Page images
PDF
EPUB

taient le succès de la campagne : les fraudes de toute nature dans le service des recrues, l'abus des passe-volants (p. 32), le désordre qui en résulte dans les effectifs, et qui fausse le nombre des combattants un jour de bataille (p. 65, p. 225), l'indiscipline des quartiers d'hiver, lorsque les principaux officiers quittent leurs soldats pour retourner à Paris, les levées excessives faites sur les paysans, la mauvaise hygiène des troupes, portée à un point qu'on ne saurait croire quand Le Tellier arrive à l'armée de Piémont, un relevé officiel constate (p. 5) que, dans cette armée, l'infanterie comptait 10,630 hommes en état de porter les armes, et 12,472 malades; la cavalerie capable de servir montait à 4,183 hommes, la cavalerie malade et démontée à 5,288. La Correspondance nous donne le tableau exact et complet de la situation matérielle d'une armée au temps de Richelieu les effectifs, les recrues, les quartiers d'hiver, les vivres, l'habillement, l'artillerie, la discipline, la justice militaire, tout s'y trouve. Telle est l'excellente école à laquelle s'est formé Le Tellier; l'intendant excelle à mettre en relief tous ces vices d'administration, dont il préparera plus tard comme ministre la répression; en attendant, il propose directement quelques réformes: pour la fourniture des armes (p. 112), pour l'organisation des régiments, dont il veut « diminuer la multiplicité » (p. 75), etc. Ce livre nous montre, en germe, les idées de réformation qui seront plus tard appliquées pendant les premières années du règne de Louis XIV.

L'éditeur aurait pu rendre ce recueil plus utile encore, en joignant au texte de la correspondance quelques notes explicatives. M. C., qui vit depuis bien des années au milieu des documents relatifs à l'histoire de l'administration militaire, ne voit d'obscurités dans aucun des incidents qui se produisent, ou dans aucune des expressions qu'emploient Le Tellier et ses correspondants. Mais tous ses lecteurs ne sont pas aussi savants, et aimeraient à trouver des explications sur bien des mots, sur celui de montre désignant certains quartiers de solde, sur celui de maître employé dans le sens de cavalier, sans doute parce que le cavalier était primitivement accompagné d'écuyers et d'archers, etc. Par contre, on trouverait dans l'Introduction quelques pages qui semblent des horsd'œuvre. Je ne vois pas, par exemple, en quoi le récit de La Marfée, p. Lv), ou l'histoire de la réconciliation de Turenne avec la cour (p. XXXIV) ou celle du maréchal du Plessis-Praslin pendant la Fronde (p. xxv et sq.) aident à comprendre la correspondance administrative de Le Tellier de 1640 à 1643. M. Caron ne résiste pas non plus assez à la tentation d'intercaler, au milieu d'un chapitre, des détails étrangers au sujet dont il s'occupe : ainsi, il profite d'un travail sur l'état des hôpitaux pour nous indiquer les sentiments des Génois envers la France (p. cxxxvII); au milieu de recherches sur le rôle de l'intendance dans les sièges, il examine à quelle époque le nom de Sévigny a pu se changer en celui de Sévigné (p. CLII), etc. Mais ce sont là des taches légères, et qui ne diminuent pas les qualités solides de cette publication.

A. AMMANN.

39.

[ocr errors]

Anmerkungen zu deutschen Dichtern, von J. IMELMANN. Berlin, Weidmann, in-8o, 38 p.

