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servations. Une fois, il se dit d'accord avec moi, quand nous ne le sommes pas; d'autres fois, il me fait différer de lui, quand nous sommes d'accord. Dans ce qui suit, je suivrai l'ordre des critiques de M. Joret.

M. J. admet, dit-il, que j'ai raison de dire que u de un a le son eu de peuple; or, j'ai dit, p. 59: un son plus ouvert que celui de peuple, voyelle que je retrouve dans le scandinave 1.

Ce qui prouve que i de vin se rapproche de ä (l'a anglais de man) et souvent l'atteint 2, c'est que très souvent les étrangers le prennent pour un a; par exemple, le mot médecin sonne à peu près comme med-sa pour eux, surtout pour ceux qui ne connaissent pas les voyelles nasales. Il faut avoir une connaissance très intime des sons étrangers pour se faire une idée exacte de l'impressión que produisent les sons français, si différents de tous les autres, sur les oreilles des étrangers.

Il est vrai que je n'accorde aux voyelles nasales qu'une seule qualité; quant à la quantité, j'admets au contraire qu'elle varie; c'est, je crois, la seule difference entre dent (a* bref) et dents (á long) 3; seulement je ne suis pas entré dans ce détail, parce que je n'étais pas sûr que cette distinction fût générale et constante. C'est aux phonétistes français de vérifier cela. Quant à la différence entre chant (bref) et chante (long), je l'ai toujours admise.

Mon critique me fait supposer que M. Havet prononce vingt-deux comme vän-dö, ce qu'il corrige en vân'n-deû. Ici il y a un double malentendu. M. Havet a dit non pas que in de vingt change, mais bien que t (d) devient n. Moi, j'ai représenté (p. 38, note 2) cette prononciation très fidèlement par la notation vên-dö c'est-à-dire vin (voyelle nasale é) un n dental, tout en faisant observer que vend-dó (vè +n dental d) me paraît la prononciation usuelle, comme l'admet

aussi M. Joret.

Quant à la prononciation du gn français, ce n'est que du gn du nord et surtout de Paris que j'ai dit qu'il diffère par une nuance assez sensible du gn italien et du ñ espagnol, en ce qu'il est moins palatal que ceux-ci, mais plus palatal que le ng ou n guttural germanique, auquel il est très ressemblant 5. Cela est tellement vrai que la plupart des Français prononcent l'anglais sing comme leur signe, sans se douter d'aucune différence. Je n'ai donc pas dit que « le gn français est tout différent du gn italien », encore moins «< qu'il se prononce comme n3», ce qui serait absurde. Je ne sais pas même où M. J. prend cet n, dont je n'ai pas dit un mot, à moins qu'il ne confonde, comme la plupart de ses compatriotes, In guttural avec un n dental. En effet, les Français du nord prononcent le venga du midi comme venne-ga. Si les Français ne saisissent pas ces nuances, c'est qu'ils ne connaissent pas assez à fond les prononciations

* Notre imprimerie n'ayant pas pour le moment de voyelles tildées, nous remplaçons le tilde indiqué par l'auteur, et qui marque la nasalité des voyelles, par un accent circonflexe. Réd.

étrangères et se contentent d'un à peu près. En fait, l'italien gn de segno diffère même en deux points du gn parisien de signe, produit plus avant dans la bouche: 1° en ce qu'il est plus palatal; 2o en ce qu'il est plus composé, le son j se faisant entendre non-seulement fondu à l'n, mais souvent indépendamment après l'n palatal 10.

Un point sur lequel je me range à l'avis de M. J., c'est que l'e final français est souvent prononcé, même après une seule consonne, comme <«< une demi-muette ». J'ai cru remarquer ce son depuis vingt ans; si je n'en ai pas parlé, c'est que je ne croyais pas que cette prononciation fût reconnue; les phonétistes français auxquels j'en ai parlé l'ont niée absolument. Je suis heureux d'être d'accord sur ce point avec M. J., et désormais j'en parlerai avec plus d'assurance, d'autant que dans ces dernières années j'ai pu vérifier par des observations nouvelles l'existence de ce son". M. J. dit à ce propos : « Voilà ce que souvent les étrangers ne comprennent pas 2: comment veut-il qu'ils comprennent ce que les phonétistes français (à l'exception de M. J.) ne semblent pas reconnaître ?

