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mais ils n'avaient pas su lui trouver une interprétation acceptable. Quand les celtistes s'en occupèrent, ils n'eurent pas de peine à en établir le sens général, quoique les premiers mots prétent encore matière à discussion. M. Pictet décomposa ainsi l'inscription: BUSCILLA SOSIO LEGASIT IN ALIXIE MAGALU, et la traduisit : Buscilla hocce remisit (ou donavit) in Alisia Magalo.

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Sur cette inscription on peut voir les observations de Becker, dans les Beitrage zur vergleichenden Sprachforschung, t. III, pp. 164, 189, 332 et 349 (où Becker étudie le mot Magalos et ses exemples dans les inscriptions latines) et t. IV, p. 154; et surtout le travail de Pictet : Nouvel essai sur les inscriptions gauloises, p. 62 et suiv.; voir aussi Roget de Belloguet, Glossaire Gaulois, 2° éd. (1872), p. 311; - comparez Zeuss, Grammatica celtica, 2o éd., pp. 47, 346, 763, 767, 782, 785 et 1088, b.

L'interprétation des premiers mots de cette inscription peut soulever quelque discussion, mais je n'ai pas à m'en occuper ici, puisque la fin — qui m'intéresse seule en ce moment, est d'une clarté incontestable; c'est un hommage fait à Alise Magalo, c'est-à-dire au dieu Magalos; car Magalu est, en gaulois, le datif régulier des thèmes en -o (correspondant aux thèmes indo-européens en -a). Comme Magalos signifie « grand »>, c'est un hommage «< au grand dieu »; nous ne pouvons savoir s'il s'agit là d'un dieu dont ce fût devenu le nom spécial, ou si c'est une épithète flatteuse donnée par le dévot au génie protecteur dont il espérait fortune ou guérison. Le même nom appliqué à un dieu reparaît en latin MAGLO (au datif) dans une inscription gallo-romaine qui a également échappé à M. d'A. de J. ', et où ce nom paraît bien comme épithète, avec le sens de « grand ».

Mais l'important ici dans ce texte incontestablement gaulois est la présence de l'a dans la seconde syllabe du mot. M. de Longpérier attribuait le vase « au ive siècle de notre ère ». M. Froehner (loc. cit.) estime que « les lettres ne remontent pas au-delà du me siècle de notre ère 2 ». Notre inscription se place donc au 1° siècle après J.-C. Ainsi, à cette époque, dans le centre de notre pays, une Gauloise gauloisante, gravant une inscription dans sa propre langue, écrivait, dans le mot MagAlos, ce second a que M. d'A. de J. condamnait à mort cinq siècles auparavant. Cet a, assurément, avait la vie bien dure, et il serait en droit de dire à son bourreau manqué :

Les mots que vous tuez se portent assez bien!

Comment expliquer que cet a se soit maintenu dans la forme gauloise - et aussi dans le MAGALius de l'inscription rhénane, quand il dispa

1. Voyez Bulletin de la Société des Antiquaires de France, 1855, p. 42; cf. Revue celtique, t. III, p. 300, b.

2. On peut voir le fac-similé de cette inscription dans l'article de M. de Longpérier, cité plus haut.

raissait d'ordinaire dans l'orthographe latine? C'est que, venant après une syllabe accentuée, il était atone : Mágalos avait l'accent sur la première syllabe; l'a de la seconde syllabe avait donc tendance à s'assourdir, d'autant plus qu'il s'appuyait sur une l, c'est-à-dire sur une consonne à moitié voyelle elle-même.

Cet exemple gaulois Magalu ne se trouve pas seulement dans les articles que nous avons cités plus haut; il est également cité dans Zeuss, Grammatica celtica, 2° éd., et par deux fois, p. 224 et p. 766 '.

Voilà donc toute une théorie de linguistique, toute une construction chronologique qui s'écroulent devant le témoignage d'un simple mot gaulois sauvé par hasard. On voit par là combien il est dangereux, quand il s'agit d'une langue dont on sait si peu de chose, d'établir des catégories, de préciser des dates, de croire et d'affirmer! Combien il faut éviter de ne jamais perdre le contact avec les documents directs, précis et incontestables!

Puisque nous parlons de l'élément gaulois dans le livre de M. d'A. de J., qu'on nous permette encore une observation, quoique celle-ci n'ait aucune importance de principe.

