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EXPLICATION

d'une Inscription Grecque en Vers, découverte dans l'Ile de Phile par M. Hamilton.

(Extraite de la suite des Recherches pour servir à l'histoire de l'Egypte pendant la domination des Grecs et des Romains; par M. LETRONNE, de l'Institut.)

Les inscriptions métriques qui ont été trouvées en Egypte ne présentent pas en général beaucoup d'intérêt. Ce sont le plus souvent des lieux communs sur le respect de l'auteur envers la divinité d'un temple. Il y a cependant quelques exceptions à faire à cet égard; et je ne crains pas de placer dans le nombre l'inscription suivante, qui peutêtre mise au rang des plus intéressantes qu'on ait découvertes en Egypte.

Cette inscription a été publiée par M. Hamilton. La copie de ce voyageur offre plusieurs lacunes: j'avais déjà réussi à les remplir excepté une seule, celle du 4°. vers, et à corriger les autres altérations de la copie, lorsque M. Gau me communiqua celle qu'il avait prise plus tard sur les lieux. Cette nouvelle copie, sans être plus correcte que celle de M. Hamilton, a l'avantage de donner les principaux linéamens des lettres qui composent le 4. vers, et, en outre, de faire connaître la date de l'inscription. Cette date est exprimée dans six lignes de prose, à la suite des vers; mais M. Hamilton les avait placées d'une manière tout-à-fait indépendante de ces vers; en sorte qu'il était difficile de deviner qu'elles en dépendaient. On possède donc maintenant tous les élémens d'une restitution complète. Je place ici la copie de M. Hamilton, et en renvoi quatre variantes de celle de M. Gau qui motivent les leçons que j'ai adoptées.

KAICAPIПIONTOMEAONTIKAIAПEIPONKPATEONTI

ΙΑΝΙΤΙΕΚΙΑΝΟ ΠΑΤΡΟ ΕΛΕΥΘΕΡΙΟΙ

ДЕСПОТАІЕТР ПАСТЕКАІАСІДОСАСТР ІАПАСАС

1 Egyptiaca, p. 52. J'en ai cité les quatre premiers vers dans le Journal des Savans de Juin 1821, p. 305, et les deux derniers dans celui de Mai 1824.

2 Réduit, avec la seule copie de M. Hamilton, à deviner la date, d'après les circonstances que présentaient les vers, je l'avais rapportée au règne d'Adrien, d'après le titre d'Astre de toute la Grèce qu'on y donne à l'empereur.

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ΕΥΡΡΟΜΟΝ ΝΠΟΛΙΟΣ,

ΚΑΙ ΜΕΓΑΝ ΜΕΓΑ . . ΤΟΥΡΑΝΝΙΟΝ ΑΝΔΡΑΔΙΚΑΙΟΝ ΑΙΓΥΠΤ ΠΑCACΦΕΡΤΑΤΟΝΝΓΕΜΟΝΑ

ΣΤΑΛΛΑΙΕNECTAA CENINEΙΣΤΟΔΕΝΑΣ ΕΛΛΟΝ 3

ΠΑΓΟΜΟΛΝΥΜΝΗΙΑΤΟΝΧΘΟΝΟCCABOTOTΑΝ
ΤΑΙΔΕΦΥΛΑΙΦΝΕΥΝΤΙΚΑ . . ΝΠΕΡΑCΑΙΓΥΠΤΟΙΟ
ΟΜΜΙΚΑΙΑΙΘΙΟΠ ΝΕΑ OPION ΕΛΠΑ

ΚΑΤΙΛΙΟΥΤΟΥΚΑΙ

NIKANOPOC
ΤΟΥΝΙΚΑΝΟ

K.. KAICAPOC

ΦΑΜΕΝ . . ΟΙΒ

ΕΠΙΝΕΙΛΟΥCΤΡΑΤΗΓΟΥ

Avant d'examiner les vers, voyons quel est le nom de l'auteur et en quel temps il vivait. C'est ce qu'on trouve dans les six lignes de la fin : Κατιλίου τοῦ καὶ Νικάνορος του Νικάνορος. ΙΚ. Καίσαρος, φαμενώθ Ι Β, ἐπὶ Νείλου στρατηγού. σε Ces vers sont de Catilius, dit Nicanor, fils de Nicanor, l'an xx de César, le 12 de Phamnénoth, Nilus étant Stratège.” Au lieu de Catilius, on pourrait être tenté de lire C. Atilius; mais dans une autre pièce de vers du même auteur, malheureusement trop mutilée, on lit. χθὼν ἀμβολὰς Κατίλιος, qui sont les 2 dernières syzigies d'un trimètre iambique; ainsi le nom Catilius est certain. Le signe numérique de l'année est douteux; mais en comparant les deux copies, on ne peut hésiter qu'entre IE et K (15 ou 20). La date est donc celle du 12 Phaménoth de l'an xv ou xx d'Auguste, qui répond au 8 Mars de l'an 15 ou 10, avant notre ère, d'après le calendrier fixe qui était établi à Alexandrie depuis l'an 25.

