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Cet ouvrage était encore trop peu avancé pour qu'on pût espérer de le voir continuer par quelque savant qui eût mis à profit les notes laissées par Stark dans ses papiers. Un de ses élèves, M. Kinkel, privat-docent à l'université de Zurich, a voulu, du moins, rendre un hommage durable à la mémoire de son maître, en composant un volume de mélanges archéologiques avec différents discours, mémoires et articles que Stark luimême s'était proposé de réunir et de publier, en vue du grand public. Par sa destination, par son caractère de généralité, par la variété des sujets qui y sont traités, ce volume échappe à une critique détaillée et approfondie. Nous nous bornerons donc à en faire connaître le contenu.

Le volume est divisé en quatre parties: 1° généralités sur l'art; 2o études relatives à l'antiquité; 3° études sur le moyen âge et les temps modernes; 4° biographies.

Dans la première partie, nous signalerons particulièrement aux lecteurs français le morceau sur l'enseignement de l'histoire de l'art dans les écoles supérieures de filles et les séminaires d'instituteurs. On sera sans doute curieux de savoir chez nous ce que pensait sur cette question, de l'autre côté du Rhin, en 1878, un esprit aussi distingué et un savant aussi spécial que Stark. L'étude de l'antiquité est représentée par les sujets suivants : les époques de l'histoire de la religion grecque; le mythe de Niobé 2; Voyages des monuments antiques; le roi Mausole et le Mausolée d'Halicarnasse; Pompei et Postum. La troisième partie du volume renferme quatre études, dont voici les titres: Rome et Cologne ou le développement de l'art chrétien germanique; Léonard de Vinci; Albert Dürer et son temps; Fr. Schiller. Enfin les biographies sont consacrées à Creuzer, à Böckh, au professeur Hermann Köchly.

Quelque jugement que l'on porte sur chacune de ces études, dont plusieurs nous ont paru d'une lecture agréable, il faudra savoir gré à M. Kinkel d'avoir pieusement recueilli et soigneusement publié tant de morceaux intéressants, dont la réunion témoigne de l'esprit large et facilement généralisateur que savait apporter dans les études d'archéologie le regrettable professeur de Heidelberg.

P. Decharme.

1. Le premier volume, renfermant l'introduction, a scul paru, en deux livraisons publiées, l'une en 1878, l'autre en 1880. Ces deux livraisons ont été réunies en un volume sous le titre de Systematik und Geschichte der Archæologie der Kunst, Leipzig, Engelmann, 1880. Voir le compte-rendu de la première partie, fait par M. Georges Perrot, dans la Revue (1879, 1or sem., p. 443 et suiv.).

2. Ce morceau, dont la date n'est pas indiquée, se rapporte sans doute à l'époque où Stark composait son livre sur Niobé et les Niobides (1863, Leipzig, Engelmann), livre qui restera son ceuvre principale et son titre d'honneur.

3. C'est ainsi que M. K. a réuni, à la fin du volume (pp. 437-509), les notes et observations relatives aux sujets traités. Plusieurs de ces notes renferment des indications importantes et des discussions d'un grand intérêt.

15.

Goethes Briefe an die Græfin Auguste zu Stolberg, spæter verwittwete Græfin von BERNSTORFF. Zweite Auflage mit Einleitung u. Anmerkungen. Leipzig, Brockhaus. In-8°, XL et 166 p. Prix 2 m. 50.

