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enseignent la grammaire (47): que leur donne-t-on? moins qu'aux rhéteurs; cependant Acœnonoëtus, gouverneur du disciple, et l'économe frauduleux, en retiennent quelque chose. Pauvre Palémon! tel qu'un marchand de manteaux d'hiver grossièrement tissus, il faut souffrir cet injuste rabais (48): heureux si tu n'as pas vainement précédé le lever de l'aurore, tandis que le forgeron et celui qui montre à carder la laine dormaient paisiblement! heureux si tu n'as pas en vain respiré l'odeur d'autant de lampes que tu comptais d'élèves entre les mains desquels Virgile et Horace étaient tout enfumés! Quel que soit néanmoins le salaire convenu, vous l'obtiendrez rarement sans l'aide du tribun (49). Parents ingrats, exigez, après cela, qu'un précepteur connaisse les langues et l'histoire; qu'il sache ses auteurs sur le bout du doigt pour répondre à toutes vos questions, afin qu'interrogé en allant soit aux thermes, soit aux bains d'Apollon, il

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Quantum grammaticus meruit labor? et tamen ex hoc,
Quodcumque est, minus est autem quam rhetoris æra,
Discipuli custos præmordet Acœnonoetus,
Et, qui dispensat, frangit sibi. Cede Palamon,

Et patere inde aliquid decrescere, non aliter quam
Institor hibernæ tegetis niveique cadurci ;
Dummodo non pereat mediæ quod noctis ab hora
Sedisti, qua nemo faber, qua nemo sedebat

Qui docet obliquo lanam deducere ferro;

225 Dummodo non pereat totidem olfecisse lucernas,
Quot stabant pueri, quum totus decolor esset
Flaccus, et hæreret nigro fuligo Maroni.
Rara tamen merces, quæ cognitione tribuni
Non egeat. Sed vos sævas imponite leges,

230 Ut præceptori verborum regula constet;

Ut legat historias, auctores noverit omnes
Tanquam ungues digitosque suos, ut forte rogatus,
Dum petit aut thermas aut Phœbi balnea, dicat

puisse vous dire le nom de la nourrice d'Anchise, le pays et le nom de la belle-mère d'Anchémolus; combien Aceste vécut d'années, combien il donna d'outres de vin aux Phrygiens. Exigez qu'il façonne les mœurs tendres de vos enfants, comme un sculpteur façonne la cire; qu'il les surveille en père, de crainte qu'ils ne se corrompent réciproquement. Ce n'est pas une tâche légère que d'épier tant de mains libertines, tant d'yeux convulsifs. C'est votre affaire, dit-il: et au bout de l'an tu recevras autant d'argent que le peuple en accorde à l'athlète victorieux (50).

Nutricem Anchisæ; nomen patriamque noverca

235 Anchemoli: dicat quot Acestes vixerit annos,
Quot Siculus Phrygibus vini donaverit urnas.
Exigite ut mores teneros ceu pollice ducat,
Ut si quis cera vultum facit: exigite ut sit
Et pater ipsius cœtus, ne turpia ludant,
240 Ne faciant vicibus. Non est leve tot puerorum
Observare manus, oculosque in fine trementes,
Hæc, inquit, cures, et quum se verterit annus,
Accipe, victori populus quod postulat, aurum.

NOTES SUR LA SATIRE VII.

(1) Argument. Juvénal déplore la condition des poëtes de son temps, et peint la dureté de leurs patrons. Ensuite il parcourt plusieurs branches de la littérature, telles que l'histoire, l'art oratoire, la grammaire, l'institution de la jeunesse, et montre qu'elles sont, pour ceux qui les cultivent, aussi stériles que la poésie.

Plusieurs de ces satires, lorsqu'on n'en considère que le titre, semblent n'avoir pas la même importance que les autres; mais qu'on les médite toutes, excepté la dernière, que je ne crois pas de Juvénal, et j'ose dire qu'à bien des égards on y retrouvera le même esprit, la même intention.

