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Rien de trop, dit le sage; la capacité humaine est si bornée, que chacun de nous a rempli sa tâche lorsqu'il fait bien ce qu'il fait; et vous auriez fondé la science, même en ne l'envisageant que sous une de ses faces, pourvu que cette vue donnât la lucide et sincère expression de la vérité.

LITTÉRATURE. Les lettres sont le vêtement élégant de la pensée. En marchant sur leurs pas, nous rencontrerons les divers ordres d'idées qui nous sont déjà connus. Mais nous en trouverons deux surtout qui lui semblent propres, parce que la forme en fait le principal mérite: ce sont la poésie et l'éloquence dont les aspects divers tiennent à des procédés déterminés de composition.

Quels que soient les genres qu'on examine, la littérature est, jusqu'à un certain point, le reflet des société, et malgré l'apparente liberté qui fait sa gloire et sa force, il n'est pas difficile de reconnaître qu'elle subit des règles et une tradition dont l'évolution est, pour ainsi dire, adéquate à celle de la civilisation même. C'est ainsi, par exemple que le drame et l'éloquence de la tribune n'apparaissent que dans des milieux relativement avancés et que l'histoire de leurs progrès est celle des peuples qui les ont pratiqués. Considérée à ce point de vue, la littérature est un élément essentiellement ethnographique.

SCIENCES.

Bien que cette désignation essentiellement vague se puisse appliquer à toutes les branches de l'esprit humain, on admettra que, dans le sens restreint et comparatif, elle indique proprement les études qui recherchent les forces diverses appelées à présider aux évolutions de la nature. Qu'elles soient exactes, physiques, économiques ou politiques, le degré de leur développement signalera celui de la civilisation qui les cultive, et les aptitudes ethniques qui se font jour, soit dans les découvertes des savants, soit dans les manifestations de l'intérêt populaire, soit enfin dans leurs applications pratiques.

La mention qui leur est accordée ici ne fait pas double emploi avec ce que j'ai déjà eu l'occasion d'en dire. Précédemment, nous avons examiné plusieurs d'entre elles au point de vue de ce qu'elles contiennent, des sujets qu'elles manipulent, des notions qu'elles amassent, des éléments qu'elles préparent pour l'Ethnographie. Il s'agit ici de tout autre chose : il s'agit du rôle qu'elles jouent dans l'évolution de l'intelligence, de la part que les temps et les races prennent à leur développement, de l'influence que leur étude exerce sur les sociétés, du degré de perfectionnement dont elle témoigne. Ailleurs nous avons considéré les sciences dans leur puissance didactique; ici nous étudions leur histoire, leurs progrès, leur portée extrinsèque : nous ne leur demandons plus ce qu'elles peuvent nous prêter, mais ce qu'elles ont fait pour le développement de l'humanité.

ARTS. Il faut en dire autant des beaux-arts et de leurs applications industrielles ou familières. En eux-mêmes, ils n'ont rien d'ethnographique, puisque leur principe est la recherche du beau absolu, indépendamment des partis pris d'école, de sociétés, de civilisations et d'époques; mais leur tendance éminemment reproductrice des sentiments contemporains en fait le miroir fidèle des milieux qui se sont associés à leurs manifestations. Leur histoire est celle d'une période et de la plus élevée de chaque fraction de l'humanité. A ces divers points de vue, les arts fournissent à l'Ethnographie des éléments de premier ordre. Les richesses plastiques de nos musées peuvent défrayer de longues recherches; la musique elle-même reflète les sentiments, les goûts et l'état social des populations.

Les diverses branches de connaissances où puise l'Ethnographie intellectuelle présentent un commun caractère, qui est la corrélation parfaite, pour ainsi dire, avec l'état de la civilisation dans les peuples, les époques et les lieux. Mais chacune de ces branches s'y comporte différemment, semble obéir à

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une nécessité supérieure qui a tracé d'avance sa voie et ses limites les langues, essentiellement malléables et promptes à s'adapter aux exigences de tous les instants, signalent par leurs variations continuelles les étapes de la civilisation à laquelle elles appartiennent; la prenant au berceau, elles lui ferment les yeux, et lors même que la tombe en est oubliée ou perdue, elles rappellent sa mémoire aux âges les plus reculés; la littérature guide ses premiers pas, s'associe à ses grandeurs et glorifie son apogée; la science endort les ennemis de sa décadence et les arts en consolent les derniers moments. Après eux, il n'est plus rien: un nouveau cycle commence.

