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outre, le nombre assez considérable de points sur lesquels M. M. attaque, par exemple, M. Mommsen, prouve la bonne foi et l'indépendance de

l'auteur.

Le premier volume de M. Mispoulet traite uniquement de la constitution; le second sera consacré à l'administration. L'auteur s'excuse (p. x1) d'avoir réservé pour ce dernier le chapitre relatif à la classification des personnes. Elle « ne pouvait être bien comprise, dit-il, que lorsqu'on aurait connu préalablement l'organisation territoriale. » C'est là une assertion des plus étranges. Sans doute les cités étaient divisées en villes romaines, latines, alliées ou soumises; mais l'explication de ces titres, la définition de la cité sans suffrage, l'exposé des privilèges de l'ordre équestre et de la noblesse sénatoriale, tout cela va parfaitement sans l'étude des provinces, sans l'examen des pouvoirs du proconsul ou du légat. La vérité, au contraire, c'est que les attributions des gouver neurs et des magistrats en général ne peuvent être expliquées si l'on ignore la condition sociale des personnes placées sous leurs ordres. Par exemple, l'administration de l'Italie, sous la république, a varié avec les droits de ses habitants : c'est donc précisément l'organisation territoriale qui ne saurait se comprendre sans l'étude des différentes classes de citoyens. Cette étude a sa place marquée en tête de tout livre sur la constitution romaine. C'est pour l'avoir d'abord négligée que M. M. est sans cesse contraint d'y revenir, mal à propos et d'une façon fort insuffisante. Dans la période royale, il est bien obligé de parler des patriciens. de la clientèle, des plébéiens: il fie le fait qu'après s'être occupé des tribus, des curies et des gentes. Sous la république, il fait intervenir, au sujet de chaque magistrature, la lutte entre les plébéiens et les patriciens lutte qui n'a aucun sens, du moment qu'il n'est pas dit que la révolution de 509 a été purement aristocratique et a maintenu les distinctions sociales. De l'ordre équestre, un des éléments les plus importants de la constitution romaine, il est à peine question dans ce livre : il en est fait mention à propos des comices centuriates; un chapitre lui est consacré à la suite des curatelles et des préfectures du temps de l'empire. La noblesse des clarissimes du bas empire est étudiée immédiate ment après le consulat et les magistratures dites sénatoriales. Ce sont autant de contre-sens historiques, conséquences du plan adopté par

que M. M. cite (p. 323) comme se rapportant au vicarius præfecti urbi (Cod. T 1, 6, 2. 3; 11, 30, 36; Cassiodore, Variae, 6, 15) concernent tous le vicis præfectorum prætorio in urbe Roma (cf. Symmaque, Relationes, 23, éd. Meyer 1. Toutefois, il nous semble que M. Mommsen, sauf pour certains points de a constitution impériale, a toujours raison contre M. Mispoulet et les auteurs que suit ce dernier par exemple, au sujet du caractère primitif des tritus. réel selon M. Mommsen, topique suivant M. Mispoulet (p. 40); - de la distinct. à faire entre les actes censoriaux liés au lustrum et ceux qui en étaient indépendants. distinction que M. Mispoulet n'admet pas (p. 109); - des droits que le peuple s réservait (Reservatrechte), et dont M. Mispoulet nie l'existence (p. 136); etc.

