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voir le nommer moi-même, mais tous ceux qui liront son volume reconnaitront facilement en lui un des plus laborieux et des plus savants confrères et successeurs du P. Bougerel.

T. de L.

250,

Correspondance littéraire, philosophique et critique par Grimm, Diderot, Raynal, Meister, etc., revue sur les textes originaux comprenant outre ce qui a été publié à diverses époques les fragments supprimés en 1813 par la censure, les parties inédites conservées à la bibliothèque ducale de Gotha et à l'Arsenal à Paris. Notices, notes, table générale, par Maurice TourNEUX. Paris, Garnier frères, 1877-1882. 16 vol. in-8° dont le dernier de 755 p.

La Correspondance littéraire fut publiée pour la première fois en 1812-1813 la première partie (1753-1770) eut pour éditeurs Michaud aîné et Chéron; Salgues s'occupa de la seconde partie (1771-1782) et Suard de la troisième (17782-1790). Un supplément fut donné, en 1814, par A.-A. Barbier, et le tout forma dix-sept volumes in-8°. M. Jules Taschereau présida (1829) à la seconde édition, composée de quinze volumes, auxquels il faut joindre deux volumes supplémentaires publiés (la même année) par MM. Chéron et Thory. La seconde édition était de beaucoup supérieure à la première ; la troisième est, pour le texte comme pour l'annotation, incomparablement supérieure à la seconde. M. Tourneux, qui avait été l'excellent collaborateur et continuateur de feu J. Assézat dans la publication des Euvres complètes de Diderot (vingt volumes in 8"), était naturellement désigné pour préparer l'édition définitive de la Correspondance littéraire. Il est, sans contredit, celui de tous les érudits de notre temps qui connaît le mieux le xvir® siècle devenu, en quelque sorte, son domaine spécial et réservé. Je ne puis, on le comprend bien, rendre minutieusement compte des seize volumes de la collection. Je me contenterai d'indiquer les principaux mérites et aussi quelques-unes des imperfections d'un travail qui, en raison de son étendue même, ne pouvait pas être entièrement irréprochable.

C'est à l'aide des manuscrits originaux du Musée ducal de Gotha, signalés dès le commencement de l'année 1867 par un recueil périodique de Strasbourg, Le bibliographe alsacien, publié sous la direction de M. Charles Mehl, que M. T. a pu combler la majeure partie des lacunes qui déparent les éditions de 1813 et de 1829. D'assez nombreuses pages inédites de la correspondance ont encore été retrouvées dans les fragsi bien nous appliquer : « Je vous aurois obligation si vous vouliez me marquer les noms propres que j'ay estropiez. Il m'est arrivé ce qui arrive à toute personne qui est remplie de son sujet : j'ay cru lire dans l'épreuve ce que j'avais dans la tête ».

1. Ni Brunet, dans le Manuel du libraire, ni Quérard, dans la France littéraire, ne nous avaient appris, comme le fait M. Tourneux (Avertissement, p. 11), que M. A. Chaudé avait aidé M. Taschereau dans la réimpression de 1829 et avait même publié seul les quatre derniers volumes.

ments donnés à M. Charles Nisard par feu le marquis de la Rochefoucauld-Liancourt et offerts à la bibliothèque de l'Arsenal par le savant auteur des Ennemis de Voltaire. « Ces fragments, » dit M. T. (Avertissement, p. 11), « considérés quelquefois et à tort comme provenant du portefeuille de Suard, renferment plusieurs passages supprimés par la censure impériale qui ne font point double emploi avec le volume publié en 1829 par MM. Chéron et Thory, mais principalement des articles dont les éditeurs d'alors n'appréciaient pas la valeur, tels que les comptes-rendus des salons de 1785, 1787, 1789, etc. Par une coïncidence curieuse, le manuscrit de Gotha est notablement incomplet en ce qui concerne la fin de la Correspondance. Ce n'est pas tout: M. A. Chaudé avait pris la peine de relever sur son propre exemplaire les corrections et additions dont il nous a été donné de prendre copie. Quelques-unes portent précisément sur des passages et des membres de phrases qui avaient pu inquiéter la police de Napoléon; mais d'autres suppressions, volontairement pratiquées dans les séries nouvelles, prouvent que MM. Taschereau et Chaudé craignirent d'éveiller les mêmes craintes chez les censeurs de Charles X et que le sous-titre de leur publication manquait tout au moins d'exactitude. Cette collation, nous l'avons refaite à nouveau sur le manuscrit de Gotha et nous avons rétabli minutieusement les épithètes aussi bien que les phrases entières ou incidentes inconnues jusqu'à ce jour 2 ».