VII

En ébauchant ainsi un aperçu du programme de l'Ethnographie, je n'ai pas eu l'intention de vous proposer une œuvre durable qui doive, en quoi que ce soit, enchaîner votre liberté. Comme le géographe, qui fournit au voyageur chargé d'une mission en des parages inconnus, un guide dressé d'après les idées courantes, j'ai voulu déterminer les terrains à parcourir, énumérer les points de repère précédemment signalés, formuler en un mot l'acquis et les aperceptions actuelles de la science. Un secret espoir me donne la conviction qu'il faudra, un jour effacer jusqu'à la dernière ligne de ces pages fugitives et leur substituer les informations bien autrement intéressantes que des études topiques et approfondies auront procurées.

Il faut laisser au choix de chacun la détermination des sujets à traiter, de leur point de départ, de leur étendue et du but auquel on doit parvenir la forme elle-même semble réclamer sa dose de liberté. Mais il est indispensable aussi que l'expression finale, la formule adopte un caractère uniforme qui constitue le lien logique de ces divers travaux. Je pense donc que, en dernière analyse, il sera nécessaire de réduire le

tout en une série de questionnaires, par articles, dont la réunion formera le programme général.

Il vous appartiendra d'adopter les mesures matérielles qui auront pour effet d'assurer à chacun des collaborateurs la paternité de son œuvre, et d'empêcher, d'un autre côté, que les vues individuelles ne se substituent au sentiment commun.

Puissions-nous, messieurs, réaliser ce précieux ensemble; nous donnerons au monde savant le phénix qu'il attend depuis longtemps: une science logiquement construite sur des bases. qui ne seront pas dues aux seules largesses du hasard.

La séance est levée à onze heures.

Le Secrétaire perpétuel, ED. MADier de Montjau.

219€ Séance.

SÉANCE DU 15 NOVEMBRE 1875.

Présidence de M. DE ROSNY, président.

La séance est ouverte à huit heures du soir, à l'hôtel de la Société d'Encouragement.

M. EMILE ACCOLAS écrit pour demander des renseignements sur les travaux de la Société. Confié aux soins de M. Madier.

M. CHAVÉE adresse le programme de son cours de Linguistique indo-européenne.

L'ordre du jour appelle l'élection de deux membres correspondants à vie, en remplacement de feu Saitau Kenzirau et Brasseur de Bourbourg. Après la discussion des titres, sont élus pour la 1" place, M. GORRESIO, secrétaire-perpétuel de l'Académie des Sciences, à Turin, et pour la 2*, M. le Dr BRUGSCH-BEY, au Caire.

Il est donné lecture d'une Notice historique sur M. Guérin-Méneville, rédigée par son successeur, M. Julien VINSON.

Guérin-Méneville, membre correspondant de la Société d'Ethnographie. Notice historique, par Julien VINSON.

Messieurs, mon honorable ami, M. de Rosny, m'a fait part de la décision flatteuse que vous avez bien voulu prendre à mon égard, et je viens vous en remercier de toute mon âme. J'y suis d'autant plus sensible que vous avez eu la bonté de choisir mon nom sur une liste de candidats qui, pour la plupart, devaient l'emporter sur moi par leur illustration. Je me suis trouvé, d'ailleurs, particulièrement honoré de cette distinction flatteuse, puisque je suis appelé à remplacer un homme que je connaissais et que j'estimais depuis longtemps et qui m'a toujours paru l'un des plus hauts types de la science dévouée, modeste, patiente et tout à fait désintéressée.

Au mois d'octobre 1862, à peine débarqué du bâtiment de commerce qui, après deux cent trois jours d'une traversée des plus désagréables, nous avait ramenés de l'Inde en France, je me promenais avec mon frère au Jardin des Plantes. Nous eûmes besoin de je ne sais plus quel renseignement, et nous le demandâmes à un passant dont l'allure simple et pourtant remarquable nous avait frappés. Nous en vinmes à lui dire que nous arrivions de Pondichery : ▾ Comment va », nous demanda-t-il, ⚫ mon ami Perrottet? le connaissez-vous? » Se⚫riez-vous M. Guérin-Méneville?» dit alors mon père, auquel M. Perrottet, le savant botaniste-chef du jardin colonial de Pondichéry, avait maintes fois raconté ses campagnes scientifiques aux Antilles et ses longues études avec M. Guérin-Méneville. C'est la seule fois, Messieurs, qu'il m'a été donné de causer avec ce chercheur infatigable; mais j'avais gardé de cette rapide entrevue un souvenir si agréable, qu'il m'a paru tout à la fois convenable et intéressant de le rappeler devant nous.

M. Guérin-Méneville, qui vient de suivre dans la tombe son vieux collaborateur de l'Inde, était né à Toulon, le 12.0c

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