M. J. Imelmann, professeur dans un lycée de Berlin, a fait tirer à part l'article qu'il avait donné aux Symbolae Joachimicae dont il a été rendu compte ici même. Cet article, dont le titre figure en tête de cette notice, renferme un certain nombre de remarques détachées et relatives aux poésies de Goethe, de Schiller et d'autres; ces remarques témoignent d'une grande sagacité et de lectures fort étendues. On notera particulièrement les observations qui ont trait à l'influence du Philoctète de Sophocle sur l'Iphigénie de Goethe, au Deutscher Parnass, poème où M. I. reconnaît avec M. E. Lichtenberger une réponse ironique à une « antixénie » de Gleim, à l'expression Heinrichs Sänger de l'« ode à Gleim » de Klopstock (il faut entendre Voltaire, le poète de la Henriade), etc. Citons encore le parallèle entre le dialogue de Stauffacher et de Gertrude dans le Guillaume Tell et l'entretien de Coligny et de Charlotte de Laval dans l'Histoire universelle d'Agrippa d'Aubigné, parallèle déjà institué par Littré, et auquel M. I. ajoute quelques traits heureux; la rectification d'une erreur que Gervinus a commise en parlant de J. A. Schlegel; la comparaison entre les Grues d'Ibycus de Schiller et la Fête d'Alexandre de Dryden, traduite en 1776 par Ramler, le sens véri table d'un passage de Bodmer concernant Gottsched, les citations du mot türmend. Ajouterons-nous quelques remarques aux remarques de M. Imelmann? L'expression de Haller, que l'homme est unselig Mittelding von Engeln und von Vieh, reproduite par Bodmer et que Haller aurait empruntée à Pope, ou à l'Italien Marcellus Palingenius (homo medius bruta inter et ipsos Caelicolas), ne peut-elle être rapportée au célèbre passage de Pascal sur l'ange et la bête? Le vers wendet die Schmerzen tief in der Brust peut être traduit : « elle tourne, retourne, remue la douleur », et l'on n'a pas besoin de lire wecket au lieu de wendet. On pourrait rapprocher des passages de Sophocle cités par M. Imelmann les passages correspondants du Télémaque; et des citations du mot türmend, les exemples suivants que M. Imelmann n'a pas connus; Salis hebt die thürmenden Giebel (« Elegie an mein Vaterland »); Hölty thürmende Trümmer das Ufer decken (« der Tod »): Goethe: rings die thürmende Ferne (« Auf dem See »); Stolberg: auf die thürmenden Gipfel (I, 228), enteilt, wie ein Adler, dem thürmenden Schloss (I, 300). Il faut enfin ne hasarder tant de rapprochements et de parallè les qu'avec beaucoup de circonspection; l'expression ein Schauspiel für Götter ne nous semble pas avoir grand rapport avec le mot de Sénèque, ecce spectaculum dignum, etc. Mais il y a dans ce recueil des observations dont les futurs éditeurs de classiques allemands feront leur profit.

:

A. C.

40. - Théodore JUSTE. Le Congrès national de Belgique, 1830-1831, précédé de quelques considérations sur la Constitution belge par E. DE LAVEleye. Bruxelles, Muquardt. 1880, 2 vol. in-8°, xxv-420p., 435 p.

Depuis l'ouvrage, devenu classique en Belgique, de M. Nothomb, de nombreux documents ont paru sur l'histoire de la Révolution belge. M. Th. Juste s'est proposé de les réunir et de porter à la connaissance du grand public les faits qui y sont contenus. Il y a joint, dit-il, le résultat de ses recherches particulières dans les archives publiques et privées de la Belgique. Son ouvrage est certainement le plus complet et le plus précis que nous possédions sur l'histoire intérieure de la Belgique. On ne peut en dire autant au sujet des négociations. M. Th. J., bien qu'il les ait connus et dépouillés, n'a pas tiré tout le parti qu'on aurait pu attendre des papiers de Palmerston et de Stockmar. Toute cette partie est mieux traitée dans l'ouvrage français de M. Saint-René Taillandier, et surtout, quelques réserves que nous puissions faire à notre point de vue français, dans l'histoire de Louis-Philippe de M. Hillebrand.

FRANCE.

CHRONIQUE

Quelques-uns des amis de Charles Graux, désirant ne point le laisser disparaître sans un souvenir, se proposent de former un volume de Mélanges d'érudition classique, et de le publier en le dédiant à la mémoire de notre défunt directeur. Le comité d'organisation, composé de MM. Weil, Boissier, Lavisse, A. Croiset et Louis Havet, fait appel à la collaboration des maîtres, des collègues, des élèves de Graux et, en général, des érudits qui l'ont connu et qui voudraient s'associer à ce dernier hommage. Sont admis dans les Mélanges : des travaux d'érudition, relatifs à l'antiquité grecque et romaine et traitant de paléographie, de bibliographie, de critique verbale, de grammaire, d'interprétation, de littérature, d'épigraphie, d'institutions, d'archéologie, de mythologie, d'histoire. Le comité recevra avec reconnaissance même une simple note d'une ou deux pages. En cas d'adhésion, on est prié de notifier, le plus tôt possible, la nature et l'étendue approximative du travail et d'en envoyer le manuscrit avant le 15 mars 1882 à M. Louis Havet, 102, rue Turenne, Paris.