A la p. 77* de son livre, M. d'A. de J. cite un nom gaulois à l'orthographe étrange Pennoo-vindos et cette orthographe se rencontre encore aux pp. 78*, 93*, 94*, et 115* 2. Pennoo-vindos, par deux o, est ce que Zeuss appellerait une « scriptio abnormis ». M. d'A. de J. qui, d'après les mots bretons ou irlandais, reconstruit si aisément, par hypothèse, les mots gaulois qui ont dû exister, sait mieux que personne qu'entre la voyelle du thème nominal penno « tête » et l'adjectif vindos « blanc », il n'y a pas place pour une voyelle intercalaire. Cette orthographe, contraire à la grammaire, est bien, il est vrai, celle d'un texte gaulois, d'une monnaie (cf. Revue celtique, t. I, p. 297); mais cette légende est écrite en caractères grecs IIENNOOVINAOC.

Les Grecs n'ayant pas de caractère correspondant au v gaulois, on avait recours au signe OY: c'est ainsi que les Grecs faisaient quand ils transcrivaient les noms romains dans leur alphabet Valerius devenait Oaképtos, etc. Il en est de même pour les noms gaulois qui nous sont conservés dans les écrivains grecs, ou qui sont écrits en lettres grecques dans les inscriptions gaulcises du midi de la Gaule. Il faut donc, quand on transcrit en lettres latines le nom que la monnaie nous conserve écrit

1. « Je ne puis surtout trop insister sur l'utilité que présente une étude approfondie de la Grammatica celtica ». Cette observation judicieuse est de M. d'Arbois de Jubainville sur l'ouvrage même dont nous parlons (p. vIII *).

2. Quelques semaines après l'apparition du livre de M. d'A. de J., son chapitre consacré au P indo-européen en celtique était publié à nouveau dans les Mémoires de la Société de Linguistique, t. IV, fasc. 5, et nous y retrouvions Pennoo-vindos, PP. 429 et 430.

HENNOOVINAOC, écrire non pas Pennoo-vindos, mais Penno-vindos par un seul o).

En présentant ces observations aux lecteurs de la Revue critique, notre intention n'est pas de déprécier la valeur du savant ouvrage de M. d'A. de J. qui contient un grand nombre de choses excellentes et souvent neuves, par exemple (et pour ne citer ici que du gaulois), son explication du D barré dans l'alphabet et dans la langue des Gaulois. Aussi, pour terminer, nous nous associons volontiers au jugement de M. Loth quand il disait « Le livre de M. d'Arbois de Jubainville contribuera grandement, il faut l'espérer, à montrer la véritable voie aux personnes, de plus en plus nombreuses, qui s'intéressent aux choses gauloises et celtiques. »

H. GAIDOZ.

THÈSES DE DOCTORAT ÈS LETTRES

Soutenance de M. Souriau. (Vendredi 20 janvier.)

Thèse latine: De motus perceptione. - Thèse française: Théorie de l'Invention.

M. Souriau s'est proposé d'étudier dans sa thèse latine une question toute spéciale de psychologie expérimentale, la perception du mouvement, et il veut se servir, pour déterminer les lois de cette connaissance, des anomalies et des erreurs qu'il est facile d'y constater.

Une introduction destinée à montrer l'importance du sujet dans la théorie de la perception extérieure et de cette théorie elle-même dans la philosophie générale, ainsi que plusieurs chapitres du début sur la réduction de l'idée de mouvement à celles de l'étendue et de la durée et sur la subjectivité sur ces notions ont paru à plusieurs membres du jury plus métaphysiques que ne le réclamait l'étude proposće. M. Waddington refusait d'admettre ces prémisses; il disait qu'en tous cas leur place était plutôt à la fin du livre qu'au début.

