SATIRE SECONDE. CONTRE LES VOEUX CRIMINELS ET INSENSÉS DES Macrinus (2), marque avec une pierre blanche (3) ce jour qui ajoute à ta vie de fugitives années. Verse du vin (4) à ton génie. Ce n'est point toi (5) qui, marchandant avec les dieux, leur fais de ces prières qu'on ne peut leur confier qu'après les avoir corrompus. La plupart des grands, lorsqu'ils offrent l'encens, prient à voix basse. Il n'est pas facile à tous de s'interdire, dans les temples, les prières sourdes, les prières secrètes, et de montrer ses voeux à découvert. Un bon esprit, une bonne réputation, des sentiments d'honneur: voilà ce que l'on demande tout haut, pour être II. — VOTA HOMINUM NEFANDA STULTAQUE DAMNAT. Funde merum Genio. Non tu prece poscis emaci, 5 At bona pars procerum tacita libabit acerra. Haud cuivis promptum est, murmurque, humilesque susurros Mens bona, fama, fides, hæc clare, et ut audiat hospes : entendu des assistants (6). Mais en soi-même et entre les dents: Oh! si je voyais sortir (7) les belles funérailles de mon oncle! Oh! si, par la grace d'Hercule (8), j'entendais résonner sous mon râteau une cruche pleine d'argent! Plaise aux dieux que ce mineur, dont je suis l'héritier immédiat, obtienne bientôt son congé (9)! Il est si malsain! il regorge de bile!... Heureux Nérius, qui en est déja à sa troisième femme (10)! Pour sanctifier ces vœux, tu te plonges la tête deux fois, trois fois le matin dans le Tibre, et tu purifies dans le fleuve tes souillures de la nuit. Voyons, réponds-moi ce que je veux savoir est fort peu de chose. : Que penses-tu de Jupiter? Trouves-tu qu'il mérite d'être préféré...? A qui? à qui? A Staïus (11), par exemple? Tu hésites! Lequel des deux est le meilleur juge, lequel des deux est le plus propre à protéger des orphelins? Eh bien! ces confidences, dont tu tentes l'oreille de Jupiter, va les faire à Staïus. O Jupiter, s'écriera-t-il, bon Jupiter! Et Illa sibi introrsum, et sub lingua immurmurat : O si 15 Hæc sancte ut poscas, Tiberino in gurgite mergis 1 Hoc igitur, quo tu Jovis aurem impellere tentas, Jupiter ne s'adressera pas une pareille exclamation? Crois-tu qu'il te pardonne, parceque le tonnerre renversera un chêne avant de tomber sur toi ou sur ta maison? Hé quoi! parceque ton cadavre n'est pas tristement étendu dans un bois sacré, où Ergenna ait immolé des brebis, et d'où il ait défendu (12) d'approcher, s'ensuit-il que Jupiter donne stupidement (13) sa barbe à arracher? Avec quoi aurais-tu donc acheté la connivence des dieux? Serait-ce avec des poumons et de gras intestins? Mais voici une grand'mère, une tante maternelle, femme craignant les dieux, qui tire un enfant du berceau; et d'abord, avec le doigt du milieu, elle frotte de salive le front et les lèvres humides du nouveauné, pour le purifier. Oh! elle sait comment on détourne l'effet des regards malfaisants. Ensuite elle le frappe légèrement des deux mains, et déja ses vœux suppliants envoient ce débile objet de ses espérances en possession des champs de Licinius (14) et des maisons de Crassus (15). Qu'un roi et une reine veuil Jupiter! at sese non clamet Jupiter ipse? 30 30 35 Tunc manibus quatit, et spem macram supplice vote lent l'avoir pour gendre! Puissent les jeunes filles se l'arracher! Que les roses naissent en foule sous ses pas! Pour moi, je ne chargerai point une nourrice de faire des vœux. Ah! Jupiter, si elle t'en adresse, rejette-les, eût-elle mis une robe blanche pour t'invoquer. Tu demandes de la force dans les nerfs, une santé fidèle jusque dans la vieillesse. A la bonne heure; mais tes grands plats, tes ragoûts friands, empêchent les dieux de t'exaucer, et arrêtent Jupiter. Tu souhaites d'amasser du bien, et tu massacres tes bœufs. Tu prodigues les victimes, pour attirer Mercure. Fais prospérer ma maison, lui dis-tu, féconde mes troupeaux. Hé! le moyen, insensé que tu es, lorsque tu fais fondre dans les flammes la graisse de tant de génisses?... Cependant cet homme s'opiniâtre, à force de sacrifices et de viandes exquises, à vaincre le dieu. « Déja, dit-il, ma terre s'améliore, mon bercail prospère....... Je vais recevoir... bientôt... tout à l'heure... » jus Hunc rapiant! Quidquid calcaverit hic, rosa fiat! 40 Jupiter, hæc illi, quamvis te albata rogarit. Da pecus, et gregibus fœtum. Quo, pessime, pacto, 50 Jam dabitur, jam, jam; donec deceptus et exspes qu'à ce qu'enfin, ruiné sans ressource, il entend gémir au fond de sa bourse un dernier écu. Si je te faisais présent de coupes d'argent, de vases d'or massif ciselés, tu suerais d'aise et à grosses gouttes, le cœur te hondirait de joie. De là cette idée de dorer le visage des dieux avec l'or porté à ton triomphe (16). Il faut bien que ceux des frères (17) aux statues de bronze qui t'envoient les rêves les plus vrais (18) soient préférés aux autres, et aient une barbe d'or (19). L'or a banni les vases de Numa (20) et les cuivres du temps de Saturne; il a remplacé les urnes des vestales et l'argile des Toscans (21). Ames courbées vers la terre, et vides de pensées célestes, pourquoi introduire nos mœurs dans les temples, et juger de ce qui flatte les dieux par notre criminelle délicatesse (22)? C'est elle qui dissout la casse pour corrompre le suc de l'olive. C'est elle qui fait bouillir la laine de Calabre dans la liqueur altérée (23) du murex. C'est elle qui arrache la perle de sa Nequicquam fundo suspiret nummus in imo. 65 |