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157.

Sommaire: 156. PERROT et CHIPIEZ, Histoire de l'art dans l'antiquité.
MADVIG, La constitution et l'administration de l'empire romain.- 158. GODEFroy.
Dictionnaire de l'ancienne langue française. — Chronique. Académic des Ins-
criptions.

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156. — Histoire de l'Art dans l'antiquité, par MM. Georges PERROT et Charles CHIPIEZ. Tome Ier, l'EGYPTE. Grand in 8° de LXXVI-879 pages; 14 planches et 591 figures. Paris, Hachette, 1882.

Le grand ouvrage dont nous signalons aujourd'hui le premier volume aura ce mérite, entre plusieurs autres, de paraître à son heure. Il y a vingt ans encore, il eût été trop tôt pour l'entreprendre. Si le Manuel d'Otfried Müller, excellent en son temps, ne suffit plus aujourd'hui, c'est qu'il a été composé avant les découvertes qui nous ont révélé l'art oriental. Le sol de l'Egypte, de l'Assyrie, de l'Asie Antérieure, de la Grèce ellemême, réserve sans doute aux futurs explorateurs plus d'une surprise, qui pourra modifier les idées et les théories actuellement en cours. Cependant, on connaît un assez grand nombre de monuments de provenances et d'époques diverses, assez de résultats importants sont désormais acquis à la science, pour qu'on puisse aujourd'hui, sans courir le risque d'erreurs capitales, essayer de retracer l'histoire générale de l'art dans l'antiquité. Cette histoire n'a encore été traitée par personne d'une façon complète. En Allemagne, le Manuel de Kügler revu par Lübke, l'histoire plus développée des Arts plastiques de Carl Schnaase, n'accordent pas à l'antiquité la place qu'elle mérite. Bernhard Stark, qui avait entrepris de refaire, sur un plan nouveau, le travail d'Otfried Müller, arrêté par la mort, ne nous a laissé qu'une Introduction'. On peut dire que l'art grec lui-même a été étudié plutôt par parties que dans son ensemble. Nous possédons une bonne histoire de la sculpture grecque, celle d'Overbeck; nous ne possédons pas d'histoire complète de l'art grec. Pour la Grèce, comme pour l'antiquité tout entière, l'ouvrage de MM. Perrot et Chipiez comblera donc une lacune. Le cadre en est nettement déterminé. De ce cadre sont exclus, pour de fort bonnes

1. On sait que cette introduction a été publiée sous le titre de Systematik und Geschichte der Archaeologie der Kunst (Leipzig, Engelmann, 1880). Cf. Revue critique 1879, no 24, art. 111.

2. Nous n'oublions pas l'ouvrage de H. Brunn, Geschichte der griechischen Künstler, mais cet ouvrage, d'ailleurs si important, est plutôt, comme l'indique son titre, une histoire des artistes qu'une histoire de l'art lui-même.

Nouvelle série, XIV.

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raisons, l'art préhistorique et celui de l'extrême Orient. L'antiquité dont il y est question, c'est, outre l'antiquité classique proprement dite, celle qui a été en rapport direct ou indirect avec la Grèce. La Grèce formera donc «< comme le centre et le cœur » de l'ouvrage. Ce que les auteurs se sont proposé, c'est avant tout d'écrire une histoire de l'art hellénique, mais une histoire de l'art hellénique qui a pour introduction nécessaire l'étude de l'art chez les peuples de l'Orient, pour épilogue non moins nécessaire, l'étude de l'art des peuples italiotes. Tel est, dans sa simplicité et dans son unité, le plan général de l'œuvre. Pour l'exécution de ce plan, M. P. a jugé bon de s'adjoindre un collaborateur. Si l'on songe que ce collaborateur est M. Chipiez 1, on estimera que cette association ne peut avoir que d'heureux résultats. D'une part, en effet, la division du travail permet d'espérer l'achèvement relativement prompt de l'ouvrage; de l'autre, on peut être assuré qu'aucune question technique n'aura été négligée, que l'architecture trop souvent sacrifiée, et pour cause, par les archéologues, occupera dans l'ensemble de cette histoire la place qui lui appartient, que tous les soins possibles seront donnés à la reproduction fidèle des monuments et à la bonne exécution des figures.