M. M. pour l'ensemble de son ouvrage. Aussi le livre, décousu et désordonné, gêne et déroute le lecteur.

L'idée générale que se fait M. M. de la constitution romaine excuserait peut-être le peu d'importance qu'il semble attacher à la question des classes. Malheureusement il ne cherche pas lui-même cette excuse; en outre, cette idée se trouve toujours à l'arrière-plan, placée dans le cours d'une discussion, reléguée parfois au bas d'une note; enfin il faudrait la défendre et la prouver mieux que ne fait l'auteur. « C'est à tort, dit-il (p. 214; cf. p. 57), que certains auteurs considèrent le gouvernement de la république romaine comme démocratique et le peuple comme souverain; le véritable souverain, c'est le magistrat revêtu de l'imperium... En principe, il a tous les pouvoirs; seulement, pour certains actes, il est tenu d'obtenir le concours des comices ou du sénat. » Ailleurs (p. 247, n. 12), il représente le pouvoir impérial comme ne reposant pas sur la souveraineté du peuple. Cette théorie est en contradiction avec celle de MM. Mommsen et Madvig, et, ce qui est plus grave, avec les idées des Romains eux-mêmes. Les magistrats sont bien, à la rigueur, des souverains; mais c'est du peuple qu'ils tiennent cette souveraineté, et c'est au nom du peuple qu'ils l'exercent: ils s'appellent magistratus populi romani. Tous les pouvoirs émanent du peuple, disait Cicéron : Omnes potestates, imperia, curiationes, ab universo populo romano proficisci convenit. Et Cicéron ne faisait que reproduire la pensée des anciens Romains qui est devenue, sous l'empire, celle de tous les jurisconsultes, depuis Tacite jusqu'à Tribonien; au temps de Justinien, alors que la puissance impériale était tout autrement absolue que n'avait jamais pu l'étre celle des consuls ou celle du roi, on disait encore que la souveraineté de l'empereur résultait de ce que le peuple abdiquait entre ses mains tous ses droits et tous ses pouvoirs : Omne jus omnisque potestas populi romani in imperatoriam translata sunt potestatem 3, dit la préface du Digeste.

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Si, de l'examen du plan et de la théorie générale, on passe à l'étude des différents chapitres, on sera également frappé du peu de relief que présentent les idées principales, ou. plutôt, de l'incertitude qui règne dans la pensée de l'auteur. Cela est frappant quand il s'occupe des institutions primitives. Il n'y a guère que deux façons de les exposer: s'en tenir aux textes d'Aulu-Gelle, de Denys, de Tite Live et de Festus, ne point chercher à concilier ce qu'ils ont de contradictoire, reconnaître, en un mot, l'ignorance absolue où nous sommes et où étaient déjà les anciens au sujet de l'organisation première du peuple romain; ou bien, accepter le système qui concilie le mieux les textes, admettre que la cité

1. Cicéron, De lege agraria, 2, 7, 17; cf. Festus, vo cum imperio (Ep., p. 50); Varron, De lingua latina, 5, 87.

2. Tacite, Annales, 1, 1; Historiae, 1, 1; Dion Cassius, 53, 17. 3. Cf. Justinien, Institutiones, 1, 2, 6; Gaius, Inst., 1, 5.

était uniquement patricienne, qu'il n'y avait que des patriciens dans le sénat, que les curies étaient des réunions de gentes patriciennes. M. M. ne peut se décider. Tantôt (p. 154) il suit « la tradition, lorsqu'elle affirme qu'il y a eu, à cette époque, des sénateurs plébéiens »; tantôt il s'en écarte (p. 111, n. 8) et déclare qu'« il est impossible d'admettre avec les historiens anciens que les premiers tribuns étaient élus par les curies, d'où étaient exclus les plébéiens 2. >>

I

Cette incertitude fait que M. M. se trouve souvent en opposition, comme malgré lui, avec ses propres intentions. L'une des meilleures qu'il ait, assurément, est celle de prouver qu'il n'y a pas de solution de continuité entre ce qu'on est convenu d'appeler le principat et le bas empire. Dioclétien et Constantin (p. 298) se seraient uniquement «bornés à achever l'œuvre commencée dans la période précédente, œuvre qui consistait à mettre en harmonie les formes du gouvernement avec son principe. » M. M. est le premier qui, dans un traité de droit romain, ait insisté avec force sur cette très juste idée. Le malheur est que, dans sa manière de parler, M. M. se fait l'esclave des vieilles habitudes: si l'on s'en tient à ses expressions, l'histoire de l'empire romain comprend toujours deux périodes, l'une avant, l'autre après Dioclétien. Par exemple, « dans la période précédente, la dignité impériale, comme celle de César, étaient, en théorie du moins, conférées par le sénat. A partir de Dioclétien, le principe subsiste (p. 305). M. M. met sur le compte de Dioclétien un certain nombre de réformes qu'aucun texte ne lui attribue s'il était conséquent avec luimême, il en ferait l'œuvre des réformes accomplies pendant le mr siècle. Parmi les << procédés » employés par Dioclétien et Constantin pour réor. ganiser l'empire (p. 299), M. M. place la séparation des pouvoirs civil et militaire et cela n'est vrai que pour la préfecture du prétoire; il suf fit de lire l'Histoire auguste pour voir que le principe de cette sépara tion, de ce «< procédé » date des premières années du me siècle : en ce qui concerne le gouvernement des provinces, il semble que dès Sévère Alexandre le commandement des soldats fut séparé de l'administration civile 3.

