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Là les esprits fumeux de ce vin sans couleur
Enchaîneront la langue et les pas du buveur.
Vois les vins blancs de Thase et de Maréotide;
L'un veut un terrain gras, et l'autre un sol aride.
Rhétie, on vante au loin tes vins délicieux;
Mais Hébé verseroit notre Falerne aux dieux.
Veut-on boire un vin fort? on choisit l'Aminée,
Vainqueur heureux du Tmole, et même du Phanée *.
Argos est renommé pour ses vins bienfaisants,
Dont la seve résiste à l'injure des ans..

Et toi, divin nectar que

Rhodes nous envoie,

Du convive assoupi viens réveiller la joie.
Puis-je encore oublier ces énormes raisins....

Mais qui pourroit compter et nommer tous ces vins ?
On compteroit plutôt sur les mers courroucées **
Les vagues vers les bords par l'aquilon poussées,
On compteroit plutôt dans les brûlants déserts
Les sables que les vents emportent dans les airs.

Tout sol enfin n'est pas propice à toute plante:
Le saule aime une eau vive, et l'aune une eau dormante;
Le frêne veut plonger dans un coteau pierreux:
Au bord riant des eaux les myrtes sont heureux;
Le soleil sur les monts cuit la grappe dorée ;
Et l'if s'épanouit au souffle de Borée.

De l'aurore au couchant parcourons l'univers, Les différents climats ont des arbres divers : Chez l'Arabe l'encens embaume au loin la plaine;

Namque aliæ, nullis hominum cogentibus, ipsæ
Sponte suâ veniunt, camposque et flumina latè
Curva tenent ; ut molle siler, lentæque genistæ,
Populus, et glaucâ canentia fronde salicta.

Pars autem posito surgunt de semine; ut altæ
Castaneæ, nemorumque Jovi quæ maxima frondet
AEsculus, atque habita Graiis oracula quercus.
Pullulat ab radice aliis densissima sylva;
Ut cerasis, ulmisque; etiam Parnassia laurus
Parva sub ingenti matris se subjicit umbra.

Hos natura modos primùm dedit ; his genus omne Sylvarum fruticumque viret nemorumque sacrorum. Sunt alii, quos ipse viâ sibi repperit usus. Hic plantas tenero abscindens de corpore matrum Deposuit sulcis; hic stirpes obruit arvo,

* Et le chêne, qui rend les oracles des dieux.
Plusieurs sont entourés de rejetons sans nombre:
L'ormeau voit ses enfants s'élever sous son ombre;
Des forêts d'arbrisseaux naissent du cerisier;
Et du tronc maternel sort le jeune laurier.)
Telles furent d'abord les lois de la nature:
Bientôt l'expérience étendit la culture;
Et l'art industrieux, par d'utiles secrets,
Enrichit les vergers et peupla les forêts.
Là, ce jeune arbrisseau qu'on arrache à son pere
Va recevoir ailleurs une seve étrangere.

Sortent diversement des mains de la nature:
Les uns sans implorer des soins infructueux,
Dans les champs, sur les bords des fleuves tortueux,
Naissent indépendants de l'industrie humaine :
Ainsi le souple osier se reproduit sans peine ;
Tels sont l'humble genêt, les saules demi-verds,
Et ces blancs peupliers balancés dans les airs.
D'autres furent semés; ainsi croissent l'yeuse,
Qui redouble des bois l'horreur religieuse,
Le châtaigner couvert de ses fruits épineux,
Et le chêne à Dodone interprete des dieux. *
Plusieurs sont entourés de rejetons sans nombre :
Ainsi le cerisier aime à voir sous son ombre
S'élever ses enfants; ainsi ces vieux ormeaux
Sur leur jeune famille étendent leurs rameaux;
Et même le laurier, que le Pinde révere,
Leve son front timide à l'abri de son pere.

Tels, sans les soins de l'art, d'elle-même autrefois
La nature enfanta les vergers et les bois,
Et les humbles taillis, et les forêts sacrées.
Depuis, l'art, se frayant des routes ignorées,
Par des moyens nouveaux créa de nouveaux plants:
Là, d'un arbre fécond les rejetons naissants,
Par le tranchant acier séparés de leur pere,
Vont recevoir ailleurs une seve étrangere;
Ici, des souches d'arbre, ou des rameaux fendus,
Ou des pieux aiguisés, à nos champs sont rendus:

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Quadrifidasque sudes, et acuto robore vallos:
Sylvarumque ali pressos propaginis arcus
Exspectant, et viva suâ plantaria terrâ :
Nil radicis egent aliæ; summumque putator
Haud dubitat terræ referens mandare cacumen :
Quin et caudicibus sectis (mirabile dictu ! !
Truditur e sicco radix oleagina ligno;

Et sæpè alterius ramos impunè videmus
Vertere in alterius, mutatamque insita mala
Ferre pirum, et prunis lapidosa rubescere corna.

Quare agite, o, proprios generatim discite cultus,
Agricolæ, fructusque feros mollite colendo.
Neu segnes jaceant terræ: juvat Ismara baccho
Conserere, atque oleâ magnum vestire Taburnum.

Sponte suâ quæ se tollunt in luminis auras,
Infœcunda quidem, sed læta et fortia surgunt:
Quippe solo natura subest. Tamen hæc quoque si quis
Inserat, aut scrobibus mandet mutata subactis,
Exuerint sylvestrem animum, cultuque frequenti,
In quascumque voces artes, haud tarda sequentur.

Nec non et sterilis quæ stirpibus exit ab imis
Hoc faciet, vacuos si sit digesta per agros:

Nunc altæ frondes et rami matris opacant,

Crescentique adimunt fœtus, uruntque ferentem.

Celui-ci courbe en arc la branche obéissante,
Et dans le sol natal l'ensevelit vivante;

Cet autre émonde un arbre, et plante ses rameaux,
Qui dans son champ surpris deviennent arbrisseaux,
Un aride olivier, surpassant ces prodiges,

Des éclats d'un vieux tronc pousse de jeunes tiges.
De rameaux étrangers un arbre s'embellit,
D'un fruit qu'il ignoroit son tronc s'enorgueillit;
Le poirier sur son front voit des pommes éclore,
Et sur le cornouiller la prune se colore.

Connois donc chaque espece, et soigne sa beauté *;
D'un fruit sauvage encore adoucis l'âpreté :
Point d'arbres négligés, point de terres oisives;
Couvrons de pampre Ismare (1), et Taburne d'olives.
L'arbre né de lui-même étale fièrement

De ses rameaux pompeux le stérile ornement;
La nature se plut à parer son ouvrage :

Mais qu'on prête à sa tige un rameau moins sauvage,
Ou qu'il soit transplanté dans un sol plus heureux,
Domté par la culture, il comblera tes vœux.

Tels encor, si tu veux les ranger dans la plaine, Ces foibles rejetons paieront un jour ta peine; Par l'ombre de leur pere étouffés aujourd'hui, Stériles avortons, ils languissent sous lui.

Connois donc chaque plant, et quel soin lui convient,
Ce que peut la nature, et ce que l'art obtient.

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