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OTHELLO,

OU

LE MORE DE VENISE.

HISTORIQUE ET CRITIQUE

SUR

OTHELLO.

Tous les ouvrages de Shakspeare portent le cachet de son génie; diversité de caractères, imagination brillante, discernement fin, expression nerveuse, tout s'y trouve réuni. Mais, dans aucun de ses drames, ces qualités ne se font plus remarquer que dans Othello; nul n'est plus exempt d'irrégularités et de jeux de mots. Il n'a jamais peint la vertu avec plus de sublimité que dans le principal personnage, ni avec une douceur plus aimable que dans Desdemona. Enfin, nulle part il n'a plus complètement développé tous les artifices du cœur humain que dans le rôle d'Iago. De ces trois caractères il a formé l'intrigue la plus morale qui puisse exciter notre sympathie pour la vertu et notre indignation contre le crime.

Les productions d'un génie profond sont rarement comprises, à la première vue. Shakspeare commence souvent ses drames les plus tragiques par des conversations entre des gens du peuple; ces commencements paraissent d'abord n'avoir aucune liaison avec l'intrigue principale. Quelquefois, au milieu de la pièce, il introduit des subalternes qui raisonnent entre eux et jugent les principaux acteurs et les grands desseins qu'ils forment. Ces opinions produisent un excellent effet; elles donnent de la vie à la scène et servent souvent à éclaircir le sujet, en le plaçant sous différents points de vue. La vaste capacité qui embrasse à la fois, dans un seul sujet, sa naissance, ses progrès et les circonstances qui s'y rattachent, peut,

à l'aide de conceptions vives et promptes, s'aider de plusieurs idées auxiliaires, saisir plusieurs desseins éloignés, sans s'écarter du but du drame. Pour y réussir, le poète doit réunir les qualités du génie les plus élevées et les plus parfaites: l'enthousiasme de l'imagination, le calme, et l'observation minutieuse du jugement. Les écrivains d'une capacité plus bornée, au contraire, dans leur impuissance de construire un édifice sur un plan aussi large, ne peuvent plus se reconnaître au milieu des matériaux que la nature a répandus autour d'eux. Un seul sentiment domine dans leurs œuvres; le personnage, propre ou non au succès de l'intrigue, s'exprime avec toute la chaleur dont il est pénétrẻ; mais il arrive souvent que tout l'ensemble n'est qu'un amas de mots éblouissants d'admiration, de surprise et de terreur. Le sujet d'Othello, traité de cette manière, nous offrirait, dans un monologue introducteur, la nature de la jalousie expliquée dans toute la pompe du langage, avec tous ses effets cruels un des personnages de la pièce, ou une confidente, qui nous initierait aux secrets de ses maîtres; et le même sujet servirait de thème continuel jusqu'à la conclusion fatale déjà prévue long-temps d'avance. Au lieu du plaisir tumultueux produit par le double ressort de l'espérance et de la crainte, on n'aurait que des descriptions poétiques et d'infructueuses et pénibles tentatives pour exciter des sentiments pathétiques et sublimes; enfin, un poème déclamé, offrant un ou deux caractères vaguement peints; une femme douce et aimable, victime d'un oppresseur fier et vindicatif. Ces diverses qualités pourraient être exprimées avec beaucoup de vigueur, mais les personnages n'offrant qu'un dessin incomplet, ne seraient pas complètement esquissés.

Nous ne nous étendrons pas davantage sur ce sujet que M. Guizot a traité, dans sa Vie de Shakspeare, avec cette supériorité de talent qui lui est propre, et auquel M. Villemain est sur le point de donner de grands développements dans son Nouvel et admirable Essai sur Shakspeare et ses contemporains.

Les incidents de cette tragédie sont empruntés d'une nouvelle de Giraldi Cinthio qui en a fourni à notre auteur une esquisse régulière et détaillée. Dunlop a fait observer que les personnages d'Iago, Desdemona et Cassio sont entièrement tirés de Cinthio. Mais quelle beauté, quel pathétique, quelle supériorité dans le caractère de la Desdemona de Shakspeare

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