Cette indécision est générale : elle se rencontre à propos des faits les plus connus et des questions les plus certaines. Nous ne trouvons nulle part une discussion serrée, où la pensée de M. M. se détache nettement de celle de son adversaire : souvent même les expressions de M. M. donnent à cette dernière une obscurité qu'elle n'a réellement pas. Ce qui est

1. Tite-Live, 5, 12; cf. Madvig, 2, 9; en sens contraire, Willems, Le sénat re main, 1, p. 60; Fustel de Coulanges, La cité antique, 4, 5.

2. Denys, 6, 89; 9, 41; Tite-Live, 2, 56; on sait que Denys considère, 9, 45, ie principe des comitia curiata comme démocratique; cf. Staatsrecht, II, (2a edi p. 260; en sens contraire, Madvig, 2, 5; 3, 3.

3. C'est la théorie de Borghesi, Euvres, III, p. 277; V, pp. 397-405, d'après Lampride, V. Alex., 24.

plus fâcheux encore, c'est l'absence complète de netteté dans les définitions, c'est cette perpétuelle tendance, qui se retrouve dans le détail comme dans l'ensemble de l'ouvrage, de supposer les choses déjà connues du lecteur. M. M. ne cesse de parler de l'imperium consulaire : nulle part il n'en donne une définition complète et satisfaisante; et, pourtant, on trouve, dès les premières pages, cette phrase qui est au moins fort bizarre (p. 32): « Le caractère principal du pouvoir royal, dont les limites ne nous sont pas connues, c'est l'imperium consulaire, sans les restrictions qui lui ont été imposées sous la république. »

Il y a peu de livres où l'incorrection typographique soit si grande. On se console aisément des coquilles du texte français: on pardonne bien. moins volontiers celles des citations latines, qui ont le malheur de ressembler à des solécismes. Il faudrait aussi que M. M. se décidât entre deux orthographes, pomerium ou pomœrium, qu'il eût un système fixe dans la transcription des titres d'ouvrage, et qu'il ne les abrégeât pas à l'excès ce qui rend les notes ou très fatigantes à lire ou impossibles à déchiffrer. Une condition sine qua non pour qu'un livre ait une apparence sérieuse, c'est que les mots grecs soient accentués: il est même étrange et pénible qu'on ait à faire ici cette remarque. Mais il vaudrait mieux négliger absolument de le faire que d'écrire 'Papaiov (p. 46), περὶ ἀρχῶν (p. 56), στρατηγός αυτοκρατωρ (p. 135). On a encore le droit de reprocher à M. M. de n'avoir pas cité les inscriptions publiées dans les recueils d'Orelli-Henzen et de Wilmanns suivant le numéro qu'elles ont dans le Corpus, quand on voit M. Madvig lui-même regretter et s'excuser de n'avoir pu le faire.