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Je suis loin d'identifier l'e obscur allemand avec l'é fermé 1; j'y ai reconnu (p. 66 fin), au contraire, un son intermédiaire entre eu et é. Je n'ai pas donné raison aux linguistes qui le confondent avec é, mais j'ai cité l'effet qu'il fait aux Français comme preuve qu'il diffère de l'e dit muet du français, qui se rapproche plus de eu. Je parle ici de la prononciation ordinaire de l'allemand. Quant à l'e final scandinave, il est absolument identique à l'e final allemand du nord, et ne se rapproche nullement, comme le croit M. J., de l'é fermé, son bien connu des langues scandinaves 14.

D'autre part, il existe des dialectes scandinaves et allemands qui rapprochent l'e final de l'é fermé.

M. J. dit : « L'r des idiomes du sud de la Norvège et de la Suède me paraît dental, tandis que le nôtre est uvulaire ». La première de ces assertions est une erreur. Nous pouvons constater tous les jours que cet r est bien uvulaire, mais il diffère du son français en ce qu'il est moins distinct, moins vibrant, plus «< spirantisch »; dans le grasseyement français, la luette semble être poussée plus avant sur le dos de la langue 15.

Je ne me serais pas étendu si longuement sur ces petites divergences, si je ne croyais pas que le sujet même a un certain intérêt. En outre, je n'ai pas voulu paraître plus en désaccord que besoin n'était avec M. J., chez lequel je reconnais une grande compétence dans la linguistique germanique et romane, et auquel je suis très reconnaissant du jugement général, si flatteur pour moi, qu'il a porté sur mon livre.

Si je n'ai pas fait une édition française de mon livre, c'est qu'il m'a semblé que le public français s'intéresse peu à cette sorte de recherches 16. Témoin le fait étonnant qu'une revue comme la Romania, une des

premières revues scientifiques du monde et qui traite de l'ancienne langue du pays même, n'a que deux ou trois cents abonnés payants (dont une grande partie sont des étrangers), et ne pourrait pas subsister sans le secours du gouvernement, qui en achète un certain nombre d'exemplaires pour les distribuer gratuitement.

Je terminerai ces observations, déjà trop longues, par le vœu qu'un phonétiste français compétent fasse bientôt la phonologie de la langue parlée actuelle du nord de la France et surtout de Paris. Il est des particularités et des traits distinctifs dont les indigènes ne s'aperçoivent pas; sur ces points, l'opinion des phonétistes étrangers n'est pas à dédaigner 17. D'autre part, il y a un grand nombre de faits, de tendances et d'habitudes qu'il faut être indigène pour connaître à fond. En réunissant les recherches et les observations de tous, on finirait par faire une œuvre complète.

Christiania, le 20 octobre 1882.

Joh. STORM.

(1) J'ai eu tort, je le reconnais, de dire que M. Storm attribuait à l'u de un la méme valeur qu'à l'eu de peuple; seulement je doute un peu que cet u soit plus ouvert que l'eu du mot peuple.

(2) Je n'ai jamais dit le contraire; seulement M. S. me permettra de faire remarquer que les étrangers « qui ne connaissent pas les voyelles nasales» sont très mauvais juges de leur valeur véritable et les prononcent, par suite, un peu à l'aventure. (3) Je suis très content qu'un phonétiste aussi autorisé que M. S. partage ma manière de voir sur ce point et je suis heureux de lui avoir donné l'occasion de se prononcer sur une question de phonétique très mal étudiée, je crois, et très mal résolue chez nous.