L'auteur de l'inscription est donc un Grec d'origine, nommé Catilius, qui avait joint à ce nom celui de son père Nicanor. Le nom de Nicanor a été si commun chez les Grecs, qu'il est peut-être téméraire de prétendre savoir de quel personnage il est ici question. Toutefois, en ayant égard à la concordance de l'époque, je conjecture que Catilius était fils de Nicanor, fils d'Arius, philosophe d'Alexandrie, dont Auguste reçut des legons

1 COC@THPT EXCANCTCAC.

* ΕΔΕΟΔΟΝ.

2 ΤΟΥΡΡΑΝΙΟΝ.

4 ΝΕΑΤΑΣ.

dans sa jeunesse,' et pour lequel il avait une estime et une amitié attestées par Plutarque. Ce philosophe, dit Suétone, eut deux fils, Dionysius et Nicanor, qui vécurent, comme leur père, dans l'intimité d'Auguste, et qui contribuèrent aussi à le former par leurs leçons.3 L'hommage du fils de Nicanor à Auguste serait un acte de reconnaissance pour l'attachement de ce prince à toute la famille de l'auteur. Il est presque inutile de montrer que les époques conviennent fort bien à cette hypothèse. En supposant qu'Auguste eût de 15 à 18 ans lorsqu'il reçut les leçons d'Arius et de ses fils, et que Nicanor, l'un d'eux, eût alors seulement 25 ans, en l'an 15 ou 10 avant notre ère, il pouvait avoir un fils de 25 à 30 ans. Le dialecte Do

rique, employé dans l'inscription, n'est pas non plus une difficulté. On sait que les poëtes Alexandrins ont souvent affecté de se servir de ce dialecte: il nous suffit de renvoyer aux épigrammes d'Antipater de Sidon, de Méléagre, etc.

Après ces observations sur l'auteur et la date de ce monument, je viens à l'inscription elle-même. Elle se compose de 12 vers élégiaques, dont voici le texte restitué et la traduction. Καίσαρι ποντομέδοντι καὶ ἀπείρων κρατέοντι, Ζανὶ, τῷ ἐκ Ζανὸς πατρὸς, ̓Ελευθερίῳ, Δεσπότα Εὐρώπας τε καὶ ̓Ασίδος, ἄστρῳ ἁπάσας ̔Ελλάδος, ὃς σωτὴρ Ζεὺς ἀνέτειλε μέγας,

[Ισιδος ἐν νάσῳ Κ]ατίλιος ἁγνὸν ἔθηκε

Γράμμ', ἀπ' [ ̓Αλεξάνδρου δ]εῦρο μολών πόλιος,
Καὶ μέγαν [ἐκ] μεγά[λων] Τουῤῥάνιον, ἄνδρα δίκαιον,
Αἰγύπτω πάσας φέρτατον ἡγεμόνα,

Στάλᾳ ἐνεστάλωσεν, ἵν ̓ εἰς τόδε νάσω ἔδεθλον

Πᾶς ὁ μολῶν ὑμνῇ τὸν χθονὸς ὀλβοδόταν
Ταδε Φίλαι φωνεῦντι· Κ[αλὸ]ν πέρας Αἰγύπτοιο

Εμμὶ, καὶ Αἰθιόπων γᾶς ὅριον νεάτας.

"A César, qui règne sur les mers et sur les continens, Jupiter libérateur, fils de Jupiter, maître de l'Europe et de l'Asie, astre de toute la Grèce, qui s'est levé avec l'éclat du grand Jupiter sauveur, Catilius, venu ici de la ville d'Alexandre, a consacré dans l'île d'Isis une inscription religieuse; et [en même temps] il a élevé une stèle en l'honneur du grand Turranius, né d'une grande famille, homme juste, excellent gouverneur de toute l'Egypte; afin que quiconque portera ses pas dans ce sanctuaire de l'île bénisse le bienfaiteur du pays, au lieu même où Philæ

1 Dio Cass. li. 16; ibiq. Reimar.

2 Plutarch. in Anton. § 81.

3 Sueton. in August. § 89.

s'écrie: 'Je suis la belle extrémité de l'Egypte et la limite de la terre reculée des Ethiopiens.'

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J'ai tâché de conserver dans cette traduction la tournure qu'a prise Catilius; car on a sans doute remarqué que ses douze vers forment une seule période qui se développe avec autant d'élégance que de correction; et, sous le rapport de la facture, je ne sais si l'anthologie renferme beaucoup de pièces qui soient supérieures à cette inscription.

