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CHAPITRE IV.

Des trois Unités.

Ly a trois sortes d'unités dans les Drames: unité d'action, unité de jour, et unité de lieu:

Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli Tienne jusqu'à la fin le theâtre rempli.

Unité d'action.

L'action est une, quand on se propose un seul but, auquel tendent tous les moyens qu'on emploie. Que ces moyens soient plusieurs ou non, il n'importe. Chaque acteur peut concourir à l'action d'une maniere et avec des intentions différentes: le but seul rassemble tous les rapports, et les réunit.

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On divise l'action dramatique en actes, et les actes en scenes.

On peut définir l'acte ; une action faisant partie essentielle d'une autre action; une action subordonnée, qui sert de moyen pour arriver à une fin ulté rieure; enfin qui suppose d'autres actions avant ou après soi. Ainsi dans la Tragédie de Polieucte, l'action du Poëme

est le martyre de Polieucte. Mais cette action en suppose nécessairement d'autres qui ont dû la précéder, et la préparer. Polieucte veut sortir et sort malgré Pauline pour se faire baptiser: c'est une action, qui fait la matiere du premier acte. On ordonne un sacrifice aux faux Dieux, Polieucte prend la résolution d'y aller, et y fait ce qu'il avoit médité: c'est le second acte, ou la seconde action préparatoire. Néarque est puni dans le premier instant de la fureur de Félix: c'est une troisieme action. Elle est suivie promptement d'une quatrieme qui contient les efforts inutiles de Pauline et de Félix, contre la fermeté de Polieucte: c'est le quatrieme acte. Enfin dans le cinquieme acte, c'est le jugement de Polieucte, qui est livré à la mort. On voit clairement que chaque acte contient une, ou quelquefois deux actions, toutes tendantes, de près ou de loin, médiatement, ou immédiatement, à une fin commune.

Quand elles sont toutes sur la même ligne directe, et qu'elles s'enfilent tour à tour jusqu'à ce qu'elles soient arrivées au terme; alors l'action est simple, et sans épisodes.

Si de ces actions il y en a qui ne sont que collatérales, qui n'aient qu'une atta

che superficielle à l'action principale, on les nomme épisodiques. Dès qu'elles se réunissent à l'action principale, elles en deviennent parties, elles marchent avec elle au but commun, et ne font qu'un même courant. Elles sont épisodiques plus ou moins, selon qu'elles se réunissent plutôt ou plus tard à l'action principale. Quand elles ne se réunissent pas, même au cinquieme, elles sont absolument vicieuses. Ainsi l'amour épisodique d'Hippolyte dans Phedre s'unità l'action principale au quatrieme acte. Celui de l'Infante dans le Cid ne s'unit nulle part: par conséquent il est entiérement contre les regles.

Les cinq actes ont chacun leurs regles particulieres, qu'il est important d'observer, si on veut plaire.

Le premier, que les Anciens appeloient protase, parce qu'il contient la proposition du sujet, doit exposer clairement la chose dont il s'agit. Ainsi dans Cinna, Emilie ouvrant la scene annonce la fureur de se venger: elle aime Cinna, mais elle ne lui donnera sa main qu'à condition qu'il assassinera Auguste:

Quoique j'aime Cinna, quoique mon cœur l'adore;
S'il veut me posséder, Auguste doit périr.
Sa tête est le seul prix dont il peut m'acquérir.

En second lieu il doit faire connoître tous les acteurs et une partie de leurs caracteres. On les fait connoître, ou en les faisant paroître eux-mêmes, comme dans Cinna, où l'on montre Emilie Cinna, Fulvie, Evandre, etc. ou en les désignant indirectement, mais du côté qui peut avoir rapport à l'entreprise : ainsi dans le premier acte de Cinna, on fait le portrait d'Auguste, qu'on n'a point encore vu, et on le peint comme un usurpateur qui a fait mourir le pere d'Emilie. On peint de même Livie, comme une Princesse qui a beaucoup d'Empire sur Auguste, et enfin Maxime, qui s'est chargé du second rôle de la conjuration.

En troisieme lieu, le noeud doit être commencé dans le premier acte, et le dénouement préparé, sans cependant que cette préparation soit trop sensible. Le noeud dans Cinna est de savoir si Cinna tuera Auguste son bienfaiteur, pour obéir à Emilie sa maîtresse. Le dénouement est, Auguste conservé et pardonnant à Cinna, par le conseil de Livie; ce qui est préparé par ces mots d'Emilie:

Je vais donc chez Livie, Puisque dans ton péril il me reste un moyen, De faire agir pour toi som crédit et le mien.

Il y a plusieurs moyens pour faire l'exposition du sujet. Quelquefois c'est un acteur qui fait un prelogue détaché de la piece; ce qui ne demande aucun art. Quelquefois c'est un acteur qu'on suppose ignorer les faits, et à qui on raconte ce qui doit servir de base à l'action. Par cette ruse on instruit le spectateur en feignant d'instruire l'acteur : ainsi Jason raconte à Pollux qui passe ses nouveaux feux pour Créüse, et son mépris pour Médée. Mais cette ruse n'est plus de mode, les goûts sont devenus plus difficiles. On veut que l'action s'expose d'elle-même, et en se faisant; que le Poëte sache adroitement fixer le lieu où se fait l'action, l'heure à laquelle elle commence; qu'il détaille tout son plan, caractérise ses acteurs, et le tout en agissant; on voit le modele de cette exposition dans les Horaces.

Dans le deuxieme, troisieme et quatrieme actes, le noeud doit se serrer de plus en plus, et le trouble et l'inquiétude du spectateur aller en croissant. Mais comme un même sentiment ne peut croître tout d'une suite, et sans prendrequelque relâche; il faut le relayer par d'autres sentimens. On entrelasse des momens de joie et d'espérance qui soulevent l'ame, pour la faire retomber

avec

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