(4) Il y a là, en effet, un malentendu qui est maintenant éclairci; je m'étais mépris sur la valeur de la notation de M. Storm. Quant à l'approbation que j'ai paru donner à sa manière de voir au sujet de la valeur dentale de l'n de vingt-deux, je la retire décidément; je crois qu'il n'y a que deux manières possibles de prononcer vingt-deux : vé-t-do qui est la prononciation générale dans le nord de la France, ou vèn'da qui est, je crois, la prononciation de M. L. Havet. [M. Havet entend la prononciation de ce mot conformément à la notation de M. Storm. — Réd.}

(5) Je crois que le gn italien, le n espagnol et le gn français sont identiques, et c'est aussi, il me semble, l'opinion de M. Havet; je ne puis donc admettre que notre gn soit « très ressemblant au ng germanique »; M. S. dit lui-même, p. 37, que c dernier son nous est « entièrement étranger et incompréhensible (ein ganz fremder und unbegreiflicher Laut), ce qui est vrai; mais comment en pourrait-il en être ainsi, si nous avions dans notre langue un son qui lui fût « très ressemblant »>?

(6) De ce que la plupart des Français prononcent l'anglais sing comme signe eela ne prouve nullement qu'ils ne « se doutent d'aucune différence entre ces deux sons » ; cela prouve seulement qu'ils ne veulent pas se donner la peine de prononcer le premier.

(7) M. S. a dit, p. 47, que notre gn est un ng, non un n mouillé, ce que je crois de tout point inexact.

(8) Certainement; aussi n'ai-je pas attribué cette opinion à M. Storm. Ne pouvant me servir du signe qu'il emploie (et que je représente ici par ng), j'avais écrit surmonté d'un point à la place du dernier; on a imprimé un n simple, ce qui n'a plus de sens : Pro solo puncto, etc. On me croira d'autant plus facilement qu'à la même ligne on a imprimé, ce qui me rend presque inintelligible, il faut au lieu de ils font.

(9) Je n'ai pas besoin de dire que je ne confonds nullement l'n guttural et l'n dental. (10) Je doute beaucoup de la première de ces affirmations; quant à la seconde, elle est en grande partie vraie et prouve que l'n mouillé tend à se transformer en n simple, comme cela arrive, je l'ai dit, dans certains mots.

(11) Je n'ai pas besoin de dire combien je suis aise de voir M. S. se ranger si complètement à mon avis sur ce point.

un Suédois

(12) En disant cela, je faisais allusion à l'auteur - d'un petit dictionnaire du patois normand du val de Saire, dans lequel tous les mots, qu'ils soient terminés par une explosive ou par une chuintante, sont écrits sans e muet ou sans apostrophe qui indique que la voix ne doit pas tomber immédiatement après la con

sonne.

(13) J'ai dit que M. S. distinguait avec raison l'e obscur allemand de l'e muet français; je me suis étonné seulement qu'il parût admettre que cet e sonnât à nos oreil. les comme un e fermé.

(14) Je ne puis dire qu'une chose, c'est que j'ai été frappé, il y a deux mois, de la ressemblance qu'il y a entre l'e final scandinave et l'e fermé de mon pays.

(15) Ce que je sais, c'est que pour arriver à prononcer l'r scandinave, je m'efforçais de former l'articulation près de la racine des incisives supérieures, ce qui est le caractère de l'r dental, d'après M. S. lui-même qui cite, p. 39, pour exemple d'un r DENTAL le norv. tre, « dans lequel r, dit-il, est formé à la même place que le t». (16) Je crois que M. S. n'a pas eu tort de ne point faire une édition française de son livre, par la raison fort simple qu'il n'en aurait pas vendu dix exemplaires; il aurait dû voir que la critique est dirigée contre nous et ne s'adresse nullement à lui. (17) C'est évident, et voilà pourquoi il y a tant à prendre, même pour la connaissance de notre langue, dans le livre de M. S., qui témoigne à la fois d'une observation si patiente et si juste et d'une connaissance si approfondie des idiomes germaniques et romans. Je terminerai ces observations à mon tour par un vou, c'est qu'on arrive enfin à créer un alphabet uniforme pour désigner les différents sons, et que les signes employés se trouvent dans toutes les imprimeries sérieuses.