Les lettres les plus remarquables que Goethe ait écrites dans sa jeunesse, dans sa période de Sturm und Drang, sont peut-être celles qu'il envoyait à Auguste de Stolberg : « Ces deux êtres, » disait en 1830 Mme de Binzer (pp. xxxiv de l'introd.), « n'ont jamais pu se rencontrer, ils sont devenus des vieillards et descendront certainement dans la tombe sans s'être jamais vus. » Mais si Goethe n'a jamais vu Auguste de Stolberg, il l'a prise pour confidente durant ces années, où, selon une expres sion du Westoestlicher Divan, il appartenait à la troupe folle et fougueuse des jeunes génies » et n'avait pas encore approché les sages et leur divine douceur. Pendant les années 1775 et 1776, surtout pendant l'année 1775, c'est à Auguste de Stolberg qu'il ouvre son cœur; avec la plus entière sincérité il raconte à celle qu'il nomme son amie et sa sœur les phases de son amour pour Lili; il lui révèle les souffrances que lui cause sa passion; ses lettres à la jeune comtesse sont comme le journal de sa vie inquiète alors qu'il était follement épris d'Elisabeth Schönemann. Aussi sont-elles précieuses pour qui veut connaître la jeunesse du grand poète. D'ailleurs, Goethe ne parle pas seulement à Gustchen, comme il appelle familièrement la soeur des deux Stolberg, de la jeune fille qui le rend malheureux »; il entretient son amie de ses travaux, du Prométhée, de Faust, de Stella, de toutes les petites et charmantes poésies qu'il a composées au temps de son amour pour la future Mme de Türckheim, et l'on voit par ses lettres à Auguste de Stolberg combien il avait raison de dire que ses poésies étaient toutes des poésies de circonstance, qu'il n'a rien écrit qu'il n'ait vécu, que ses œuvres ressemblent à des confessions, et, selon son expression dans une lettre à la comtesse (p. 12), qu'il n'a fait que conserver et garder dans ses travaux les joies et les douleurs de sa vie. On remarquera que les premières lettres, écrites de Francfort ou d'Offenbach, ont plus de saveur, de franchise et d'intimité; celles que Goethe envoie de Weimar ont déjà je ne sais quoi de plus calme et de plus froid; il y a moins de verve, moins d'émotion et de sentiment; mais elles nous apprennent plus d'un détail important sur la cour de Weimar et réfutent les bruits mensongers qui couraient alors. Après la rupture avec Klopstock et le refus que fit Frédéric Stolberg de se rendre à la cour de Weimar, la correspondance devient plus rare et plus sèche; enfin, elle cesse en 1782. Pourtant, quarante ans après, dans l'automne de 1822, Auguste de Stolberg, - ou plutôt la comtesse de Bernstorff, écrivit à Goethe une lettre où respirait l'affection d'autrefois, et cette amitié qui avait été « la fleur de leur jeunesse ». La comtesse, animée d'une piété fervente et austère, écrivait Goethe pour le prier de croire à Dieu, au Dieu auquel elle-même avait cru toute sa vie; elle désirait le « sauver » et « tourner vers l'Eternel

le regard et le cœur » de son ami; certaine de retrouver dans une autre vie les êtres chers qu'elle avait perdus, elle voulait « emporter avec elle l'espérance d'y connaître Goethe ». Goethe lui répondit: sa lettre est une des plus belles, des plus graves et des plus éloquentes qu'il ait jamais écrites; il y a, disait-il, beaucoup de provinces dans l'empire de notre père (pp. 76-78); cette lettre clôt dignement la correspondance et forme un contraste saisissant avec les autres lettres du volume. - La première édition des lettres de Goethe à Auguste de Stolberg parut en 1839 par les soins de Binzer; c'est de la deuxième édition que nous rendons compte. Elle a été donnée par M. Wilhelm Arndt, professeur d'histoire à l'Université de Leipzig, qui s'est consacré depuis quelque temps à l'étude de Goethe et qui a pris d'emblée une des premières places parmi les plus savants connaisseurs du poète. Aussi ne voyons-nous qu'une modestie exagérée dans la préface où il demande l'indulgence des Goethe-Kenner. M. Arndt a consulté lui-même ou fait consulter (par MM. Carrière et Creizenach) les originaux des lettres de Goethe qui appartiennent aujourd'hui à Mme de Binzer, au freies deutsches Hochstift de Francfort, à M. Rud. Brockhaus, à la bibliothèque de l'Université de Leipzig. Il a mis en tête du volume une brillante introduction où il raconte la vie d'Auguste de Stolberg. Des notes rejetées en appendice (pp. 81-166) éclairent un grand nombre de passages de la correspondance. Ces notes abondent en rapprochements instructifs et en citations intéressantes; M. Arndt y fait preuve d'un profond savoir et en certains endroits d'une sagacité remarquable; on y trouvera également plus d'un renseignement inédit; bref, chacune des lettres de Goethe à la comtesse (il y en a 22) a son commentaire, et un commentaire parfait à tous égards. L'exécution du volume est superbe papier, encadrement des pages, impression, tout est à louer; cette publication fait le plus grand honneur à la maison Brockhaus 1. A. C.