(2) Les lettres n'ont plus que César qui les soutienne et les anime, etc. [v. 1.] J'ai cru d'abord, sur la parole de plusieurs savants, que cet éloge regardait Domitien; mais tout y répugne, et l'histoire, et le caractère de Juvénal. Ce prince, dit Suétone, feignit d'aimer la poésie, qu'il n'avait jamais cultivée, et qu'il méprisa bientôt. (Vie de Domitien.) D'ailleurs, comment se persuader que notre auteur, après l'avoir si maltraité dans la satire IV, fût revenu sur ses pas dans la satire VII? On répond à cela que ces satires n'ont pas été publiées dans l'ordre chronologique, et que celle-ci a été écrite du temps de Domitien. Quel que soit cet ordre, Juste Lipse, Saumaise et Dodwell ont prouvé, d'après le texte, que toutes les satires sont postérieures à cet empereur; or, je ne

sache pas que parmi les flatteurs de ce tyran il s'en soit trouvé d'assez malavisés pour le louer gratuitement après sa mort, et Martial en est la preuve.

A qui donc rapporter l'éloge dont il s'agit? Quelques uns veulent que ce soit à Trajan; mais le savant Dodwell prétend que ce doit être à Adrien. Si le calcul de Dodwll est juste, ce qui est très vraisemblable, il s'ensuit que Juvénal, né sous Caligula, mort sous Adrien, a composé le plus grand nombre de ses satires passé soixante ans, et quelques-unes à près de quatre-vingts. Voyez la notice sur Juvénal, p. 135.

(5) Puisque Clio, etc. [v. 7.] Juvénal comprend, sous le nom de la muse Clio, tous ceux que la misère avait forcés de renoncer aux arts libéraux pour se livrer à des travaux mécaniques capables de les faire subsister.

(4) Car enfin, si à l'ombre des lauriers, tu n'as pas un sou, etc. [v. 8.] Les meilleures éditions, celles d'Henninius, de Foulis, de Chambridge, de Baskerville, etc., que j'ai suivies, ont:

Nam si Pieria quadrans tibi nullus in umbra
Ostendatur, etc.

Schrévélius, qui a procuré l'édition des variorum, a mal à propos changé cette leçon : Pieria in arca ne signifie rien. Il y a ici une espèce de comparaison: Aganippes vallibus et pieria umbra expriment la même chose, et se rapportent l'un à l'autre.

(5) L'Alcithoe de Paccius, etc. [v. 12.] Plusieurs éditions modernes portent Alcynonen Bacchi : j'ai préféré la leçon de Grævius, parcequ'on ne connaît pas de poëte du nom de Bacchus.

(6) Et le Térée de Faustus, etc. [v. 12.] Martial (liv. XI, épigr. 65) dit de ce poëte tragique:

Nescio tam multis quod scribas, Fauste, puellis;

Hoc scio, quod scribit nulla puella tibi.

Cela est bon pour ces chevaliers, etc. [v. 14.] L'au

teur reproche aux Romains d'accorder aux aventuriers de l'Asie Mineure, qui ne parvenaient que par la délation, des graces et des honneurs dont les gens de lettres étaient privés. Ce qu'il appelle altera Gallia (v. 16) était une province voisine du Pont-Euxin, nommée Galatie ou Gallogrèce, parcequ'elle fut longtemps occupée par des Gaulois. et par des Grecs.

(7) On ne verra plus désormais ces mortels inspirés, etc. [v. 18.] Le texte porte: « On ne verra plus ceux qui mà«chent du laurier, etc.; » Laurumque momordit. Les anciens croyaient que les feuilles de cet arbuste procuraient l'enthousiasme et l'esprit prophétique; c'est pourquoi Lycophron, in Alexandra (vers 6), dit que laurivoro vaticinata est ore. Martial, parlant d'une femme qui cherchait à tromper:

Fallat ut nos folia devorat lauri.

Lib. v, epigr. 4.

Les sibylles s'en nourrissaient :

Sic usque sacras innoxia laurus

Vescar, etc.

TIBULL., lib. II, eleg. 5, v. 65.

On attribuait encore au laurier la vertu de rendre les hommes plus sages et plus prudents. Voyez l'auteur Geoponicorum, lib. II, cap. 2: Vaine gloire, etc.

(8) Et qu'un tel espoir te fasse enfanter des volumes, etc. [v. 23.] J'ai déja remarqué que les volumes des anciens ne ressemblaient point à nos livres. Voyez satire I, note 3.

(9) Un lierre stérile ou de maigres statues, etc. [v. 29.] On mettait dans la bibliothèque d'Apollon Palatin les bustes ou statues des grands poëtes et des grands orateurs. Nous avons déja vu (satire II, vers 6) que les particuliers rendaient chez eux le même honneur aux hommes de génie:

Si quis Aristotelem similem, vel Pitacon emit;
Et jubet Archetypos pluteum servare Cleanthas.

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