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[Il alla à eux et dit] : :-«Rassemblez-vous en un seul groupe; je suis celui qui vient chercher la fille du roi. »

Quand il les trouva rassemblés, il leur coupa la tête à tous sans exception.

— « Va à la maison. Ce roi-là ne te refera plus jamais la guerre aussi longtemps que tu resteras ici-bas. >>

« Un moment! Il faut que je te conduise chez moi vers ma fille ce soir. »>

Il alla à la maison avec le roi en sorte qu'ils entrèrent dans la grande maison. Il monta au salon vers la jeune noble dame. Elle était assise sur un siège d'or, et un siège d'argent était auprès d'elle. Elle se leva du siège d'or et s'assit sur le siège d'argent.

-« Un moment! noble dame, un siège d'argent est assez bon pour moi. >>

Quand il fut sous son regard, la sueur le couvrit. Elle se leva, prit une serviette blanche et alla pour le sécher, et elle reconnut la marque que lui avait faite le grand géant, quand ils combattaient. Elle le reconnut quand il ouvrit son sein et elle dit qu'elle avait trouvé son guerrier. Ils envoyèrent chercher le ministre de mois et le clerc de semaine, en sorte qu'ils passèrent trois nuits en festins et en fêtes.

-«< A quoi puis-je t'être bonne? J'ai versé du sang de mon cœur dans la dernière maison où j'ai dormi, et si je l'avais, je serais aussi saine et aussi bien portante que j'étais jour ou nuit auparavant. >>

Il demanda une terrine d'eau, lava le fichu, en ôta le sang et le lui donna à boire; et elle fut aussi saine et aussi bien portante qu'elle avait jamais été jour ou nuit.

Je n'ai trouvé que des souliers de papier, des bottes de lait et je les ai usées en marchant avec.

(A suivre).

L'ADMINISTRATION

DU DUCHÉ
DUCHÉ DE BRETAGNE

SOUS LE REGNE DE JEAN V

(1399-1442)
(Suite).

CHAPITRE III

LES INSTITUTIONS MILITAIRES SOUS JEAN V

I. Le duc transforme les bandes féodales en troupes soldées et plus régulières. — II. Il crée une armée nationale: les francs-archers et les francs-voûgiers. L'artillerie. III. Il veille dans les domaines seigneuriaux, comme dans le domaine ducal, à la mise en état de défense des forteresses et des villes. IV. Aux forces diverses ainsi constituées, lui seul peut donner des chefs et accorder une solde, - V. La Marine, quoique aux mains des particuliers, obéit de même au duc. Il a ainsi une armée bien à lui.

Bien que Jean V désirât la paix pour son pays, comme il s'efforçait de la donner à la France et à l'Angleterre, il lui fallait une armée : les contingents féodaux ne lui suffisaient plus. Il les conserve pourtant, en leur donnant une solde, mais, voulant être vraiment le maître de ses troupes, il commence, comme en France, vers le même temps à organiser des compagnies toutes mercenaires et à essayer d'une armée nationale; il prend enfin, de toute façon, la direction militaire du pays. Toutefois, l'organisation de la marine est encore, semble-t-il, rudimentaire.

I

En France, la royauté cessait, alors, d'avoir recours aux armées purement féodales. Jean V convoque encore les féodaux; mais, comme en France, il les attire ou les retient, le plus souvent, par l'appât de la solde : les plus grands seigneurs servent ainsi argent comptant. Quant aux nobles pauvres, ils deviennent de véritables mercenaires, dont le duc est vraiment le chef.

Durant le cours de son règne, Jean V convoque au moins trois fois le ban et l'arrière-ban de sa noblesse(1); il exige strictement ce service des grands seigneurs comme des nobles les plus humbles. C'est par une faveur toute particulière que Charles de Rohan, seigneur de Guémené-Guingamp, obtient « de non soy armer ne venir » aux «< mandemens sinon à son plaisir et six gentilshommes à demeurer avec luy pour le servir(2). » Au contraire, les marchands eux-mêmes, assez nombreux dans la petite noblesse bretonne, sont astreints à « servir en armes (3), »> à «< suivre et aider le duc en ses voyages et mandemens(4). Tout au plus peut-on se faire suppléer (5). Quant à ceux qui négligent de répondre à l'appel ducal, ils sont punis par la confiscation de leurs biens (6); le châtiment suit même de près la faute(7).