On ne saurait donner trop d'éloges aux soins qu'a pris M. T. pour l'établissement du texte de la Correspondance littéraire. Son travail, à cet égard, ne laisse absolument rien à désirer. En constatant que plusieurs milliers de pages ont été l'objet d'une révision des plus attentives, on est saisi d'admiration pour les qualités de patience, de courage, de dévouement déployées par l'infatigable éditeur.

Etablir aussi scrupuleusement un texte aussi considérable, c'était déjà bien mériter des amis du xvIIIe siècle. Le travail du commentateur, s'il n'est pas à l'abri de tout reproche, a droit encore à leur plus vive reconnaissance.

Mais, avant de nous occuper de l'annotation de la Correspondance littéraire, examinons rapidement ce recueil même tel que l'a constitué le nouvel éditeur.

M. T., ayant reconnu que la pensée première de ce journal secret appartient à l'abbé Raynal, n'a pas voulu passer sous silence la période rédigée par l'auteur de l'Histoire philosophique et politique des éta

1. Nouvelle édition où se trouvent rétablies pour la première fois les phrases supprimées par la censure impériale. »

2. Si M. T. a beaucoup ajouté, il a aussi beaucoup retranché. Pouvait-il conserver des morceaux aussi répandus que le Pauvre diable, l'Homme aux quarante écus et autres petits chefs-d'oeuvre? Il n'a conservé, en dehors des articles de Diderot, que des pièces rares ou même inédites de conteurs aussi spirituels que Piron, Voisenon,

etc.

blissements des Européens dans les deux Indes, encore que cette période fût incomplète des années 1752, 1753 et d'une partie de 1754'. Les Nouvelles littéraires de Raynal, qui proviennent de la bibliothè que de Gotha, s'étendent de 1747 à 1755; elles remplissent presque tout le premier volume (pp. 71-492) et une partie du second (pp. 3-225). Ce journal est précédé d'une notice dont voici les dernières lignes : << Dans les Nouvelles littéraires, le goût et le savoir de l'auteur se montrent librement; la variété des renseignements qu'elles révèlent sur les livres, les théâtres, les beaux-arts d'une période pour laquelle il n'existe aucun recueil aussi complet, suffirait à justifier leur publication, alors même que nous n'aurions pas pour garantie de leur valeur propre l'opinion de Voltaire ».

La Correspondance littéraire commence (mai 1753) au milieu du second volume (p. 241) et ne s'achève qu'au milieu du seizième volume (p. 208). Le reste du dernier volume est occupé : 1o par des extraits de la continuation que donna Meister, en 1794, à la gazette de Grimm, déjà continuée par lui presque exclusivement de mars 1773 à la fin de 1774, extraits réunis sous le titre de : Les dernières années de la Correspondance littéraire (pp. 209-246); 2° par les Opuscules et lettres de

1. M. T., après avoir dit (p. II) qu'il n'existe, en ce qui concerne Raynal, ni tëmoignage contemporain de quelque valeur, ni récit autobiographique et qu'à sa mort parut une brochure déclamatoire dont l'histoire n'a presque rien à tirer (Eloge philosophique de G.-T.-F. Raynal, par Chérhal de Montréal, Paris, an VI, in-8" ajoute: « Il faut donc demander les traits caractéristiques de cette personnalité remuante à des mémoires comme ceux de Malouet, qui l'a bien connu sur son déclin; aux souvenirs de D. Thiébault; aux lettres de Diderot à Mlle Volland. Quant aux dates précises, il suffira de rappeler que Raynal est né à Saint-Geniés (Aveyron), le 11 mars 1700, et qu'il est mort à Chaillot le 6 mai 1796 ». Observons que ces deux dates diffèrent quelque peu de celles qui sont consignées dans le Dictionnaire hist»rique de la France par M. L Lalanne : « 12 avril 1713-6 mars 1796 ».

