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dans cette piece, est un de ces courriers ailés. Quelle naïveté dans son discours! Que de grace! Quel agrément dans l'image qu'elle présente de sa vie et de celle de son maître, de la douce liberté qui regne chez lui! Mais ces beautés ne se démontrent point, il faut être né pour les sentir.

Quelquefois ses chansons ne présentent qu'une scene gracieuse, que l'image d'un gazon qui invite à se reposer.

"Mon cher Bathylle, asseyez-vous » à l'ombre de ces beaux arbres. Les »zéphyrs agitent mollement leurs feuil»les. Voyez cette claire fontaine qui "coule et qui semble nous inviter. Hé, qui pourroit, en voyant un si beau » lieu, ne point s'y reposer?» Quelquefois c'est un petit récit allégorique :

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"Un jour les Muses firent l'Amour » prisonnier. Elles le lierent aussitôt » avec des guirlandes de fleurs, et le » mirent sous la garde de la Beauté. La » déesse de Cythere vint pour racheter » son fils; mais les chaînes qu'il porte » ne sont plus des chaînes pour lui; il » veut rester dans sa captivité. »

Rien n'est plus ingénieux et en mêmetems plus délicat que cette fiction. L'Amour apparemment avoit dressé des em

bûches aux Muses: l'ennemi est pris lié, mis en prison. C'est la Beauté qui est chargée d'en répondre. On veut Îui rendre la liberté, il n'en veut plus, il aime mieux être prisonnier. Ön sent combien il y a de choses vraies, douces et fines dans cette image. Rien n'est si galant.

201.

CHAPITRE VI I.

HORACE.

HORACE, le premier et le seul des Latins qui ait réussi parfaitement dans l'Ode, s'étoit rempli de la lecture de tous les Lyriques grecs. Il a, selon les sujets, la gravité et la noblesse d'Alcée et de Stesichore, l'élévation et la fougue de Pindare, le feu, la vivacité de Sapho, la mollesse et la douceur d'Anacréon. Néanmoins on sent quelquefois qu'il y a de l'art chez lui, et qu'il songe à égaler des modeles. Anacréon est plus doux, Pindare plus hardi, Sapho dans les deux morceaux qui nous restent montre plus de feu, et probablement Alcée avec sa lyre d'or, étoit plus grand encore et plus majestueux. Il semble même qu'en tout genre de littérature et

de goût, les Grecs aient eu une sorte de droit d'aînesse. Ils sont chez eux quand ils sont sur le Parnasse. Virgile n'est pas si riche, si abondant, si aisé qu'Homere. Térence, selon toutes les apparences, ne vaut pas tout ce que valoit Ménandre. En un mot, s'il m'étoit permis de m'exprimer ainsi, je dirois que les Grecs paroissent nés riches, et que les autres au contraire ressemblent un peu à des gens de fortune.

On peut appliquer au lyrique d'Horace ce qu'il a dit lui-même du Destin : qu'il ressemble à un fleuve qui tantôt paisible au milieu de ses rives, marche sans bruit vers la mer; et tantôt, quand les torrens ont grossi son cours, emporte avec lui les rochers qu'il a minés, les arbres qu'il déracine, les troupeaux et les maisons des laboureurs, en faisant retentir au loin les forêts et les montagnes (a). Quoi de plus doux que son ode sur la

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Cum pace delabentis Etruscum

In mare, nunc lapides adesos

Stirpesque raptas, et pecus, et domos,
Volventis unà; non sine montium

Clamore, vicinæque sylvæ.
Cùm fera diluvies quietos

Irritat amnes.

mort de Quintilius! Jules Scaliger admiroit tellement cette piece, qu'il disoit qu'il aimeroit mieux l'avoir faite que d'être roi d'Aragon.

Le sentiment qui y domine est l'Amitié compatissante. Virgile avoit perdu un excellent ami. Pour le consoler, Horace commence par pleurer avec lui; et ensuite il lui insinue qu'il faut mettre fin à ses larmes. Il y a des réflexions trèsdélicates à faire sur ce tour adroit du poëte consolateur.

Le ton de la piece est celui de la douleur, mais d'une douleur qui fait pleurer, c'est-à-dire, qu'elle doit être mêlée de foiblesse, de langueur, d'abattement. Tout sera triste, négligé. Les idées s'arrangeront selon qu'elles arriveront.

"Peut-on rougir de pleurer, et de "pleurer long-tems une tête si chere? » O vous, à qui Jupiter accorda les char»mes de la voix et les accords de la

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lyre, Melpomene, inspirez-moi des » sons de douleurs. C'en est donc fait » Quintilius est enseveli dans un sommeil

d.I.24. Quis desiderio fit pudor, aut modus

Tam cari capitis præcipe lugubres

Cantus, Melpomene, cui liquidam pater.
Vocem cum cithara dedit.

Ergo Quintilium perpetuus sopor

» qui ne finira point. La Pudeur, la » Bonne foi, soeur incorruptible de la » Justice, la Candeur retrouveront-elles » jamais un mortel qui lui ressemble? "Tous les gens de bien l'ont pleuré (a). » Mais, cher Virgile, il n'y en a point

qui le pleure plus amérement que vous. "Hélas! c'est en vain que votre ten» dresse le redemande aux Dieux. Ils ne

l'ont pas voulu ainsi. Vous tireriez de » votre lyre des accords plus touchans » que ceux d'Orphée, dont les arbres » entendirent la voix ; vous he rappel"lerez pas à la vie l'ombre vaine que

Urget! cui Pudor, et Justitiæ soror
Incorrupta Fides, nudaque Veritas,

Quando illum invenient parem?

Multis ille bonis flebilis occidit?
Nulli flebilior, quàm tibi, Virgili.
Tu frustrà pius, heu! non ita creditum
Poscis Quintilium deos.

Quod si Threicio blandiùs Orpheo
Auditam moderere arboribus fidem :
Non vanæ redeat sanguis imagini,
Quam virga semel horridâ

Non lenis precibus fata recludere,

(a) Nous avons traduit qui mérite d'être pleurée. Flebilis dans le même sens Il a paru d'ailleurs que qu'il a, ode II. liv. 4. Fle-cette maniere de traduire bili sponsa juvenemve rap-faisoit un sens plus natutum: le jeune époux en-rel et plus convenable à levé à l'épouse qui pleure. la douleur. On ne dira pas à l'épouse

Tome III.

K

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