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Wordsworth, by F. W. H. MYERS. London, Macmillan, 1881. 1 vol. in-16,

184 P.

L'Angleterre poétique a plusieurs fois déjà dans ce siècle changé d'idole au début, c'était Scott et son ménestrel qui avaient le grido; puis éclata Byron qui tonna et régna pendant quinze ans, « le Napoléon de l'empire des vers »; Byron, à peine mort, tomba du piédestal, et Shelley, qui de son vivant n'avait pas cent lecteurs, monta au pinacle et fut salué « le poète des poètes »; voici, de nos jours, un nouveau dieu qui monte et nous assistons à l'apothéose de Robert Browning de son vivant : E forse è nato

Chi l'un' e l'altro caccerà di nido,

1. P. 145, lire général et non « générale ». L'appendice renferme une lettre, datée du 25 avril 1776, et adressée par Auguste de Stolberg à Klopstock et à Mme de Winthem.

murmure peut-être quelque poète inconnu, ou quelque critique en quête d'un dieu nouveau.

Dans cette poussée ininterrompue, dans ce struggle for glory qui a épuisé en un siècle quatre générations de poètes, paraît une figure tranquille, indistincte et terne au début, mais qui de jour en jour a rayonné d'un éclat de plus en plus vif dans l'imagination, d'abord indifférente ou railleuse du public, et qui arrivera la première à sa place définitive dans le Panthéon, à l'abri des orages et des inconstances de la critique c'est le poète dont M. F. Myers nous raconte la vie et l'œuvre, Wordsworth. Les limitations évidentes de son génie, l'absence frappante de certaines cordes et de celles qui vibrent le plus puissamment dans le cœur des masses, empêcheront toujours qu'il se forme autour de lui de ces enthousiasmes bruyants, de ces incandescences d'admiration qu'ont allumées Byron ou Shelley de plus, dans ce nombre incalculable de vers qu'il a composés de vingt-cinq ans à quatre-vingts, et principalement dans ceux de sa dernière période, il y a tant de choses prosaïques et plates, « tant de somnolent et de ranci» (drowsy and frowzy, disait Byron), que tout fanatisme wordsworthien serait contenu et arrêté à ses débuts par la crainte salutaire d'une douche de ridicule : la dictature poétique de Wordsworth n'est donc pas à craindre. Mais, d'autre part, il a eu dans le domaine étroit de son génie une originalité si profonde et si pénétrante, il a été si évidemment un révélateur, qu'il n'a rien à craindre de l'avenir, et, à mesure qu'il sera plus connu, il aura plus de coeurs à lui, quoiqu'il ne soit jamais destiné à remplir un cœur tout entier. Il a fallu du temps pour que cette originalité se fit reconnaître : un poète qui exprime l'âme de son temps est aussitôt reconnu et la foule entière s'écrie: le voilà; mais un pareil poète n'est original que par l'expression, puisque sa pensée est la pensée même des hommes de son siècle : le poète vraiment original et vraiment créateur, celui qui apporte un message nouveau, ne peut guère compter sur le présent, avec qui il a peu de commun; «car c'est à lui à créer le goût d'après lequel il sera plus tard apprécié ». Tel fut Wordsworth, et il en eut la pleine conscience, ce qui lui donna la force de supporter quarante ans d'ironie et d'insulte sans douter un instant de lui-même et sans sentir un instant l'envie de rendre coup pour coup et de répondre à des injustices qu'il avait prévues, qu'il comprenait, et qui ne pouvaient plus être à ses yeux que la consécration attendue et éclatante de son génie et de sa mission. Wordsworth n'est guère connu en France que comme le poète des affections familières et de la réalité simple (quelque chose comme un Coppée anglais) : c'est ainsi qu'il nous fut présenté par Sainte-Beuve qui essaya de le suivre sur ce terrain et qui malheureusement, n'étant qu'artiste et curieux, tandis qu'il se croyait poète, échoua lamentablement. Cela, certes, Wordsworth le fut et nul ne l'a jamais été avec plus de poésie (Cowper seul, par instants): mais là aussi est son faible, c'est là qu'il trébuche le plus souvent, que la théorie et le système le font

