Page images
PDF
EPUB

dans sa paraphrase de Juvénal, dit que pupilli prostantis doit s'entendre d'un pupille exposé dans la place publique, pour y être vendu comme un esclave; mais il s'est trompé: le vers 164 de la satire 2, et le 306° de la satire 10, expliquent ces deux mots.

18. Quand je vois cet autre vainement condamné, v. 47. Ce Marius, différent de celui qui défit les Cimbres et les Teutons, ayant été proconsul d'Afrique, fut accusé de concussion, la troisième année du règne de Trajan. Le sénat le condamna, l'exila: mais la province ne fut point indemnisée; la moitié des dépouilles qui lui avaient été ravies fut portée au fisc, le coupable retint l'autre, et mena une vie plus commode encore et plus licencieuse que dans son gouvernement. C'est à quoi il faut avoir égard pour entendre le sens de ces mots : « Et jouit de la colère des dieux. » — - Provincia victrix, signifie que la province, après avoir gagné son procès, n'en était pas moins obérée.

19. Commence à boire dès la huitième heure, v. 49. Les heures qui partagent le jour en vingt-quatre parties égales furent longtemps inconnues aux Romains. Ils ne réglaient leur jour que par le lever et le coucher du soleil. Ils divisaient les douze heures du jour en quatre parties: prime ou la première, qui commençait à six heures du matin; tierce ou la troisième, à neuf; sexte ou la sixième, à douze ou midi; et none ou la neuvième, à trois heures après midi. Ils divisaient aussi les heures de la nuit en quatre veilles, dont chacune contenait trois heures. Ils parvinrent ensuite, à l'aide d'une horloge hydraulique, à distinguer à peu près les douze heures du jour et celles de la nuit. La première heure du jour commençait à nos six heures du matin; ainsi des autres. Le temps du souper, leur principal repas, était ordinairement entre la neuvième et la dixième heure du jour, suivant leur manière de compter, et selon la nôtre, entre trois et quatre heures après midi; de sorte qu'il leur restait assez de temps pour la digestion, les amusemens, les soins domestiques, et même quelquefois pour un régal extraordinaire qu'ils appelaient comessatio. Il était indécent et de mauvais exemple de prévenir l'heure fixée pour le

souper.

20. Et jouit de la colère des dieux, v. 49. Dusaulx a traduit, et jouit de ses rapines en dépit de la colère des dieux. Juvénal dit

beaucoup plus : non seulement Marius jouit de ses rapines, malgré les dieux irrités, mais il doit même à sa condamnation et à son exil de pouvoir se livrer à sa vie licencieuse, sans en être distrait par les soins d'un gouvernement. C'est dans ce sens que Sénèque a fait dire à Junon ( Herc. fur., v. 33), superat, et crescit malis, ira que nostra fruitur; in laudes suas mea vertit odia. Boileau et Voltaire ont imité l'expression de Juvénal, mais en l'affaiblissant: l'un a dit dans sa première satire, v. 72:

Mais en vain pour un temps une taxe l'exile:
On le verra bientôt, pompeux en cette ville,
Marcher encor chargé des dépouilles d'autrui,
Et jouir du ciel même, irrité contre lui.

[blocks in formation]

Il règne; il affermit le trône qu'il profane ;

Il y jouit en paix du ciel qui le condamne. . . . J. P.

21. Lorsqu'un infáme, feignant de compter les solives, v. 56. Mécène rendait souvent visite à la femme d'une certain Sulpicius Galba, qui, pour faciliter ce commence galant, feignait de s'endormir en sortant de table. Un esclave voulant profiter de cette occasion pour goûter du vin de Falerne, Galba lui cria: Heu! puer, non omnibus dormio : « Holà ! enfant, je ne dors pas pour tout le monde. » Cicéron (epist. xxiv, l. 7 ) attribue ce bon mot à un certain Capius, antérieur à Galba : mais celui-ci peut fort bien l'avoir répété dans la même circonstance.

22. La place qu'elle ne peut elle-même accepter, v. 56. Avant l'an de Rome 578, les femmes héritaient comme les hommes; mais la loi Voconia y mit des restrictions. Plus de deux siècles après, Domitien priva de la litière et des successions celles qui se prostituaient : Probrosis feminis lecticæ usum ademit: jusque capiendi legata hereditatesque. Suet., Vita Domit., cap. VIII.

23. Dans lequel Néron caressait sa bizarre maîtresse, v. 64. Sa bizarre maîtresse désigne Sporus, que Néron épousa publiquement, et sur le corps duquel il exerça des cruautés non moins affreuses qu'extravagantes : il voulait changer son sexe.

24. Voulez-vous parvenir? osez quelque forfait digne de Gyare et des cachots, v. 73. Gyare ou Gyaros, petite île de l'Archipel, dont presque tous les anciens font mention. Pline lui donne douze mille pas de circuit, et la place à soixante-deux mille pas d'Andros; elle est couverte de rochers, et par conséquent stérile. Rome y envoyait ses plus fameux criminels. On la nomme à présent Joura; elle est toujours aussi déserte qu'autrefois.

Au lieu de voulez-vous parvenir? j'aurais pu mettre, voulezvous étre quelqu'un ? mais on n'aurait pas approuvé cette expression proverbiale, qui cependant appartient à notre langue. Elle a vieilli, et il suffit de l'avoir indiquée.