2. Avant les Nouvelles littéraires, on trouve (pp. 1-16) une rotice de J.-H. Meister écrite en 1808 sur celui dont il fut le secrétaire et le collaborateur assidu, aotice intitulée le baron de Grimm, « document qui a fourni, depuis soixante ans les éléments de toutes les biographies de Grimm », et (pp. 17-68) un récit, imprimé en 1868 dans le tome II du Recueil de la Société historique russe, sous ce titre : Mémoire historique sur l'origine et les suites de mon attachement pour l'impératrice Catherine II jusqu'au décès de Sa Majesté impériale. Ce mémoire, comme le fait remarquer M. T., « nous montre Grimm sous un jour nouveau, puisque le zélateur des plus hardis philosophes du siècle y gémit sur l'abolition de droits qui subsistaient depuis des siècles, tout comme les volontaires de l'armée de Condé dont il partageait la mauvaise fortune ». M. T. a fait suivre la notice de Meister (p. 13) & deux documents officiels sur la mort et les obsèques de Grimm. D'après l'extrait da registre mortuaire de l'église ducale du château de Gotha, Grimm, né le 28 septembre 1723 à Ratisbonne, mourut le 19 décembre 1807, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans et trois mois.

3. Lettre à Darget, du 21 avril 1750. M. T. s'amuse (p. 67) « de la redondanc toute méridionale » du style de l'abbé Raynal.

4. On y remarque une Copie des tablettes de Diderot (p. 218), une Mar historique sur Sedaine envoyée à Meister par Me de Vandeul, née Diderot (p. 2 =

Grimm, déjà rassemblés par Barbier en 1814 et reproduits par MM. Taschereau et Chaudé, mais augmentés ici de plusieurs morceaux intéressants (pp. 269-502); 3° par les lettres adressées à Grimm (pp. 507-541); 4° par une très curieuse étude de l'éditeur sur La bibliothèque et les papiers de Grimm pendant et après la Révolution (pp. 542-562); 50 par les Additions et corrections (pp. 563-572); 6° enfin par une Table générale des noms propres et des titres cités dans la Correspondance littéraire (pp. 573-750), table qui est une des meilleures que je connaisse parmi celles dont on a enrichi, en ces derniers temps, de volumineux recueils, et à laquelle j'appliquerais volontiers l'éloge donné par Quérard à la Table analytique de l'Encyclopédie dressée par Mouchon (Pierre): « chef-d'œuvre de patience et d'exactitude»'.

Les notices et notes de M. T. sont généralement excellentes. C'est parce que l'éditeur de la Correspondance littéraire est un annotateur d'un mérite peu ordinaire, que je lui reprocherai d'avoir été parfois trop avare d'éclaircissements. Les Nouvelles littéraires, par exemple, ne sont accompagnées que d'assez rares et assez brèves notes bibliographiques. M. T. s'est presque toujours contenté de rétablir les titres des livres, si souvent estropiés et quelquefois même omis par Raynal. Ce n'est pas assez. Raynal raconte beaucoup d'anecdotes, les unes vraies, les autres fausses, de troisièmes moitié vraies et moitié fausses. N'aurait-il pas fallu tantôt une note confirmative, tantôt une note rectificative, surtout quand les anecdotes concernent des personnages tels que Boileau, Fontenelle, La Fontaine, Racine, Voltaire, etc.? J'aurais aussi voulu que l'origine des citations enchâssées dans le texte fût toujours indiquée. M. T. a oublié de rechercher (t. I, p. 84) quel est l'auteur de l'épigramme qu'estimait tant Boileau :

Ci-git ma femme. Ah! qu'elle est bien

Pour son repos et pour le mien 3!

2

Il ne nous dit pas non plus (t. II, p. 224) que ce fut Mme du Deffand qui lança contre le beau livre de Montesquieu ce bon mot si connu : C'est de l'esprit sur les lois. Sous le nom des auteurs d'ordre secondaire cités par Raynal et par ses continuateurs, il eût été bon de rappeler l'époque et le lieu de naissance, l'époque et le lieu de décès. Ce sont des

1. Cet éloge est cité (t. XII, p. 334) par M. T. qui fait observer que Quérard est « si volontiers injuste pour ses devanciers ». Indépendamment de la table finale, chaque volume possède, sous la forme de sommaires, une table analytique et chronologique où l'éditeur n'a rien laissé échapper.

2. Je ne puis laisser passer sans protestation cette assertion de Raynal (t. I, P. 292) au sujet de la toile d'araignée qu'après dix ans Balzac retrouva chez Chapelain que le chroniqueur appelle « l'homme de notre littérature le plus décrié ». A Balzac il faut substituer Ménage et à la toile d'araignée des tisons. Voici le récit du Menagiana (édition de 1715, t. II, p. 31): « Je vis encore à la cheminée de M. Chapelain les mêmes tisons que j'y avais vus il y avait douze ans ».