Nous avons tenu à insister sur les défauts de ce livre, moins pour déconseiller de s'en servir que pour engager l'auteur à le revoir, à le remanier. Car il renferme une somme considérable de travail et de bon travail ce serait un grand dommage si elle se trouvait perdue. M. M. n'a plus à chercher ses textes ni à étudier les auteurs de seconde main : il doit s'étudier lui-même. Certaines parties où il n'a pas eu de devanciers, comme son étude sur le sénat du bas empire, sont bien traitées. Des théories, où il a su ne point s'écarter de l'idée maîtresse, comme celle sur la lex regia, sont clairement exposées. M. M. a, de plus, l'avantage d'avoir reçu une instruction à la fois juridique et épigraphique, d'avoir étudié en même temps la science des institutions et du droit romain ; les travaux de M. Cuq ont récemment montré quel profit ces deux sciences peuvent tirer l'une de l'autre. On doit, en particulier, lui savoir un gré infini d'avoir, le premier peut-être en France, dans un livre sur les institutions romaines, utilisé le magnifique traité de M. de Jhering' sur l'esprit du droit romain. Ce n'est donc pas le fonds qui manque à l'ouvrage de M. Mispoulet. Camille JULLIAN.

1. Geist des ræmischen Rechts, Leipzig, 1854 (dernière édition 1874-1877), traduit par M. de Meulenaere, Paris et Gand, 1877, 4 vol. in-8. Pourquoi M. M. s'obstinet-il à écrire Jehring?

215. Histoire du christianisme depuis son origine jusqu'à nos Jours, par Etienne CHASTEL, professeur de théologie historique à l'université de Genève. Paris, G. Fischbacher, 1882. grand in-8°. Tome I, de xii et 464 pp. Première période, Le christianisme avant Constantin, et tome II, de 631 pp. Seconde période, de la conversion de Constantin à l'hégire de Mahomet.

On ne saurait mieux faire, pour donner une idée de cet ouvrage, que de mettre en lumière l'esprit dans lequel il a été conçu. M. Chastel n'a voulu écrire ni une de ces chroniques dans lesquelles on s'est si souvent contenté de rapporter les événements saillants de l'histoire ecclésiastique, sans en montrer l'enchaînement historique, et sans marquer les antécédents de chacun d'eux, ni un de ces plaidoyers inspirés par des intérêts ou des préoccupations dogmatiques, et destinés à prouver, au mépris de la vérité historique, que l'enseignement de telle ou de telle Eglise est le seul conforme à la prédication primitive du christianisme. Ce qu'il s'est proposé, il nous le dit lui-même, c'est sans doute de raconter les divers evénements qui se sont produits dans l'Eglise, et de faire connaître les différentes conceptions théologiques qui y ont été proposées et qui y ont eu des fortunes fort diverses, mais aussi d'en rechercher les antécédents et les causes, de les discuter, et d'en indiquer les conséquences; c'est encore de marquer nettement les diverses tendances qui s'y sont dessinées, selon les temps et les lieux, dans la manière de comprendre et de pratiquer le christianisme, non pour condamner les unes ou les autres, mais pour les expliquer, en montrant d'où elles viennent, et ce qui les a provoquées; c'est enfin de se placer entre les partis religieux qui se sont disputé, qui se disputent encore la prépondérance, non pour donner toujours exclusivement raison à l'un d'entre eux, mais pour faire voir ce qu'il y a de fondé dans leurs prétentions respectives, impartialité raisonnée et appuyée sur les faits, qui a cet avantage sur la controverse que, autant celle-ci prolonge et envenime les débats, autant celle-là les abrège et les tempère, en reconnaissant au passé son ancienne raison d'être, et à l'avenir ses raisons légitimes pour succéder au passé.

Ces principes dont s'est inspiré M. C., sont de nature à nous faire espérer d'avoir enfin dans notre langue une histoire ecclésiastique ré pondant à toutes les exigences de la science moderne. C'est d'après eux qu'ont été écrits les deux premiers volumes que nous avons déjà entre les mains, et que le seront certainement aussi ceux qui doivent les

suivre '.

De ces deux volumes, consacrés à présenter le tableau de ce que M. C. appelle le premier âge du christianisme, le premier contient l'histoire des trois premiers siècles de l'église chrétienne. Après avoir

1. Le troisième volume traitera de l'Eglise pendant le moyen âge, et le quatrième et le cinquième des diverses vicissitudes du christianisme depuis l'origine de in Réformation jusqu'à nos jours.

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