- Les directeurs de la Revue archéologique ont voulu renseigner leurs lecteurs sur la nature et la valeur des objets rapportés de la Tunisie par M. le comte d'Hérisson et exposés au Louvre; ils se sont adressés aux hommes les plus compétents et les ont priés d'étudier avec soin les inscriptions; le résultat de l'enquête a paru dans un article de leur Revue intitulé L'exposition de la cour Caulaincourt au Louvre et tiré à part (Didier. In-8°, 24 p). L'article est dû à quatre personnes, MM. Ph. Berger, Le Blant, Mowat et Cagnat. Nos lecteurs savent déjà, par le bulletin de l'Académie des Inscriptions, à quelles conclusions est arrivé M. Ph. Berger. Les soixantedix-sept inscriptions qui venaient d'Utique et formaient « la partie la plus précieuse des découvertes » de M. d'Hérisson viennent toutes de la collection du Khasnadar et

ont été, pendant des années, au palais de la Manouba, où elles ont été vues, dès 1869, par M. de Maltzan, qui les a publiées partiellement dans l'appendice de son Voyage à Tunis. Les estampages de la collection complète de la Manouba sont déposés à l'Institut, et toutes les inscriptions de M. d'Hérisson s'y retrouvent en bloc. M. d'Hérisson « a été indignement trompé ». — M. Le Blant prouve qu'il faut lire Candida Fidilis et non Candida Eidicis dans l'épitaphe chrétienne rapportée par M. d'Hérisson; il ajoute aux informations que nous connaissions déjà par le compte-rendu de l'Académie des Inscriptions, un renseignement de M. Héron de Villefosse qui a trouvé, dans un fragment d'inscription chrétienne, un F « qui n'est pas douteux dans le même Fidelis, et de plus provenant de Carthage ». . M. Mowat montre que huit inscriptions latines, y compris la grande inscription bilingue, exhibées dans le local de l'exposition des fouilles d'Utique, ont déjà été publiées dans le tome VIII du Corpus inscriptionum latinarum, et qu'aucune n'y est mentionnée comme venant d'Utique. Enfin, M. Cagnat relève le petit nombre d'inscriptions latines inédites que contenait l'exposition de la cour Caulaincourt et que M. d'Hérisson avait publiées avec des incorrections; celles-là viendraient réellement d'Utique..

- Notre collaborateur M. Louis LEGER, professeur à l'Ecole des langues orientales, a fait tirer à part son Esquisse sommaire de la mythologie slave parue dans la « Revue de l'histoire des religions » (Leroux. In-8°, 24 p.), M. Leger fait remarquer dans son étude qu'aucun document purement slave n'atteste la croyance dans l'existence d'un Dieu suprême dont dériveraient les autres divinités; les seules qui soient incontestables sont Svarog, Dieu du ciel, et son fils Dajbog, le dieu qui donne, ou le soleil, fils du ciel, qui eut sa statue à Kiev; Svarojitch « dieu solaire » (ne seraitce pas le même que Dajbog?); Ogonu, le feu, également fils du ciel; Peroun, le frappeur, le dieu du tonnerre qui avait une statue à Novgorod et à Kiev et qui a continué de vivre dans la mythologie populaire sous le nom du prophète Elie (Ilia); Khors dont les attributs sont difficiles à déterminer » (p. 15); Veles, dieu des troupeaux qui est devenu saint Blaise; Koupalo, dieu des fruits de la terre ; Iarylo, l'ardent, le bouillant, dieu de la génération; Stribog, l'aïeul des vents d'après le poème d'Igor et Lada, la Vénus slave, déesse de l'amour et du printemps. Tels sont les dieux russes. M. L. passe ensuite aux Slaves de la Baltique; il cite leurs dieux Svantovit, dont le temple principal était à Arkona, dans l'île de Rugen; Triglav, le dieu aux trois têtes, honoré surtout à Stettin et dans l'île de Wollin; Radigost; Ranovit ou Rugevit; Iarovit. Puis viennent les divinités inférieures, dryades, esprits des bois, Parques, vampires, etc. Enfin, M. L. dit quelques mots des prières et des sacrifices, des fêtes de l'année, des croyances des Slaves en une autre vie, de l'enfer; mais l'idée qui exprime le mot slave qui désigne l'enfer (peklo, l'endroit où l'on cuit dans la poix bouillante) paraît, dit fort bien M. L., purement chrétienne; cp. peh en ancien-haut-allemand. « En somme, conclut M. L., les croyances religieuses des Slaves païens les disposaient, plus que tout autre peuple, à embrasser facilement le christianisme... L'instinct d'imitation, qui est le propre de leur race, les prédisposait à accepter sans lutte une religion supérieure qui, en satisfaisant leur imagination, leur apportait la solution des problèmes que leur mythes naïfs avaient essayé de résoudre » (p. 21). M. L. termine cette rapide esquisse par une bibliographie des ouvrages principaux et facilement accessibles sur le sujet. M. Leger fera paraître prochainement un volume de Contes slaves et la Chronique de Nestor, traduite pour la première fois sur le texte original.