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(1) En 1406 contre les Anglais, en 1427 contre les Anglais encore, en 1431 contre le duc d'Alençon.

(2) Mand. de Jean V, no 2045, loc. cit., t. VII, p. 36.

(3) Ibid., no 1806, loc. cit., t. VI, p. 227.

(4) Ibid., no 2550, loc. cit., t. VIII, p. 47.

(5) Ibid., no 2179, loc. cit., t. VII, p. 104; no 2269, loc. cit., t. VII, p. 161. (6) Lettre du duc faisant don à son écuyer Guyon d'Espinay des terres et fiefs nobles confisqués sur Thébaud de Cullé qui malgré la publication du ban et arrière-ban n'était pas venu en armes servir le duc de Bretagne. Mand. de Jean V, no 1991, loc. cit., t. VII, p. 15.

(7) Le duc avait « fait sçavoir par ban et riere ban » que ses «< féaux sujets qui tenoient terres et héritages, se trouvassent au siège » de Pouancé « sur peine d'amission de fiefs et de foy. » Jehan de Beaumanoir n'y vient pas,

Toutefois, l'armée ainsi constituée, féodale par ses origines, ne l'est plus par les conditions dans lesquelles elle sert. Chevaliers et barons s'équipent à leurs frais, souvent même des roturiers s'équipent comme eux et reçoivent en récompense la noblesse(1); mais ils n'accomplissent plus un devoir, ils ne rendent de bons services que si on les paie bien. A S' James de Beuvron, comme la solde tarde à venir, les troupes mécontentes commencent à déserter(2); au moment le plus critique du règne, lors de l'enlèvement de Jean V, les seigneurs du plus haut rang montrent de la mauvaise volonté parce qu'on les rétribue, jugent-ils, parcimonieusement la duchesse élève leur solde et ils servent désormais fidèlement(s). Pour les simples chevaliers, la solde paraît aussi variable(4.

Leur service terminé, les nobles acceptent, sollicitent d'autres récompenses leurs blessures leur valent des pensions (5), leur exactitude à servir, des exemptions d'impôts(); s'ils meurent en combattant pour le prince, leurs héritiers sont dédommagés par quelque diminution dans la perception des droits de rachat (7). C'est ainsi que, en Bretagne comme ailleurs, l'armée féodale

aussitôt ses biens sont confisqués et distribués à des « escuiers et secretaires >>> du duc. Beaumanoir revient d'Anjou où il était, il explique la cause de son absence et on lui rend ses biens. Mand. de Jean V, no 2055, loc. cit., t. VII, p. 40-41; cf. ibid., no 1487, loc. cit., t. VI, p. 65.

(1) Mand. de Jean V, no 1651, loc. cit., t. VI, p. 164; nos 1698, 1699, loc. cit., t. VI, p. 186; nos 1717, 1719, loc. cit., t. VI, p. 194-195; no 2366, loc cit., t. VII, p. 216. Le duc les y invite lui-même : Nous avons « fait signifier par noz lettres sur ce faictes et données le XIVe jour de septembre derrain passé que tout homme qui se vouldrait aider de privillège de noble, se meist sus suffisamment montez et armez et nous venist servir en nostred. armée. Mand. de Jean V, n° 1673, loc. cit., t. VI, p. 471.

(2) COSNEAU, op. cit., p. 118.

(3) D. LOB. Hist., p. 547.

(4) Tantôt elle est de 12 1., 10 s. (D. MOR. Pr., II, col. 1104). Extrait du compte de Jehan Mauléon Trésorier, tantôt de 20 1. (D. MOR. Pr., II, col. 1235). Extrait du compte d'Auffroy Guinot Trésorier.

