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tion et les voyages peuvent rendre sensibles, avec tous les rapprochements que la physiologie et la psychologie modernes peuvent suggérer; ils nous en ont donné l'idée précise et prouvée, colorée et figurative'; ils les ont vus non pas à travers des idées et comme des mythes, mais face à face et comme des hommes. Ils ont appliqué l'art de Macaulay à l'exégèse, et si l'érudition allemande pouvait tout entière repasser par ce creuset, sa solidité serait double, et aussi son prix.

Mais il y a une autre voie toute germanique par laquelle les idées allemandes peuvent devenir anglaises. C'est celle que Carlyle a prise ; c'est par elle que la religion et la poésie dans les deux pays se correspondent; c'est par elle que les deux nations sont sœurs. Le sentiment des choses intérieures (insight) est dans la race, et ce sentiment est une sorte de divination philosophique. Au besoin, le cœur tient lieu de cerveau. L'homme inspiré, passionné, pénètre dans l'intérieur des choses; il aperçoit les causes par la secousse qu'il en ressent; il embrasse les ensembles par la lucidité et la vélocité de son imagination créatrice; il découvre l'unité d'un groupe par l'unité de l'émotion qu'il en reçoit. Car sitôt que vous créez, vous sentez en vous-même la force qui agit dans les objets que vous pensez; votre sympathie vous révèle leur sens et leur lien; l'intuition est une analyse achevée et vivante; les

1. Graphic.

poëtes et les prophètes, Shakspeare et Dante, saint Paul et Luther, ont été sans le vouloir des théoriciens systématiques, et leurs visions renferment des conceptions générales de l'homme et de l'univers. Le mysticisme de Carlyle est une puissance du même genre. Il traduit en style poétique et religieux la philosophie allemande. Il parle comme Fichte « de l'idée divine du monde, de la réalité qui gît au fond de toute apparence. » Il parle comme Goethe << de l'esprit qui tisse éternellement la robe vivante de la Divinité. » Il emprunte leurs métaphores, seulement il les prend au pied de la lettre. Il considère comme un être mystérieux et sublime le Dieu qu'ils considèrent comme une forme ou comme une loi. Il conçoit par l'exaltation, par la rêverie douloureuse, par le sentiment confus de l'entrelacement des êtres, cette unité de la nature qu'ils démêlent à force de raisonnements et d'abstractions. Voilà un dernier chemin, escarpé sans doute et peu fréquenté, pour atteindre aux sommets où s'est élancée du premier coup la pensée allemande. L'analyse méthodique jointe à la coordination des sciences positives, la critique française raffinée par le goût littéraire et l'observation mondaine, la critique anglaise appuyée sur le bon sens pratique et l'intuition positive; enfin, dans un recoin écarté, l'imagination sympathique et poétique, ce sont là les quatre routes par lesquelles l'esprit humain chemine aujourd'hui pour reconquérir les hauteurs sublimes où il s'était cru porté et qu'il a perdues. Ces voies mènent toutes sur la même

LITT. ANGL.

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cime, mais à des points de vue différents. Celle où Carlyle a marché, étant la plus lointaine, l'a conduit vers la perspective la plus étrange. Je le laisserai parler lui-même ; il va dire au lecteur ce qu'il

a vu.

§ 3.

SA PHILOSOPHIE, SA MORALE ET SA CRITIQUE.

« Ceci n'est pas une métaphysique, ou quelque « autre science abstraite ayant son origine dans la « tête seule, mais une philosophie de la vie, ayant « son origine aussi dans le cœur, et parlant au cœur1. >> Carlyle a conté, sous le nom de Teufelsdroeckh, toute la suite des émotions qui y conduisent. Ce sont celles d'un puritain moderne; ce sont les doutes, les désespoirs, les combats intérieurs, les exaltations et les déchirements par lesquels les anciens puritains arrivaient à la foi : c'est leur foi sous d'autres formes. Chez lui comme chez eux, l'homme spirituel et intérieur se dégage de l'homme extérieur et charnel, démêle le devoir à travers les sollicitations du plaisir, découvre Dieu à travers les apparences de la nature, et, au delà du monde et des instincts sensibles, aperçoit un monde et un instinct surnaturels.

I

Le propre de Carlyle, comme de tout mystique, c'est de voir en toute chose un double sens. Pour

1. However it may be with Metaphysics, and other abstract science originating in the head (Verstand) alone, no Life-Philo

lui, les textes et les objets sont capables de deux interprétations: l'une grossière, ouverte à tous, bonne pour la vie usuelle; l'autre sublime, ouverte à quelques-uns, propre à la vie supérieure. « Aux yeux de « la vulgaire logique, dit Carlyle, qu'est-ce que << l'homme? Un bipède omnivore qui porte des cu<«<lottes. Aux yeux de la pure raison, qu'est-il ? Une « âme, un esprit, une divine apparition. - ( Il y << a un moi mystérieux caché sous ce vêtement de «< chair. Profond est son ensevelissement sous ce vê<< tement étrange, parmi les sons, les couleurs et «<les formes, qui sont ses langes et son linceul. Et << pourtant ce vêtement est tissé dans le ciel et digne «< de Dieu1. » — « Car la matière est esprit, mani<< festation de l'esprit. La chose visible, qu'est-elle, << sinon un habit, le vêtement de quelque chose de supérieur et d'invisible, d'inimaginable et sans forme, obscurci par l'excès même de son éclat2....

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sophy (Lebensphilosophie), such as this of Clothes pretends to be, which originates equally in the Character (Gemüth), and equally speaks thereto, can attain its significance till the Character itself is known and seen.

1. Sartor, p. 75, 76, 83, 259.

2. For Matter, were it never so despicable, is Spirit, the manifestation of Spirit: were it never so honourable, can it be more? The thing visible, nay the thing imagined, the thing in any way conceived as visible, what is it but a garment, a clothing of the higher, celestial invisible unimaginable, formless, dark with excess of bright? "

All visible things are emblems; what thou seest is not there on is own account; strictly taken, is not there at all: Matter exists only spiritually, and to represent some Idea, and body it

forth.

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