Le tome Ier des Continuateurs de Loret, publié par M. le baron James de ROTHSCHILD (Morgand et Fatout. In-8°. XLIV p. 1166 colonnes, 15 fr.), renferme 138 lettres, rangées dans un même ordre chronologique : 58 de La Gravette de

Mayolas (fils d'un professeur d'espagnol de Toulouse qui avait déjà en 1658 publié une gazette et que Loret avait désigné comme son successeur), 58 de Robinet (qui s'était fait une réputation de bel esprit par les lettres qu'il avait adressées durant six années à la Princesse Palatine), 6 de Boursault et 16 de Perdou de Subligny. Ces lettres conduisent le lecteur du 25 mai 1665 à la fin du mois de juin 1568 et racontent, entre autres événements, la représentation de la Princesse d'Elide et du Misanthrope, de la Mere coquette, de l'Alexandre, des Amours de Jupiter et de Semelé (Boyer) de l'Agésilas (P. Corneille), de l'Antiochus (Thomas Corneille), ainsi que l'insurrection de Lubomirski en Pologne, les combats livrés aux Barbaresques par le duc de Beaufort, la guerre entre l'Espagne et le Portugal, les grands. jours d'Auvergne, la mort d'Anne d'Autriche et du roi d'Espagne Philippe IV, la guerre déclarée à l'Angleterre, la bataille navale soutenue durant quatre jours par Ruyter contre l'armée anglaise, etc. Le volume est précédé d'une table analytique des matières par lettres, et terminé par une table des noms propres. On sait que M. Emile Picor continuera, en cinq autres volumes, la publication, commencée par M. de Rothschild, de ces gazettes qui sont, malgré le burlesque ou la grossièreté de la forme, de si précieux documents pour l'histoire intime du xvire siècle.

-M. Alfred MOREL-FATIO, professeur de littérature étrangère à l'Ecole supérieure des lettres d'Alger, a fait paraître (Denné. In-8°, 70 p.) un opuscule, intitulé: Calderon, Revue critique des travaux d'érudition publiés en Espagne à l'occasion du second centenaire de la mort du poète. On nous saura peut-être gré de résumer ici les traits principaux de cette intéressante brochure. La partie documentaire de la biographie de Calderon s'est un peu enrichie; on sait maintenant que Calderon fut nommé, le 13 février 1663, chapelain de la maison de Castille ad honorem et que, le 24 août 1679. on lui fit concession d'une racion de camara en especie, c'est-à-dire en nature. Parmi les écrits consacrés à l'examen de l'œuvre entière de Calderon, M. M.F. relève le livre de D. Argel Lasso de la Vega et surtout les conférences de M. Ménendez Pelayo, qui « a su digérer ce qu'il a pris au trésor commun, et sur quelques points aller de l'avant »; ce travail de Menendez est, dit M. M.-F., ce qu'on a écrit en Espagne de plus complet, de plus sensé et de plus original sur Calderon. Mais M.-F. y note des faiblesses, des traces d'une composition hâtive et il montre, encore une fois contre Menendez, que Corneille ne s'est pas inspiré de En esta vida dans son Heraclius, mais que bien plutôt Calderon a copié Corneille. Une grande partie de la « Revue critique » de M. M.-F. est consacrée au travail de M. MOGUEL, couronné par l'Académie de l'Histoire, sur le Magico prodigioso de Calderon et le Faust de Goethe; c'est un « travail méritoire, malgré une thèse malheureuse et des erreurs de détail », et qui a fait « faire quelques progrès à la question des origines du Magico prodigioso, en complétant des recherches depuis longtemps commencées sur les sources de ce drame » (p. 38). Le mémoire de M. de CASTRO sur « les mœurs publiques et privées des Espagnols au XVIIe siècle, étudiées dans les œuvres de Calderon » (mémoire couronné par l'Académie des sciences morales et politiques), sera, dit M. M.-F., utilement consulté; il renferme bien des faits curieux, mais il est à peine rédigé. L'étude de M. GRINDA sur « le concept de la nature et de ses lois, d'après les œuvres de Calderon », est dénué d'intérêt. Les résultats obtenus sont donc en somme conclut M. M.-F. peu en rapport avec le tapage qui s'est fait autour de Calderon, à l'occasion de la fête du 25 mai 1881. Si Calderon est la personnification la plus haute du génie espagnol et le a poète par excellence », il méritait d'être traité avec plus de déférence et de sérieux. Il est à craindre qu'après cette avalanche de discours et de memorias on ne finisse par avoir de Calderon par-dessus la tête, comme on dit vulgairement, et

« PreviousContinue »