Les quatre premiers vers contiennent l'énumération des titres d'Auguste; ils donnent lieu à des remarques de plus d'un genre. V. 1. Le mot Tоvтоμédwv est une épithète propre à Neptune, qu'emploient Euripide et Pindare; et le vers entier est l'expression du titre (deσTóτns yñs nai laλáoons) que Septime-Sévère et Caracalla4 portent dans plusieurs inscriptions. Julien l'Apostat reçut celui de Dominus orbis terrarum.s

V. 2. Jupiter libérateur, fils de Jupiter. Auguste porte le même titre dans l'inscription du Propylon de Dendéra. Ce Jupiter, dont Auguste est le fils, ne peutêtre que Jules César; d'où résulte l'explication d'un passage de Dion Cassius, que les critiques ont voulu corriger. Cet historien rapporte qu'on éleva à Jules César un temple, et qu'on lui donna le titre de Jupiter Julius (Δία τε αὐτὸν Ιούλιον προσηγόρευσαν). Paulmier de Grentemesnil propose de changer 4ía en 4ĩov (divum); et Reimar est tout près d'adopter la correction, attendu qu'aucun monument n'atteste que Jules César fut appelé Jupiter. L'inscription de Philæ lève tous les doutes à cet égard.

V. 3. Maître de l'Europe et de l'Asie. Il est remarquable que Catilius ne nomme que deux parties du monde, et cependant on peutêtre sûr qu'il n'a pas voulu exclure la Libye de la domination d'Auguste; notre poëte s'est donc ici conformé à l'ancienne opinion qui considérait la terre comme divisée en deux parties, l'Asie et l'Europe, laquelle comprenait la Libye jusqu'à Î'Egypte exclusivement. Agathemère et l'auteur anonyme du Commentaire sur le Tetrabiblos de Ptolémée? attribuent en

1 Hippolyt. v. 744.

8

2 VI. Olymp. v. 176.

3 Villoison, dans les Mém. Acad. Inscr. xlvii. 318.

4 Marmor. Oxoniens. clxxii.-Peyssonn. Voyage à Thyatyra, p. 280.— Leake's Asia Minor, p. 246.

5 Gruter, ccxii. 1.

6 Voyez mes Recherches pour servir à l'Histoire de l'Egypte, p. 162.

.7 Dio Cass, xliv. 6.

8 II. 2. fin. cf. Berkel. ad. Steph. Byz. p. 383.-Uckert, Geograph. der Griechen und Roemer. T. i. P. 2. p. 280.

9 P. 58. Ed. Bas. 1558.

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effet cette division aux anciens géographes. Elle a été suivié par Isocrate dans le Panégyrique, et par Sophocle dans un passage des Trachiniennes, ("O soleil!.... apprenez-nous en quel lieu habite le fils d'Alcmène: parcourt-il les mers, ou se repose-t-il sur quelque point de l'un des deux continens? 80vais áreípois xxides,") par Varron,3 et enfin par Salluste, qui, dans la vie de Jugurtha,+ s'exprime ainsi : Pauci tantummodo Asiam et Europam esse [voluerunt]; sed Africam in Europa. Selon Varron, cette division fut admise par Eratosthène; mais on voit par la critique détaillée, que Strabon a donnée du système de ce géographe, qu'il admettait la division en trois parties; s'il a parlé de l'autre division, ce n'a dû être que pour l'exposer comme une opinion de quelques personnes; et Varron, qui n'avait pas autant de critique que de savoir, se sera trompé en la lui attribuant. Elle tient évidemment à la géographie Homérique: il n'est donc pas surprenant qu'elle ait été suivie par les poëtes de l'école Alexandrine. Aussi la retrouvons-nous dans Callimaque et dans notre inscription. Lucain, qui écrivait un peu avant le temps de Catilius Nicanor, Tibulle qui a écrit dans le même temps, et Silius Italicus,9 qui a rédigé son poëme un siècle après, ont également adopté cette division en deux continens, en quelque sorte consacrée dans le langage poétique de l'époque. Enfin il en existe des vestiges jusque dans Paul Orose,10 Ethicus, et J. Laurentius Lydus." C'est une preuve de l'influence que la géographie poétique a exercée sur les opinions des Grecs; j'en ai rapporté tout récemment un exemple à propos de la dénomination d'Inde appliquée à l'Ethiopie1 J'en cite et discute un grand nombre d'autres dans mon Mémoire (inédit) sur le Système Géographique de Cosmas, considéré par Rapport à la Géographie Poétique des Grecs et aux Systèmes des Alexandrins.

Astre de toute la Grèce. Cette expression d'astre, appliquée à un homme distingué par son rang, ses talens ou ses vertus, se trouve communément chez les poëtes Grecs.13 On s'étonne que Catilius, dans le cours de ses flatteries, se soit contenté de dire astre de toute la Grèce; pourquoi pas astre de l'Univers?

1 § 48.

p.

2 Trach. v. 101; ubi vide Bothe.

4

§ 17.

6 Hymn. in Del. v. 168.

9 I. 195.

3 Ling. Lat. iv. 13. ed. Bipont. 5 De Re Rust. 1, 2, 3, ibique Gesn. 7 IX. 419. 8 IV. 1, 176, ibiq. Broukh. 10 Hist. i. 2. 11 De Ostentis, p. 192. c. ed. Hase. 12 Journal des Savans, 1825, p. 226. Cf. Jacobs ad Antholog. xii. 205, 206.

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