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Quand donc pourrai-je, enfin, me fixer pour toujours ? Sous un paisible toit abriter mes vieux jours

Contre les maux liés à l'errante indigence?

Pour cela, que faut-il? Beaucoup moins qu'on ne pense.
Oui! cinquante mille as de rente (8) bien placés
Sur un gage solide et sûr, et c'est assez;

Quelques vases d'argent sans art, sans ciselure,
Tel pourtant, qu'ils auraient provoqué la censure
Du vieux Fabricius... deux robustes Mésiens,
Loués pour me servir de porteurs, de soutiens,
Dans les clameurs du cirque assurant mon courage...
De plus, un ciseleur courbé sur son ouvrage,
Un modeleur habile et prompt... C'est suffisant,
Puisque je dois rester pauvre, comme à présent...
Tristes vœux!... que ne suit, d'ailleurs, nulle espérance;
Car la Fortune hélas! se rit de ma souffrance.

J'ai beau la supplier, elle est sourde à ma voix ;
Aux compagnons d'Ulysse elle emprunte la poix
Dont le héros bouchait leur oreille docile

Pour les soustraire au chant des monstres de Sicile.

NOTES SUR LA IX SATIRE

1. Marsyas, habile joueur de flûte, osa défier Apollon. Le Dieu, l'ayant vaincu, l'écorcha vif pour le punir de sa témérité. (Voir Xénophon, Anabase, 1. I, ch. 11.)

2. Cosmétique.

3. Quantum non milvus oberret. (Perse, sat. iv, v. 26.)

4. Dans le dernier siècle de la République, les mœurs s'étaient tellement relâchées que, pour échapper à la gêne et aux charges du mariage, un nombre considérable de citoyens restait dans le célibat. Le mal était si grand que César et, après lui, Auguste durent prendre des mesures législatives pour y remédier. En l'an 18 avant J.-C., Auguste proposa une loi Julia, de maritandis ordinibus » qui fut repoussée par les comices. Quelques années plus tard, il la reproduisit dans la loi Papia Poppaa. Cette loi divisait les citoyens en deux classes: 1o Ceux qui avaient des enfants (patres); 2o ceux qui n'en avaient pas (cælibes vel orbi). Aux premiers, elle accordait de nombreux privilèges; les seconds étaient frappés de certaines déchéances. La faculté de tester étant à peu près absolue à Rome, les Romains étaient grands coureurs de testaments; c'est par là que le législateur voulut les prendre. Le

célibataire (cælebs) fut déclaré incapable de recevoir un legs d'un étranger; le marié sans enfants (orbus) n'eut droit qu'à la moitié du legs qui lui avait été fait. Les legs faits au Celebs ou à l'Orbus étaient donc caducs, soit pour la totalité, soit pour la moitié. Or, ce que la loi ôtait aux uns, elle l'accordait aux autres; elle en gratifiait les héritiers ayant des enfants.

De plus, trois enfants, à Rome, exemptaient de toutes les charges personnelles et assuraient double part aux distributions.

5. Formosum pastor Corydon ardebat Alexin. (Virgile).

6. Déesse de l'impudicité chez les Grecs:

Cecropiam soliti Baptæ lassare Cotytto.

7. Signe de luxure.

8. Environ 4,000 francs.

(Sat. II, v. 92).

SATIRE X

LES VEUX

Parcourez l'Univers du couchant à l'aurore,
De Gadès jusqu'au Gange allez, cherchez encore;
Libres de préjugés, combien peu de cerveaux
Connaissent les vrais biens, en discernent les faux !
Car, où donc la raison, dans nos vœux et nos craintes,
Quel plan si bien conçu qu'il n'engendre des plaintes?
Nous regrettons l'effort, même après le succès.
Donnant à nos désirs un trop facile accès,

Les Dieux, pour leur ruine exauçant leurs prières,
Ont, cent fois, abîmé des familles entières.
Sous le casque ou la toge on implore instamment

Ce qu'on déplorera peut-être amèrement.
A plus d'un orateur l'éloquence est fatale;
Pour avoir trop prisé sa force sans rivale
Sous la dent d'un lion, Milon meurt déchiré.
Mais rien n'est plus fatal que l'or tant désiré,

Cet or, qui coûte, hélas! tant de soins, tant de peines.

Autant que les dauphins le cèdent aux baleines,

Autant les revenus de maint homme nouveau

D'un simple patrimoine excèdent le niveau.

Mais aussi, de Longin, quand vient l'heure critique,
Une cohorte entière assiège le portique,

De Sénèque envahit les jardins somptueux,
Bloque des Latérans le palais fastueux.

C'est l'ordre de Néron... Le pauvre ne craint guères
De voir en son taudis pénétrer ses sicaires.
Quiconque va, la nuit, portant un peu d'argent
A chaque pas qu'il fait, voit, de l'ombre émergeant,
Le bras d'un assassin suspendu sur sa tête;
Aux rayons de Phébé, l'obscure silhouette
D'un roseau frissonnant le remplit de terreur.
La peur ne trouble point l'indigent voyageur;
Il ne redoute, lui, ni la nuit, ni ses voiles,
Et jette insoucieux sa chanson aux étoiles.

Le premier de nos vœux, celui dont les mortels,
En tous lieux, à toute heure, assiègent les autels
C'est que les Dieux, sans fin, accroissent leur richesse
Et que nul, au Forum, n'ait plus d'or dans sa caisse.
Et, pourtant, ce n'est pas dans un vase grossier

Que se boit l'aconit au poison meurtrier ;
C'est dans des coupes d'or riches de pierreries
Qu'à l'ardent Sétinum, ô Mort, tu te maries!

J'admire votre humeur, sages des anciens jours,
Toi qui toujours riais, toi qui pleurais toujours
Sitôt que du logis vous franchissiez la porte.

Mais rire qui voudra peut rire de la sorte;
Ce qui m'étonne, moi, c'est un fonds de douleurs
Qui puisse, sans tarir, suffire à tant de pleurs.

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