25. C'est le crime qui donne..... ces palais, etc., v. 95. Nous ne pouvons, dans notre langue, rendre le mot prætoria que par équivalent. Les Romains appelaient prætorium la partie du prædium rusticum occupée par le maître, c'était ce que nous nommons le château le reste, c'est-à-dire rustica ædificia, répondait à nos fermes, à nos basses-cours. Palladius, en parlant du prætorium, dont il assigne les dimensions et les propriétés, dit qu'il était plus facile de le construire que de l'entretenir, à cause du luxe qui régnait jusque dans les campagnes. De re rustica, 1, 8.

26. Ces coupes, dont un chevreau en relief décore le contour, v. 76. Juvénal met autour de la coupe qu'il décrit, le relief d'un chevreau ou d'un bouc fortement prononcé, stantem extra pocula caprum. Il y met ce bouc à l'imitation des anciens artistes, qui représentaient sur les coupes destinées aux festins tout ce qui avait rapport aux vendanges et au culte de Bacchus, auquel on sacrifiait ordinairement cet animal. Voyez Virgile et ses interprètes, Georg., lib. 11, v. 376.

27. Des épouses infâmes, etc., v. 78. Il n'est pas douteux que pár sponsæ turpes, Juvénal n'ait voulu désigner ces alliances monstrueuses, et ce crime contre nature, dont il parlera plus ouvertement dans la satire 2, v. 134.

sa première satire, v. 137 :

Boileau a imité cet endroit dans

Et quel homme si froid ne serait plein de bile

A l'aspect odieux des mœurs de cette ville?

Qui pourrait les souffrir? et qui, pour les blâmer,
Malgré muse et Phébus, n'apprendrait à rimer?
Non, non, sur ce sujet pour écrire avec grâce,
Il ne faut point monter au sommet du Parnasse ;

Et, sans aller rêver dans le double vallon,

La colère suffit et vaut un Apollon.

Le dernier vers du passage de Juvénal, qualemcumque potest, etc., a encore été imité par le poète français, sat. 9, v. 45:

Mais pour Cotin et moi, qui rimons au hasard..... J. P.

28. La manie des jeux du hasard, plus effrénée, v. 88. Les lois portées contre les jeux de hasard furent assez bien observées jusqu'à la fin de la république; mais bientôt cette fureur ne connut plus de bornes. On trouve dans Suétone cette épigramme, qui se rapporte au temps où Auguste faisait la guerre en Sicile contre Pompée.

Postquam bis classe victus naves perdidit,
Aliquando ut vincat, ludit assidue aleam.

<< Battu deux fois sur mer, que fait Octave? Pour vaincre à son << tour, il ne cesse de jouer.

[ocr errors]

Néron hasardait jusqu'à quatre cent mille sesterces sur un coup de dé. Claude jouait même en voiture. Les Romains avaient trois sortes de jeux de hasard: celui des osselets, ludus talorum; celui des dés, ludus tesserarum ; et le jeu appelé duodena scripta, qui était une espèce de trictrac.

J'ai traité cet article dans un ouvrage intitulé: De la passion du Jeu, depuis les temps anciens jusqu'à nos jours. A Paris, chez Moutard, 1779

que

29. Dès les instrumens du jeu sont distribués, etc., v. 91. Juvénal appelle armiger l'esclave qui fournissait les dés, par allusion aux écuyers, qui, dans les combats, donnaient de nouvelles flèches à leurs maîtres.

30. Perdre cent mille sesterces, v. 92. L'adjectif masculin sestertius (sous-entendez nummus) était une petite monnoie courante d'argent. Le même adjectif au neutre, sestertium (suppléez pondus)

et de là le pluriel sestertia, signifie le poids de mille sestertii nummi, et par conséquent une somme de mille fois un sestertius.

Selon l'opinion de Gassendi, l'as romain valait neuf deniers de notre monnoie (l'once d'argent étant estimée de son temps sur le pied de soixante-dix sous); le denier romain valait dix as, c'està-dire huit sous de notre monnoie; et le sestertius valait, suivant ce calcul, deux sous; le sestertium valait environ cent et une livre dix-sept sous. Aujourd'hni (1769) que l'once d'argent est estimée sur le pied de six livres, et le marc sur le pied de cinquante livres, le sestertius vaudrait un peu moins de quatre sous, et les mille, environ cent quatre-vingt-sept livres. Il est aisé de faire cette évaluation en tout temps, d'après la valeur fixée de l'once d'argent. Ainsi les centum sestertia de Juvénal répondraient à présent à 18700 de nos livres. Au reste, la fureur du jeu, loin de s'être amortie, offre de nos jours bien d'autres excès.

31. Leurs soupers clandestins étaient-ils à sept services ? v. 94. Voici de quelle manière se faisait le service de la table chez les Romains. Après la distribution des coupes, on servait les viandes, non pas toujours chaque plat séparément, comme le marque ce vers d'Horace :

Adfertur squillas inter muræna natantes
In patina porrecta.

et cet autre :

Tum pectore adusto,

Vidimus et merulas poni, et sine clune palumbes.

mais souvent plusieurs plats étaient servis ensemble sur une table portative, comme le marque ce vers de Virgile :

Postquam exempta fames epulis, mensæque remotæ.

Servius assure qu'on apportait les tables toutes garnies: Athénée est conforme à Servius. Tel était le premier service. Ensuite les services se multiplièrent; et quoiqu'on retînt toujours les mêmes expressions de premier et de second service, primæ et secundæ mensæ, pour tout le souper, ces deux services se subdivisaient en plusieurs autres. Le premier contenait les entrées qui

« PreviousContinue »