Ce premier volume est consacré à l'histoire de l'art en Egypte. Quelques personnes eussent peut-être souhaité que cette histoire fût écrite par un égyptologue. Notre avis est qu'il ne faut pas se montrer sur ce point plus exigeant que les égyptologues eux-mêmes qui déjà se sont prononcés. G. Ebers, tout en formulant quelques objections de détail, s'est plu à reconnaître hautement l'exactitude générale des informations recueillies par M. P., et leur parfait accord avec l'état actuel de la science. Il ya, dans un pareil témoignage, de quoi rassurer toutes les inquiétudes. On s'aperçoit bien vite d'ailleurs de la prudence qui a présidé à ces informations. Il est telles parties du sujet où il eût été périlleux de viser à l'originalité. M. P. s'est donc plusieurs fois borné à se faire le rapporteur des travaux et des opinions des savants spéciaux. L'exposition des idées des Egyptiens sur l'autre vie idées sans lesquelles on ne peut comprendre l'architecture funéraire-est en partie empruntée à M. Maspero 3. La description du mastaba, ou de la plus ancienne tombe privée de l'Ancien Empire, est donnée presque textuellement d'après Mariette, qui a ouvert le plus grand nombre de ces sépultures. On trouve ainsi, méthodiquement groupés et mis en œuvre, les renseignements les plus sûrs, puisés aux meilleures sources.

1. M. C. est l'auteur d'une Histoire critique des origines et de la formation des ordres grecs, couronnée, en 1877, par l'Académie des Inscriptions (Cf. Rev. critique, 1876, II, p. 374). Aux Salons de 1878 et de 1879, les connaisseurs ont remarqué ses Essais de restauration d'un temple grec hypaethre et des tours à étages de

la Chaldée.

2. Dans le Centralblatt, n° du 4 mars 1882.

3. M. P. nous avertit qu'il a beaucoup consulté et beaucoup fait causer M. Maspero, avant son départ pour le Caire.

Ce n'est pas une histoire complète de l'art égyptien, depuis ses origines jusqu'à sa décadence, que les auteurs ont prétendu écrire. La série des monuments qu'ils ont voulu étudier s'arrête à la conquête perse, c'est à dire au moment où l'art égyptien a accompli son évolution et épuisé sa force créatrice. A quoi bon parler longuement d'un art qui désormais se répète et se copie lui-même ? S'il est à peine question des monuments de l'Egypte ptolémaïque, en revanche une place très large est faite à ceux de l'Ancien Empire. Personne ne se plaindra de cette heureuse disproportion. L'art de l'Ancien Empire, cet art antérieur au rè. gne des conventions, qui a créé les types et façonné les moules dont se serviront les âges suivants, est de tous à la fois le plus intéressant et le moins connu. Les monuments qu'on en peut voir à Paris ou à Berlin sont fort peu nombreux; c'est en Egypte qu'il faut aller les étudier. Mais combien de personnes vont à Boulaq? Il faut donc remercier MM. P. et C. du soin qu'ils ont pris de décrire, après les avoir fait dessiner, les figures les plus remarquables qui sont sorties de la nécropole de Memphis. La simple vue de ces figures fera tomber bien des préjugés. Regardez le Scribe accroupi du Louvre (pl. x) et le cheikh-el-beled (fig. 7) du musée de Boulaq. Si vous croyiez encore à la raideur hiératique de l'art égyptien, vous n'y croirez plus.

