligueurs le pire,

Grand ennemy mortel

De Dieu, du Roy, et traistre à sa patric

Bien doit sa vie
Lussan.

(4) Bib. Nat., Pièces originales 1066, Esparbès, fol. 56 verso.

pour l'embarrasser, car il est toujours bien entendu que tout ce qui se fait au nom de la Ligue est pour le service du roi.

Le 10 avril 1585, quelques jours après la surprise de Bourg, le maire de Saintes, dans une réunion du corps de ville, donne lecture de deux lettres qu'il vient de recevoir et qui apprennent que « ceulx de Blaye et de Bourg ont prins les armes et sont allés jusques au chasteau de Montendre (1) et ont voulu entrer par échelles, ce que n'ont peu » (2). Leurs mesures ou leurs échelles étaient trop courtes.

Bien souvent ces entreprises, effectuées sans préparation et avec les seules forces de partisans, restaient stériles, mais elles coûtaient toujours quelque chose au malheureux paysan. Pour son compte, Lussan avait trouvé mieux. De son poste, sur la Gironde, il voyait aller et venir les navires marchands qui faisaient le commerce à Bordeaux, même un règlement obligeait ces mêmes navires à débarquer leur artillerie à Blaye avant de gagner Bordeaux. La tentation était irrésistible; il se mit à les rançonner, décorant ce prélèvement abusif d'un nom emprunté au vocabulaire de l'administration des finances le subside, subside destiné à entretenir sa garnison pour le service du roi.

Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'en cette manière d'impôt, Lussan paraît avoir été un précurseur; s'il n'inventa pas le terme de subside, il semble, dans l'application de cet impôt à la Gironde, avoir été imité par deux rois, le roi de France, et le roi de Navarre.

Lussan avait déjà commencé à prélever son fameux subside quand Henri III créa, en 1585 (3), le droit de convoi qui s'ajoutait à l'ancien droit de comptablie spécial à Bordeaux; et c'est aussi en 1585 que le roi de Navarre frappa les marchandises circulant sur la Gironde d'un impôt très lourd sous le nom de subside de Royan (4).

Puisque cette pratique avait tant de succès, il n'y avait aucune raison pour ne pas la poursuivre, et Lussan y trouva tant d'avantages que rien ne put l'en faire démordre: ni les défenses du roi, ni les propositions amiables du parlement de Bordeaux, pas même le

(1) C'était la maison d'un protestant de marque, François la Rochefoucault, baron de Montendre fils de Louis de La Rochefoucault et de Barbe du Bois, qui épousa, en 1565, Hélène Goulard et mourut le 12 janvier 1600.

(2) Eschassériaux, loc. cit., p. 373.

(3) Par lettres patentes du 2 juin 1585 enregistrées au parlement de Bordeaux le 8 août 1585. Archives historiques de la Gironde, t. XII, p. 86.

(4) Cf. Fr. Gebelin, Le gouvernement du maréchal de Matignon en Guyenne (15891594), Paris, 1912, in-8°, p. 116.

siège que le maréchal de Matignon mit devant Blaye en 1593. Bien mieux, quand, plus tard, Lussan eut vendu sa soumission à Henri IV, en 1594, les mêmes lettres patentes, du 20 juillet 1594, qui le confirmaient dans son gouvernement, l'autorisaient à lever un impôt sur les marchandises passant par eau devant Blaye (1).

Au printemps de l'année 1585, Lussan levait donc son subside et le prétexte qu'il invoquait nous est connu par un rapport adressé au roi. Un des capitaines des compagnies de gens d'armes de Gascogne, Charles de Monluc (2), avait été chargé par le roi de voir Lussan et de lui demander des explications sur sa conduite. Monluc rend compte au roi du résultat de sa mission par une lettre (3) que nous reproduisons intégralement :

<<< Sire Suyvant vos commandemens, j'ay esté parler au sieur de Lussan, gouverneur de Blaye, auquel j'ay faict entendre la créance qu'il vous avoict pleu me donner; et m'a dict pour responce qu'il n'a jamais eu autre intention, que d'estre vostre très humble fidelle subget et serviteur, toutesfoys qu'ayant ceste place en charge où il estoit engagé et son honneur, aussy pour vostre service, il s'y est trouvé sy nécessiteux et hors de moyen de la conserver qu'il a esté contrainct d'entreprendre ce qu'il a faict et de fere payer le succide qu'il prend au vaysseaux quy passent au havre de la dicte ville pour y entretenir les soldatz et morte payes. Bien que ça esté après avoir souvant donné advis à Vostre Majesté et à Monsieur le mareschal de Matignon de l'importance d'icelle et de la nécessité en quoy il estoit; et, n'y ayant esté pourveu, cella l'auroict forcé de s'en dispencer; mais que s'il plaict à Vostre Majesté luy fere cest honneur de remédier à ses necessitez il cessera tout soudain ce qu'il en a commencé. Qu'est tout ce qu'il m'a respondu. Au reste, Sire, je ne fauldray d'assembler le plus de mes amys que je pourray, tant de ma compagnie que d'autres volontaires et me tenir prest, attendant voz commandemens, ores que je ne pourray mectre beaucoup de gens aux champs qu'avec grand'incomodité, attendeu le long temps qu'il y a que ma dicte compagnie n'a faict monstre, nonobstant qu'elle a esté, durant les guerres passées, tousjours des premières en pied, en ce pays pour vostre service. Sy est-ce que je feray tout ce que je pourray et supplieray très humblement Vostre Majesté de s'en resouvenir affin que les gens d'armes d'icelle ayent plus de moyen, avecques moy, de vous rendre le très humble et fidelle service que

(1) Gebelin, loc. cit., p. 168. M. Gebelin fait commencer le subside de Lussan au mois de septembre 1589 seulement (p. 124).

(1) Charles de Monluc, seigneur de Caupenne, petit-fils du célèbre Blaise de Monluc et fils de Pierre Bertrand de Monluc, dit le capitaine Peirrot, tué en 1568 au cours de l'expédition de Madère, et de Marguerite de Caupenne, mariés en 1563, épousa, le 19 août 1589, Marguerite de Balaguier. Après la mort de Henri III il embrassa le parti de la Ligue à Agen. Sur la fin de la Ligue il se laissa gagner par l'office de Senéchal d'Agenois et Condomois vacant par la mort de Saint-Chamarand, et qu'il reçut par lettres datées de Chartres, 5 mars 1594. Il fut ensuite gouverneur des mêmes pays et mourut à Ardres, en 1596. (3) Lettre originale, Bibl. Nat., Ms. franç. 15569, fol. 65.

« PreviousContinue »