L'auteur en vient cependant à se demander quel rôle joue chacun de nos sens dans la perception du mouvement, mais il n'insiste que sur celui de la vue et glisse rapidement sur tous les autres. On comprend cette inégalité de développement quand on songe que l'idée primitive de la thèse était d'étudier le rôle de la vision dans la perception du mouvement (de visione motus), mais on regrette, avec M. Paul Janet, qu'il y ait une étude aussi insuffisante sur la sensation musculaire. L'idée de mouvement n'est-elle qu'une conception de notre esprit ou bien faut-il admettre une sensation propre du mouvement? Ce fut, disait M. Janet, une question fort étudiée par l'école idéaliste; Destutt de Tacy admettait, à côté du sens musculaire, un sens du mouvement, et M. de Gérando, dans son histoire des systèmes de philosophie, en niait entièrement l'existence. M. S., quoiqu'il n'en ait rien dit dans son livre, paraissait à la soutenance se ranger à l'opinion exprimée par de Gérando; mais alors, comment peut-on dire, comme il l'écrivait, que l'idée du mouvement nous vient du dedans, de nous-mêmes, ne faudrait-il pas alors dire le contraire? Ces difficultés montrent qu'une étude psychologique sur les localisations naturelles des parties de notre

corps et des mouvements qu'elles exécutent aurait été peut-être nécessaire ici à côté de discussions un peu trop métaphysiques ou géométriques.

La dernière partie de l'ouvrage est consacrée à des analyses curieuses sur la perception de la distance par la vue, sur l'estimation de l'étendue, de la durée et sur celle de la vitesse. Quelques théorèmes nouveaux sur ces matières sont démontrés avec précision et appuyés d'expériences intéressantes. Un dernier chapitre de motu virtuali contient des recherches ingénieuses sur l'influence que notre propre mouvement peut avoir dans la perception des mouvements simultanés. L'auteur s'en sert pour établir une fois de plus et avec précision une des vérités philosophiques des plus connues, à savoir la relativité de nos perceptions sensibles et le rôle prépondérant de notre activité propre dans ces connaissances. Quoiqu'il soit impossible de ne pas admirer avec M. Joly la souplesse d'une langue latine qui se prête aux expressions et aux démonstrations les plus modernes, on ne peut s'empêcher de croire que ces discussions physiques et géométriques gagneraient beaucoup en clarté à être exposées dans le style et avec les termes qui leur sont propres. M. Carrau disait avec raison que ces faits, ces expériences, ces théorèmes pourraient être des matériaux excellents pour une étude sur un point spécial de la perception extérieure.

L'invention consiste dans la production d'une idée nouvelle. Elle nous apparaît comme une sorte de création ex nihilo et, à ce titre, semble contredire ce principe du déterminisme scientifique d'après lequel il n'y aurait rien de nouveau dans le monde. La thèse française de M. Souriau a précisément pour objet de démontrer que cette contradiction est simplement apparente. C'est un effort pour ramener l'invention et le génic à des causes déterminées, et pour les soumettre aux conditions de la science.

Avant de définir ce qu'est l'invention, l'auteur recherche ce qu'elle n'est pas. Elle n'est pas œuvre de réflexion. En effet, nous ne savons pas où est ce que nous cherchons, puisque nous le cherchons. Pour trouver, il ne suffit donc pas de faire attention. La réflexion stimule l'esprit, mais n'en fait pas jaillir une idée nouvelle. Elle est la condition du génie, elle n'est pas le génie même. Il y a plus. Il nous arrive rarement de trouver précisément ce que nous cherchons. « Au cours d'une conversation frivole, on imaginera la solution d'un problème scientifique; en lisant un traité de géométrie, on trouvera une idée musicale. » Les idées nouvelles naissent aussi souvent d'une distraction que d'une attention. La méthode n'est pas plus efficace. Elle suppose l'invention, mais ne la remplace pas. Elle est, en effet, le résultat d'inventions antérieures. Avec la méthode mathématique de Descartes, je puis résoudre des problèmes très difficiles de géométrie; mais je n'invente pas. C'est Descartes qui a inventé en trouvant sa méthode ; et il l'a trouvée sans méthode. Toute cette argumentation peut se résumer ainsi : l'invention n'est pas intentionnelle. Elle est donc l'effet du hasard.

Mais le hasard, c'est la contingence. Il semble que nous sommes bien loin du déterminisme. Au contraire, nous y touchons. Car le hasard va se résoudre dans la nécessité.