3. On n'est pas sûr que le distique soit de Jacques Dulorens. Voir Revue critique du 6 mars 1882, p. 198, note 1.

jalons commodes pour tout le monde, car si tous les lecteurs ne sont pas des érudits, tous les érudits n'ont pas une mémoire infaillible. Prenons un exemple Raynal annonce (t. 1, p. 74) la publication des Lettres morales et critiques du marquis d'Argens. Pourquoi ne pas nous rappeler que Jean-Baptiste de Boyer, marquis d'Argens, naquit à Aix le 27 juin 1703 et qu'il mourut près de Toulon le 11 juin 1771?

I

Les notes sont plus nombreuses au bas des pages de la Correspondance littéraire, mais la plupart sont empruntées à l'édition de M. Taschereau. L'auteur du Manuel du libraire déclare que toutes les notes de M. Taschereau sont loin d'être bonnes. La vérité veut que j'avoue qu'il aurait été possible d'en améliorer un grand nombre . M. T. a très bien rectifié (t. II, pp. 491-492) le récit de l'ancien administrateur de la Bibliothèque nationale sur les derniers moments de Montesquieu 3. Pourquoi n'a-t-il pas plus souvent corrigé les erreurs de son devancier? Ce qu'il y avait de mieux dans le commentaire de l'édition précédente, c'était la partie purement bibliographique qui avait été fournie à M. Taschereau par trois parfaits connaisseurs de livres en général, de livres du xvIIe siècle en particulier, A. A. Barbier, Beuchot et M. Ravenel. Les notes de M. T. relatives à l'histoire littéraire ne souffrent pas d'un aussi dangereux voisinage. Je citerai, entre tous les renseignements qui viennent de lui, les renseignements relatifs aux œuvres de Mlle de Lussan (t. III, p. 25); à l'Eléphant triomphal, brochure de

1. Et non le 24 juin 1704, comme le répètent tous les biographes. J'emprunte à bonne date à Roux Alpheran (Les rues d'Aix, 1847, t. I, p. 40). Le consciencieux auteur a recueilli cette date dans les registres de baptêmes de la paroisse SainteMagdelaine d'Aix. Combien d'erreurs de ce genre il y aurait à corriger dans nos meilleurs recueils biographiques! Des chercheurs aussi patients et aussi habiles que M. T. ne devraient négliger aucune occasion de purger peu à peu ces recueils de leurs inexactitudes sans cesse renouvelées. A ce propos, demandons à M. T. sĩ. est sûr de ce qu'il avance touchant la naissance de l'abbé d'Artigny en 1704 TL p. 320). Je vois qu'ailleurs on fait naître l'auteur des Nouveaux mémoires d'histoire et de littérature en 1706 (le 8 novembre).

2. Quelques-unes sont écrites en un singulier français, celle-ci particulièrement (t. III, p. 416) : « Ce curé de Saint-Sulpice, qui du reste passait pour susceptible de sacrifices en faveur des pauvres, etc. ». L'emploi du mot susceptible en ce sens est presque aussi ridicule que l'emploi du mot équitable pour juste dans cette phrase dont se moque l'auteur de la Correspondance littéraire (t. X, p. 212) : « Vous aver là des bottes bien équitables ». Pour revenir au curé de Saint-Sulpice, comment M. Taschereau, qui mentionne en sa note la statue de Notre-Dame de VieüleVaisselle, n'a-t-il pas raconté la plaisante anecdote du vase d'argent incorporé par le zèle indiscret de l'abbé Languet dans cette statue, à la faveur d'un si joli mot?

3. M. T aurait pu ajouter à sa victorieuse citation une autre citation non mains décisive qui lui aurait été fournie par l'Histoire de Montesquieu de M. Louis Vian (Paris, 1878, in-8°, chapitre intitulé: Derniers moments, religion et mort de Msatesquieu (pp. 325-335). M. T. a rapproché (Avertissement, p. vi) M. Van e M. Desnoiresterres dans cette phrase dictée par la reconnaissance la plus vive: << Voltaire et Montesquieu ont enfin rencontré des biographes dignes d'eux des MM. G. Desnoires terres et Louis Vian qui nous ont maintes fois commun qul résultat des immenses lectures d'où sont sortis deux livres à tant d'égards défioirts

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