C. J.

VARIÉTÉS

BIBLIOGRAPHIE CRÉOLE

Nouvelle note additionnelle.

Depuis la publication de notre essai de bibliographie créole (Revue critique des 29 août et 7 novembre 1881), nous avons retrouvé quelques notes qui se rapportent à ce sujet. Comme les matériaux de cette branche de la linguistique sont peu connus, même des spécialistes, il ne nous paraît pas inutile de donner ici ces quelques titres.

Une variété de créole n'a pas été signalée par M. Coelho; c'est :
L'Anglo-Indou.

The Anglo-Indian Tongue, article du Blackwood's Magazine de mai 1877. L'Academy, en annonçant cet article, disait : « The Anglo-Indian Tongue » is a paper to be commended alike to the curious in the local slang of all nations as an etymological problem, and to the Indian officers and civil servants, who find their account in accommo

dating themselves in a great measure to the language of the country, the peculiarities of which, whether in the culinary, complimentary, legal, or objurgatory lines, are cleverly set forth in this article. »

Specimen of Hindu English, article du Chamber's Journal d'avril 1878.

Le journal le Times, dans son numéro du 11 avril 1882, a publié sous le titre de Baboo-English un article sur l'Anglo-Indou; mais ily est question moins de la langue parlée que de l'anglais assez idiomatique, et avec saveur du terroir, des lettrés indous, quand ceux-ci écri• vent en anglais.

Anglo-nègre de Surinam (Coelho, p. 62).

L'auteur de la «< Kurzgefasste Neger-Englische Grammatik. Bautzen, 1854 », signalée par M. C., est L. WEISS.

Ajouter le titre suivant:

VAN DYK, P., onderwyzinge in het Bastert-Engels of Neeger-Engels, in de Hollandsze Colonien (Surinam). Amsterdam (17..) 112 p. in-8. Anglo-nègre des Etats-Unis.

Slave-songs of the United States, preceded by an account of these Songs and an Essay on the Negro Dialects observed at Port Royal by Prof. W. F. ALLEN, of the University of Wisconsin, in-8, 1875, 1 doll. 50 c. New York, office of the Nation.

W. OWENS : Folk-Lore of the Southern Negroes, dans le Lippincott's Magazine de décembre..... J'ai oublié de noter l'année : ce doit être entre 1875 et 1880.

Anglo-Indien de l'Oregon (Etats-Unis d'Amérique).

Cette langue, que M. C. mentionne en passant (p. 62), a été l'objet d'une publication spéciale :

GIBBS, G., Dictionary of the Chinook Jargon (chinook-engl. and engl.-chin.) or Trade Language of Oregon. in-8. Washington, Smithsonian Institute, 1863.

Nous ignorons à quelle variété anglaise se rapporte l'article suivant: A. A. HAYES, Jr.: Pidgin English, dans le Scribner's Monthly de janvier..... (entre 1875 et 1880).

Lingoa Geral.

A la bibliographie donnée par M. C., p. 27, ajouter :

On the lingoa geral, by Prof. HART, of Cornell University, dans les Transactions of the American Philological Society (cf. l'Academy, 15 juillet 1873, p. 203).

Ph. de Martins, dans son Ethnographie de l'Amérique et en particnlier du Brésil, parle aussi de la lingoa geral.

Enfin, à notre propre bibliographie du créole français, nous ajouterons aujourd'hui :

JACOB DE CORDEMOY. Les refrains populaires à la Réunion, dans les Bulletins de la Société des sciences et arts de l'Ile de la Réunion. Saint-Denis, in-8°, année 1874, PP. 90-106.

H. GAIDOZ.

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