Une ardoise tombe sur un passant qui se trouve dans la rue. On dit que c'est par hasard. Voyons ce qui s'est passé. D'une part, l'ardoise s'est détachée du toit, mais ce n'est pas par hasard : elle était mal fixée et le vent était violent. Ce n'est pas non plus par hasard que le passant se promenait dans la rue. Il allait à ses affaires et

1. Théorie de l'invention. - Thèse pour le doctorat ès-lettres, par Paul Souriau, professeur de philosophie au lycée d'Angers. Paris, Hachette, 1881.

ne pouvait prendre un autre chemin. Les deux phénomènes qui se sont rencontrés appartiennent donc à deux séries, l'une de causes et d'effets, l'autre de moyens et de fins. Ces deux séries sont soumises au plus absolu déterminisme. Seul, leur rapprochement peut passer pour fortuit. Mais ce n'est qu'une apparence, car la direction même de ces séries est exactement déterminée. Il était donc nécessaire qu'elles se heurtassent ici et non là, à tel moment et non à tel autre. Une intelligence, qui aurait pu les embrasser tout entières dans une seule intuition, aurait pu prévoir et leur rencontre et le résultat de leur rencontre. On peut donc dire que le hasard consiste dans le conflit de la finalité interne et de la causalité externe, si on sousentend que dans la causalité, dans la finalité et dans leur conflit tout se passe nécessairement.

Il ne reste plus qu'à appliquer cette théorie à l'invention. Nous avons vu que l'idée nouvelle se produit au hasard. Il faut entendre par là qu'elle naît quand ses conditions internes et externes sont réalisées. Pour obtenir une idée, il faut être placé dans les conditions physiologiques et psychologiques dont elle est la résultante. Et c'est parce que nous connaissons mal les antécédents des idées nouvelles que nous ne pouvons pas inventer à volonté.

A la soutenance, la discussion sembla d'abord vouloir se porter sur le premier point. Mais elle ne tarda pas à se déplacer et se concentra tout entière sur la question du hasard et de son application à la théorie de l'invention.

Le déterminisme, dit M. Janet, supprime l'imagination créatrice. Sans aucun doute, l'invention n'est pas une création, si on entend ce mot dans toute sa force. L'idée même la plus nouvelle suppose une matière première; et il se peut que l'acquisition de cette matière soit soumise à des lois nécessaires. Un peintre compose un tableau. Il faut assurément qu'il ait dans l'esprit le souvenir d'un certain nombre de couleurs dont l'idée s'est peut-être produite en lui dans des conditions déterminées. Mais il y a quelque chose qui ne lui est donné d'aucune façon. C'est la forme, l'ordre qu'il impose à toutes ces couleurs, éparses dans sa mémoire, c'est l'individualité qu'il leur donne de façon à en faire tel tableau et non tel autre. Cette unité ne lui vient ni des sens, ni de l'association des idées, ni de leur concours. Elle est tout entière créée par l'esprit. Et c'est en cela que consiste l'invention qui, par conséquent, est créatrice.

Remontant alors à l'idée maîtresse de la thèse, M. Janet attaque la théorie du hasard. Si le déterminisme est le vrai, il n'est rien qui ne doive s'expliquer par une cause propre. Or, il arrive que plusieurs séries de causes et d'effets produisent, en se rencontrant, un phénomène dont la forme n'a pas de cause. Ainsi, si on additionne les chiffres qui forment les dates principales du règne de Louis XIV (1643, 1661, 1715), on trouvera toujours quatorze. Comment cela se fait-il? Comment se fait-il, ajoute alors M. Himly, que les trois branches de la maison capétienne se soient toutes terminées par trois frères? Ne se trouve-t-on pas ici en présence de l'inexplicable, c'est-à-dire du hasard? En un mot, conclut M. Janet, il y a hasard quand, par le concours de deux ou plusieurs causes, un phénomène se produit dont la forme déterminée semble supposer une cause et pourtant n'en a pas.

Cette objection fut généralisée vers la fin de la soutenance par M. L. Carrau. Le déterminisme, dit-il, peut bien expliquer ce qu'il y a de quantité dans les choses, mais il est impuissant à rendre compte de leurs qualités. D'où vient que telle idée soit grande et belle, telle autre étroite et mesquine; que celle-ci soit grosse de conséquences, que celle-là soit pauvre et stérile; que l'une, en un mot, soit une idée de génie, quand l'autre ne l'est pas ? Pour que le déterminisme fût la loi des choses, il faudrait que la qualité pût être réduite tout entière à la quantité. Or, cette question

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