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Par exemple, un jeune homme est précieux, petit-maître; on le choisit par cette raison, pour faire le petit marquis, le fat. Il est paresseux, indolent; on lui fera jouer l'indolence, la paresse. Il est haut, il fera le glorieux; menteur, il fera le premier rôle dans la Comédie de Corneille : dur, il jouera Atrée. S'il est dissipé, polisson, étourdi, il fera le valet; de maniere que des défauts, ou des vices qu'on devroit corriger par l'éducation, se concentrent par ce moyen dans le caractere. Il y a un avantage certain quand les rôles vertueux sont ainsi distribués : un caractere noble s'ennoblit encore en jouant Auguste Horace, César. Un caractere doux et humain, se perfectionne en jouant Philinte à côté du Misantrope. Il en est de même des autres caracteres vertueux. D'où je conclus qu'il ne faudroit donner les caracteres vicieux qu'à ceux qui sont assez affermis dans la vertu pour ne point prendre l'impression du vice, et ceux qui sont vertueux, qu'à ceux qui, ayant un caractere rebelle, ont besoin de prendre une nouvelle tournure et de repétrir leur caractere.

Qu'arrivera-t-il de cette distribution? Que la Comédie jouée par des enfans peu faits pour leur rôle, sera jouée assez

mal. C'est dommage pour les specta teurs, assurément. Mais c'est un avantage pour les acteurs : et si la distribution se fait autrement le plaisir du spectateur peut faire à tel jeune acteur un tort irréparable.

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Mais alors personne ne voudra donner des spectacles dans les colléges, ni les maîtres, ni les jeunes gens, parce qu'ils en auroient trop de peine et trop peu d'honneur.

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Est-il impossible de trouver des pieces sans contraste du vice avec la vertu? Et si on n'en trouve point; l'éducation chrétienne, l'éducation mondaine même, si elle est sérieuse et décente, a-t-elle besoin, pour être parfaite, des leçons d'un comédien? Ne peut-on point trouver. d'autres moyens d'exercer et de former les jeunes gens, de leur donner des graces? Ne peuvent-ils s'essayer devant le public sans prendre la voix aigre d'un vieillard quinteux, ou les airs impertinens d'un faquin? Et un mot ne peuventils entrer dans le monde honnête qu'en descendant du théâtre.

Cependant si on juge à propos de faire usage de ces sortes d'éxercices, voici à peu près ce qu'on doit observer sur le théâtre et dans la représentation.

La premiere chose est d'oublier entié

rement qu'on se donne en spectacle. Il ne faut agir que pour agir, et non pour plaire. Le soin de plaire distrait, et en fait manquer les moyens. Toutefois on aura l'attention de se placer de maniere qu'on soit vu et entendu commodément de tous les spectateurs.

2. Il vaut mieux ne point faire de gestes que d'en faire de mauvais. Ils sont mauvais quand ils sont faux, c'est-à-dire, qu'ils ne s'accordent point avec ce qu'on dit; quand ils sont lâches, et qu'ils n'expriment que foiblement; quand ils sont outrés, qu'ils sont plus forts que le sentiment; quand ils se contredisent, que les deux bras ne s'accompagnent point, ou qu'ils disent le contraire des yeux, de la tête; quand ils sont peu variés. Il y a des acteurs dont les gestes ont toujours la même configuration, la même étendue, la même chute; il faut même, quand on dit les mêmes choses plusieurs fois, que le geste change, quoique les mots ne changent point.

Il en est de même des tons des voix : il faut que l'acteur soit, même lorsqu'il parle bas, entendu distinctement, qu'il sache, dans les éclats, même dans les cris, se tenir dans les bornes de sa voix, qu'elle ne soit ni trop aigre, ni sifflante; enfin dans toutes ses variations il faut

que le ton de voix conserve l'unité du genre, et de la scene. On veut faire voir qu'on est maître de son art, on tombe dans le comique : c'est la nature, mais ce n'est pas celle du moment.

Il est extrêmement rare de trouver un acteur parfait : tout est plein de gens qui ont une partie de ce talent; presque personne ne le possede tout entier. L'un est énergique, mais sans graces. L'autre a des graces, mais point de vigueur. L'un est fort, mais dur : l'autre est doux, mais mou et quelquefois fade. Quelqu'un approcheroit de la perfection, s'il avoit été cultivé; s'il savoit l'art; cet autre seroit admiré, s'il concevoit bien son rôle, s'il se faisoit une juste idée d'Achille et de Pyrrhus, qu'il veut représenter. Quand Roscius, cet acteur admiré et aimé dans le plus beau siecle de la République Romaine, vouloit rendre un rôle, il ne s'en reposoit pas entiérement sur son talent, quoique prodigieux. Il employoit le secours de l'art et de la méthode. Il se formoit l'idée du héros dont il alloit être l'image. Il se frappoit fortement de son action: il prenoit ses motifs, passions: il se mettoit dans toutes les circonstances capables d'animer : et quand : toutes les facultés de son ame étoient montées au point où elles devoient l'être;

ses

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il résultoit de cet enthousiasme artificiel, une force impérieuse qui donnoit la forme et le feu à toutes ses expressions qui en marquoit la mesure précise, qui ménagoit les nuances, préparoit les éclats, et distribuoit l'ame dans tout l'extérieur; de maniere qu'il étoit toujours vrai, toujours naturel, et toujours infiniment supérieur à la nature. Il n'est point étonnant qu'il ait été si chéri des Romains. Rien n'est plus touchant, plus éloquent que ce qui plaît, et rien ne plaît tant qu'une parfaite déclamation. C'est le langage de la nature par elle les coeurs se parlent immédiatement, sans le secours des mots : ce qui donne à leur communication infiniment plus de vivacité et de charmes. Quel supplice pour quelqu'un qui sent, de voir les chefs-d'oeuvres des Corneilles et des Racines, en proie souvent à des manceuvres qui n'ont nulle idée de l'art; dont le sentiment n'est que sensation, et le goût qu'habitude d'imiter!

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