L'histoire de l'architecture occupe plus de cinq cents pages, c'est-à-dire les deux tiers du volume. C'est que l'architecture est en Egypte l'art par excellence, dont la sculpture et la peinture ne sont que les humbles servantes. Si le sculpteur travaille, c'est pour l'architecture. Les images qu'a créées son ciseau ne sont point faites pour le regard des vivants: enfermées dans l'épaisseur du massif de la tombe, dans le serdab muré pour l'éternité, elles sont uniquement destinées à remplir un office religieux dans l'ensemble du monument construit et ordonné par l'architecte. De même la peinture, qui d'ordinaire se borne à orner de ses tons vits les parois du monument ou à compléter l'effet du modelé dans les statues et les bas-reliefs, la peinture n'est point, en Egypte, un art indépendant. On ne s'étonnera donc pas du large développement que M. P., grâce à la collaboration, ici très spéciale et très active, de M. C., a donné à l'histoire de l'architecture. La matière, d'ailleurs, est tellement riche, qu'il était impossible de l'épuiser. Il ne faut pas s'attendre à trouver dans ce chapitre une description détaillée de tous les grands monuments de l'Egypte. Les touristes, après l'avoir lu, auront encore besoin des Guides d'Isambert et de Baedeker; les architectes qui désireraient avoir les cotes des pyramides de Gizeh, ne seront point dispensés de recourir à Vyse et à Perring; d'une façon générale, toute personne qui sera curieuse d'étudier le détail de ces questions, devra consulter le grand ou vrage de Lepsius et celui de Prisse d'Avennes. Cette histoire de l'architecture égyptienne se propose autre chose que d'être complète : elle vise surtout à présenter au lecteur des résultats généraux; elle veut lui faire comprendre, par des exemples caractéristiques, ce qu'ont été, aux dif

férentes époques, les deux monuments essentiels de l'Egypte : le tombeau et le temple.

Le chapitre sur l'architecture funéraire sera lu par tout le monde avec un grand intérêt : d'abord, parce qu'il n'exige, pour être compris, presque aucune connaissance technique; ensuite, parce que la construction, si originale, de la tombe égyptienne, est éclairée d'une vive lumière par l'exposition des idées particulières aux Egyptiens sur l'existence des âmes après la mort. Ici encore, plus d'une idée fausse devra céder devant la réalité des faits. S'il y a dans le tombeau égyptien, sous le Moyen Empire comme sous l'Ancien et le Nouveau, des éléments toujours identiques (le puits et le caveau), rien de plus varié que les dispositions prises par les architectes, suivant les temps, suivant aussi la matière. qu'ils emploient ou le roc qu'ils attaquent. Quant aux pyramides, il n'y en a pas deux qui se ressemblent exactement. La pyramide méridionale de Dachour, dont l'inclinaison change vers le milieu de sa hauteur, la pyramide à degrés de Sakkarah démontrent jusqu'à l'évidence que tous ces monuments « ne sont pas des épreuves d'un même modèle coulées dans des moules de différentes grandeurs. » Il faut donc se garder de prononcer le mot d'uniformité à propos de la tombe privée ou de la tombe royale égyptienne. Ce mot serait contraire à la vérité des choses.Dans ce chapitre si intéressant, il n'est qu'un point où l'esprit du lecteur reste dans le doute : c'est au sujet de la construction des pyramides. Le système qui considère toute pyramide de grande dimension comme ayant pour noyau une pyramide plus petite, et comme formée par la superposition de plusieurs enveloppes pyramidales, système qui paraît être en faveur en Allemagne, est discuté ici et contesté. Les objections qui y sont faites paraissent très fortes; mais rien n'y est substitué. Les auteurs laissent bien entendre que les tombes royales n'ont pas été toutes construites d'après un système unique, mais ils oublient de nous dire quels étaient ces systèmes différents. S'il y a là une difficulté qui ne soit pas encore résolue, peut-être eût-il mieux valu ne pas soulever la question que la laisser en suspens.