dévier dans le trivial et l'insipide et que, l'inspiration l'abandonnant, il s'endort et endort. Mais ce qu'il fut avant tout et le premier de tous, c'est le révélateur de la nature; il n'a certes pas créé la poésie de la nature d'autres l'ont connue avant lui, d'autres après lui: mais le premier il sentit et rendit des rapports que nul n'avait encore saisis. entre l'homme et elle; le premier, il lut l'homme dans la nature et entendit en elle « la douce et triste musique de l'âme humaine »,

The still, sad music of humanity.

Il ne la voit pas en poète descriptif, évoquant devant l'œil, à force de couleurs et de traits accumulés, la vision matérielle des choses; il ne l'anime pas à la façon des mythologies anciennes en lui donnant une âme propre et une personnalité qui se dresse en face de la personne humaine la nature est vivante chez lui, comme dans les mythologies, mais d'une vie sœur de la nôtre, d'une âme qui est la nôtre même; elle 4, pour qui l'aime et qui sait l'entendre, des paroles qui sont en un accord merveilleux et avec nos sentiments humains et avec nos pressentiments divins; car, par ses mille voix de sons et de couleurs, «< par ces fées de vagues qui vont murmurant à jamais », par ces harmonies solennelles de lumière et de silence qui descendent la vallée de hauteur en hauteur dans quelque lueur purpurine du soir », elle parle à notre cœur de douceur, de bonté, de paix, de confiance; et elle est aussi, dans son langage à grands traits, ébauché et d'autant plus puissant, le médiateur entre notre monde et quelque monde au-delà de qui elle prend sa splendeur et dont la pompe, à travers elle, se glisse et se mêle à notre terre '. Le livre de M. Myers, qui appartient à la belle collection des Hommes de lettres anglais dirigée par M. Morley (English Men of letters), met en relief, avec un rare bonheur d'analyse et d'expression, les traits caractéristiques du poète. Le souffle de Wordsworth plane d'un bout à l'autre sur ce petit livre, et le poète se fût reconnu dans son critique. L'auteur joint à la sympathie poétique, sans laquelle toute critique avorte, une pénétration d'analyse qui, par instant, rappelle Sainte-Beuve. Je citerai entre autres sa discussion des théories de Wordsworth contrôlées et réfutées par ses œuvres mêmes. Wordsworth se proposait dans ses Ballades lyriques, qui furent son manifeste, de montrer qu'il n'y a point de différence essentielle entre le langage de la poésie et celui de la prose, et que la poésie ne fait qu'ajouter la cadence du mètre au langage réel de l'homme parlant dans un état de vive émotion (« by fitting to metrical arrangement a selection of the real language of men in a state of vivid sensation »). Il suffit au critique de prendre une strophe d'une de ses plus belles ballades, The Affliction of Margaret', et de l'analyser mot

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