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la Gendarmerie, qu'il conserva en temps de guerre pendant huit ans; il s'y montra l'ennemi implacable des dilapidateurs, le réparateur des maux faits aux malheureux villageois, foulés par le passage des troupes ; il fut toujours juste, ferme, sévère; il châtia des insolens en homme de courage; il ruina des fripons; il eut des ennemis qu'il méprisa, des désagrémens qu'il ne vouloit pas éviter, parce qu'il étoit bon.

M. Dusaulx fut reçu à l'Académie de Nancy, en 1749, à l'âge de 21 ans:sa traduction de Juvénal commencée, et son Discours sur les Satiriques latins l'avoient déjà fait connoître. Ce Discours n'étoit pas alors ce qu'il est aujourd'hui : des considérations nouvelles, plus de richesses dans les détails, plus d'unité dans l'ensemble, plus de gravité dans les résultats, ont donné à cette premièré conception de la jeunesse de l'auteur ce caractère de maturité, d'érudition et de solidité qui n'appartiennent qu'à l'âge mûr d'un homme laborieux, dont chaque instant fut utilement employé. Ce Discours

est un des meilleurs ouvrages qui existent sur la Satire, et l'examen le plus sage qui pouvoit résulter de la comparaison des trois célèbres Satiriques latins, Perse, Horace et Juvénal.

Ici se présente une objection qui semble avoir quelque poids. Comment, me dira-t-on, cet homme dont vous voulez que, par la bonté seule, on puisse expliquer, peindre ou rappeler les traits de caractère, les succès de l'esprit, les productions du talent, toutes les actions, tous les instans de la vie, n'a-t-il, dans ses travaux littéraires, été occupé que des Satiriques, et particulièrement de Juvénal? L'amour de la Satire est-il donc aussi de la bonté?

Cette objection n'est fondée que sur les abus de la Satire, telle qu'elle est aujourd'hui, et la réponse se trouve dans le but même qu'elle se proposoit autrefois.

Corriger les ridicules, parce qu'ils commencent les vices; faire trembler les vicieux, parce qu'ils peuvent devenir criminels voilà la Satire quels sont donc ceux qui

doivent la redouter? les sots et les méchans; et qui l'aimera, si ce n'est l'homme essentiellement bon, qui ne se contente pas de l'être, mais qui voudroit aussi que tout le monde le fut?

L'abondance et la vérité morale des traits, la vigueur des expressions, le choix et la vivacité des détails, l'importance du but, la probité des moyens, tout ce qui caractérise la Satire utile, doit partir d'une ame vive, irréprochable, souvent agitée par l'aspect du mal dont elle desire le terme, quelquefois consolée par le bien qu'elle projette, et toujours heureuse par la paix qu'elle retrouve, en revenant sur elle-même. Horace, Perse et Juvénal offrent la réunion des qualités et des vertus qui conviennent aux Satiriques; leurs ouvrages seront long-temps les modèles de la Satire, et M. Dusaulx devoit aimer un genre d'écrits qui a pour objet de faire rentrer les hommes dans un cercle tracé par la bonté même, puisqu'ils sont malheureux ou coupables lorsqu'ils s'en écartent.

M. Dusaulx savoit apprécier aussi l'élégante urbanité d'Horace, sa prudence et le parti qu'il sut tirer de la louange et du blâme. Son extrême et adroite indulgence, son style tour-à-tour grave, flatteur et satirique, sa facilité sans désordre, ses négligences étudiées, qui voiloient, en y ajoutant un nouveau charme, la volonté de plaire à ceux dont Horace vouloit obtenir la puissante protection, et l'art de se faire craindre des envieux qui pouvoient lui nuire : que de moyens de suc

cès!

Peut-on s'étonner de la célébrité d'un homme de génie, à qui ses talens suffisoient pour vaincre des obstacles qu'il ne rencontra pas, et qui put, dans tous les instans de sa vie, jouir de toute la gloire qu'il mérita, sans avoir à lutter jamais contre l'incertitude de l'obtenir? Mais Horace avoit-il cette énergique volonté de faire tout le bien qu'un Satirique peut faire? non; et M. Dusaulx cherchoit l'homme dont cette ardente volonté caractérisa particulière

ment les Satires. Celles de Perse étoient remarquables, et cependant ne touchoient pas encore ce but.

Perse laissa quelque gloire. Quintilien et Martial ont loué ses Satires; mais si elles prouvent l'amour de la vertu, elles ne font pas trembler le vice, et ne peuvent produire l'effet bienfaisant qu'on en attend.

Un Satirique doit être utile; il est méprisable s'il ne marche pas vers ce but; il est oublié s'il le manque, et l'intention de faire le bien n'est plus que l'accusation de ne l'avoir pas fait.

Mais Juvénal se présente; c'est ce livre immortel qui doit immortaliser son traducteur. M. Dusaulx le lit, s'enflamme, retrouve son ame dans celle du poëte romain, et se dit : Voilà le censeur des siècles, l'ami des hommes, l'admirateur de leurs vertus, et l'implacable ennemi de leurs vices. De ce moment, plus de repos pour lui, il travaille, il commente, il fouille l'antiquité, il rassemble tout ce qui touche à Juvénal, et cet ouvrage est celui de sa vie, l'honneur de sa

b

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