(5) Mand. de Jean V, no 518, loc. cit., t. V, p. 18; no 1482, loc, cit., t. VI, p. 62; no 1780, loc. cit., t. VI, p. 215.

(6) Ibid., no 2179, loc. cit., t. VII, p. 104-105; no 2481, loc. cit., t. VIII, p. 10. (7) Ibid., no 1672, loc. cit., t. VI, p. 174; no 1713, loc. cit., t. VI, p. 193; n° 1704, loc. cit., t. VI, p. 188; no 1753, loc. cit., t. VI, p. 219; no 1748, loc. cit., t. VI, p. 207.

se transforme, que de nouveaux éléments y pénètrent et que fait capital - ses membres ne se bornent plus à remplir une obligation stricte, ils se mettent réellement à la solde d'un prince qui, par là même, les tient un peu plus dans sa main.

Ils sont, à la vérité, un peu indisciplinés (1); ils sont naturellement pillards et débauchés (2; à leurs pareils, on a donné en France le nom significatif d'Ecorcheurs (3): ils semblent, même dans leur pays d'origine, prêts à justifier leur détestable réputation (4). Mais ils sont de cette race qui a donné à la France en un demi-siècle trois connétables(5), qui lui donne des maréchaux (6), des soldats de tout genre (7) dont la valeur est appréciée et dans les armées qui luttent alors en France(8), et dans les compagnies d'ordonnance() que le roi organisa trois ans après la mort de Jean V.

(1) Mand. de Jean V, no 1366, loc. cit., t. V, p. 257. Cf. CoSNEAU, op. cit., p. 118, etc.

(2) « Au milieu du pillage et du massacre, les soldats assouvissaient encore leurs fureurs bestiales... Richemont... fut aussi impuissant que les autres chefs à contenir la frénésie de ses Bretons. » COSNEAU, op. cit., p. 34.

(3) Tels les devoit-on appeler et tenir partout où ils passoient, car après eux ne demouroit rien ne qu'après feu. » COSNEAU, op. cit., p. 288.

(4) Les habitants de diverses paroisses exposent au duc « les grandes charges, exceix, et domages qu'ilz ont eu et soufert à l'occasion de la grande multitude et assemblée de noz gens d'armes et de troyt, qui de toutes les pars de nostre païs et par nostre ordonnance... se sont assemblez... et par le temps de quinze jours ont logié à leurs maisons... prins despencé et dégnaté leurs blez, foins, pailles et aultres denrées et estorements, telment qu'il ne leur est demouré comme nulz vivres ne provisions. » Mand. de Jean V, no 2389, loc. cit., t. VII, p. 228; cf. no 2194, loc. cit., t. VII, p. 114; no 2281, loc. cit., t. VII, p. 167.

(5) Du Guesclin est nommé connétable en 1370, Clisson en 1380, Richemont en 1425.

(6) Par exemple Pierre de Rieux. Cf. aussi l'Amiral de France P. de Coëtivy. D. MOR. Pr., II, col. 1359-1360.

(7) Cf. D. Moв. Pr., II, col. 1088-1090, col. 1120-1125, col. 1164-1165, etc. (Montres de gendarmes et comptes des trésoriers des guerres du Roi).

-

(8) Cf. COSNEAU, op. cit. « Il y avait dans l'armée bourguignonne un grand nombre de Bretons amenés par le comte de Penthièvre; » p. 17. « Cependant les Bretons de Richemont n'arrivaient pas... Celui-ci peut enfin partir avec un grand nombre de jeunes seigneurs, de chevaliers et d'écuyers... Il amenait au moins 6.000 chevaux, » p. 17-18. « Il lui fut alloué 900 livres afin qu'il put payer ses gens d'armes et les renvoyer en Bretagne, » p. 36, etc., etc. (9) Cf. DUPUY. Histoire de la Réunion de la Bretagne, p. 449, et D. MOR. Pr., II, 1559-1560, Montre de Guillaume de Rosnivinen.

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