Il était plus facile de faire comprendre la tombe que le temple, qui est beaucoup moins simple. L'ordre adopté dans cette seconde étude est l'ordre même dans lequel les objets s'offraient aux regards des visiteurs. On trouvera donc décrits successivement les abords du monument (dromos, avenues de sphinx, etc.), puis les pylônes, puis le monument luimême dans son ordonnance la plus générale. L'exemple choisi, pour rendre sensible cette ordonnance, est le temple de Khons à Karnak, qui a cet avantage d'être bien conservé et d'offrir réunis les traits principaux qui caractérisaient le temple égyptien. Les auteurs ne s'en tiennent point

1. On nous dit bien (p. 202) que la pyramide est née du tertre, qu'elle est le tertre bati. Mais on ne voit pas quels étaient les procédés employés pour cette bá

tisse.

cependant à cet exemple: ils entreprennent ensuite de nous expliquer, dans leur diversité et leur complication, les grands monuments de Thèbes. Les figures prêtent ici le concours le plus utile à la description. Nous sommes hors d'état d'apprécier la valeur des vues perspectives et des restaurations dues à M. C.; mais il nous sera permis de constater que, grâce à ces figures, la disposition des temples de Karnak, de Louqsor, du Ramesséum, est rendue aussi claire que possible, et qu'on ne peut avoir lu attentivement ce chapitre, sans en emporter une idée nette des caractères dominants du temple égyptien. Quelques pages seulement sont consacrées à l'architecture civile et militaire dont il est resté peu de traces; après quoi, on arrive à l'étude de la construction, à celle des ordres et à l'analyse des formes secondaires. On remarquera surtout les développements relatifs à la voûte, au pilier et à la colonne. Les origines de la colonne égyptienne ont déjà suscité plus d'une hypothèse. En général, on croit y reconnaître une copie de formes végétales: les colonnes à chapiteaux campaniformes seraient une imitation du papyrus et de sa panicule; les colonnes à chapiteaux dit lotiformes, une imitation du lotus. Une comparaison soigneuse des soit-disant modèles avec les prétendues copies montre qu'il entre dans ces rapprochements une part de fantaisie, et nous ne sommes point surpris que MM. P. et C. écartent cette hypothèse. Ils lui en substituent d'ailleurs une autre, voisine de celle-ci, mais plus modeste, en ce sens qu'elle ne prétend expliquer que le chapiteau tout seul et non la colonne, laquelle sans doute dérive simplement du pilier quadrangulaire. « Il est possible que, les jours de fêtes, on ait entouré de branchages et de fleurs les soutiens de bois et de pierre qui portaient le plafond des portiques... Par le bas et par le haut, lotus et papyrus ve. naient s'attacher au pilier qu'ils tapissaient. Les feuilles radicales traî naient à terre au pied du fût, tandis que les feuilles terminales et les fleurs s'étalaient en corbeilles sous l'architrave; elles élargissaient le chapiteau, quand il en existait un; elles suppléaient à son absence, lorsqu'il faisait défaut... Pourquoi l'architecte, quand il éprouva le désir d'embellir et d'orner sa colonne de pierre, ne se serait-il pas inspiré de ce décor? La conjecture est assurément séduisante et ne manque pas de vraisemblance; mais n'est-il pas encore plus sage de dire que « dans les lointains de ce passé, entreprendre de suivre l'obscure genèse de chaque forme d'art, ce serait risquer de perdre bien du temps en conjectures douteuses?»-Ce vaste chapitre de l'architecture, si instructif et si plein, ne nous paraît avoir qu'un léger défaut; c'est qu'il empiète parfois sur celui de la sculpture. Je sais bien que c'eût été donner une idée incomplète de la tombe et du temple que de passer sous silence les statues et les bas-reliefs qui y étaient enfermés; mais ne pouvait-on se borner à les indiquer et en réserver pour plus tard la description? Il est nécessaire, en effet, d'y revenir, de les rappeler au lecteur qui n'en a plus qu'un sou

1. Pag. 584.

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