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s'ouvre par un entretien de Jocaste avec @dipe sur les embarras du trône. Le choeur ensuite décrit en déclamateur les ravages de la peste, et c'est tout le pre-.. mier acte.

Créon arrive sans préparation, il apporte un oracle. Tirésias vient de lai-. même avec sa fille, pour faire le sacrifice d'une génisse et d'un taureau, qui sont les figures symboliques de ce qui doit arriver à Jocaste et à Edipe. Mais ce sacrifice ne suffit pas : on va consulter les enfers; et Créon qui en a été témoin, fait une description, en quatre-. vingt vers, de ces lieux, et de l'horreur qui y regne, avant que de dire la répouse.

Dans le quatrieme acte Œdipe interroge Jocaste, il se doute qu'il est le coupable, enfin il en est assuré par le berger arrivé de Corinthe, et par celui de Laius. Dans le cinquieme acte on récite les fureurs du roi désespéré, le Choeur chante ses malheurs, Jocaste et Edipe s'entretiennent de leurs maux.: celui-ci. s'en va en exil pour emporter avec lui la famine, la maladie, la douleur.

En un mot, c'est presque le contrepied de Sophocle d'un bout à l'autre. Sopho cle ouvre la scene par le plus grand de tous les tableaux. Un roi à la porte de

son palais, tout un peuple gémissant, des autels dressés par-tout dans la place publique, des cris de douleurs. Seneque présente le roi qui se plaint à sa femme comme un rhéteur l'auroit fait du tems de Seneque même. Sophocle ne dit pas un mot qui ne soit nécessaire, tout est nerf chez lui, tout contribue au mouvement. Seneque est par-tout surchargé, accablé d'ornemens, c'est une masse d'embonpoint, qui a des couleurs vives et point d'action. Sophocle est varié naturellement; Seneque ne parle que d'oracles, que de sacrifices symboliques, que d'ombres évoquées. Sophocle agit plus qu'il ne parle, il ne parle même que pour l'action, et Seneque n'agit que pour parler et haranguer; Tirésie, Jocaste, Créon, n'ont point de caractere chez lui. Edipe même n'y est. point touchant. Quand on lit Sophocle,, on est affligé; quand on lit Seneque, on a horreur de ses descriptions, on est dégoûté et rebuté de ses longueurs.

CHAPITRE VI I.

De la Tragédie Françoise. PASSONS quatorze siecles, et venons tout d'un coup au grand Corneille, cet homme né pour créer la poésie théâtrale, si elle n'eût pas existé avant lui. Quand il parut ( ce fut en 1625, qu'âgé de 19 ans, il donna Melite sa premiere piece) la France avoit un théâtre ; mais ce n'étoit ni celui de Rome ni encore moins celui d'Athenes. C'étoit un amas confus d'objets disparates, où le sacré, le profane, le tragique, le comique, le bouffon, la grossiéreté et les pointes tous les styles, tous les tons étoient mêlés sans goût, sans choix, au gré d'une sorte d'instinct grossier qui seul menoit le génie. Jodelle, Garnier, Hardi, ne connurent que l'existence de l'art; à peine soupçonnerent-ils qu'il y eût des regles. Mairet, Rotrou, préparerent le débrouillement du chaos; mais nous y serions encore, si Corneille par la force de son génie n'eût dissipé les nuages et nettoyé l'horizon..

Ce fut lui qui parmi nous marqua le but de l'art avec précision, qui montra

par des préceptes et plus encore par des exemples, quels objets il falloit choisir, comment il falloit développer un sujet, le partager; comment il falloit en lier les parties, les combiner, les graduer, selon l'intérêt et le point de vue de la piece; comment il falloit séparer les actes sans les isoler, amener et remplir les scenes, dessiner les caracteres, peindre les mœurs dans les actions et dans les discours; quelles ruses le poëte devoit employer pour dissimuler les embarras de l'art pour en cacher le foible, ou les défauts et surprendre la confiance d'un spectateur qu'on ne trompe qu'à son profit.. Enfin ce fut lui qui donna le ton au public et mit le public en état de le donner

aux auteurs.

Corneille fit plus: il s'empara du genre même dans lequel il travailloit, et lui donna la forme qui lui plut. La Tragédie grecque étoit plus religieuse et plus populaire que philosophique. Tous les préjugés effrayans de la superstition paienne y entroient comme causes principales des événemens tristes. Le poëte françois crut qu'il étoit plus raisonnable, plus naturel, plus instructif de se borner aux ressorts qui peuvent se trouver dans l'esprit et dans le coeur humain. Il fit lutterentr'elles, tantôt dans un même cœur,

tantôt dans des coeurs différens toutes les passions, qu'on appelle héroïques ; et dans leur plus haut degré d'activité. Il joint l'expression sublime aux situations violentes, et nous fait frissonner.. Cette terreur, il est vrai, n'est pas de la même espece que celle du théâtre grec.. Celle-ci étoit mêlée de cet attendrissement qu'on éprouve, quand les malheu reux qu'on plaint, sont la victime d'une foiblesse dont on se sent rempli, ou d'une sorte de fatalité dont on sent qu'on n'est pas exempt. Celle de Corneille est une terreur, oserai-je le dire, qui semble résulter du choc violent des idées, plus encore que de l'application douloureuse qu'on se fait à soi-même, de ce qu'on voit dans les autres. On sentira ce que je veux dire şi on compare l'impres-sion que produit Polieucte avec celle que produit Cinna, Héraclius et même Rodogune. Dans Cinna on admire: dans Héraclius, on est étonné: on est glacé d'effroi dans Rodogune: mais on fond. en larmes dans Polieucte.

Lorsque ce grand homme commençoit à vieillir, Racine né avec un génie heureux, un goût exquis, nourri de la lecture des excellens modeles des Grecs, profita des idées, des exemples et des fautes de son prédécesseur, et accom

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