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l'ignorance de ses villageois. La seconde se termine par un point affirmatif, qui marque la détermination positive du jardinier qui préfère son occupation à celle du poète, comme moins pénible.

La conséquence des réflexions précédentes sur les fatigues et les peines du travail considérés dans l'art du jardinier et dans celui du poète, est que la fatigue suit le travail. Ce raisonnement, déduit de l'attention et de la comparaison, exercées successivement sur la sensation qui fait l'objet de la pensée, se décompose en deux alinéas. Dans le premier alinéa du raisonnement qui commence par ces mots, << approche donc et viens », le poète après avoir généralisé en principale la conséquence qui découle des réflexions précédentes, « le travail est nécessaire à l'homme, » décompose cette conséquence, et pour cela il distingue deux sortes de fatigue: celle qui est une suite du travail, et celle qui vient de l'oisiveté ; ce qui forme la division de l'alinéa en deux parties. Dans la première sont exposées les causes de la fatigue du poète, qui cependant trouve son bonheur dans la peine; dans la seconde sont développées les suites funestes de l'oisiveté paresseuse et de la mollesse indolente, les remords, les maladies. De ce contraste des vrais plaisirs que l'on goûte dans le travail, et des remords qui suivent l'oisiveté, le poète conclut que « la pauvreté mâle, active et vigilante est parmi les travaux, moins lasse et plus contente, que la richesse oisive au sein des voluptés. » Celte conséquence du raisonnement termine l'alinéa.

Dans le second alinéa du raisonnement qui commence ainsi : « Je te vais sur cela prouver deux vérités, » le poète propose la fin générale et morale de sa pensée, qui est le bonheur de l'homme. Car la pensée est l'opération de l'esprit qui détermine un être par des modifications et des rapports relativement à une fin générale ou particulière comprise dans la fin générale. Cette fin morale de toute pensée fait le sentiment moral du raisonnement, qui dans le discours sur des vérités d'intérêt général ou particulier à des peuples ou à des hommes, se substitue au raisonnement dans la péroraison, et donne à la pensée les mouvemens

pathétiques qui persuadent et entraînent la volonté vers la fin que se propose l'orateur.

Ce second alinéa du raisonnement se divise en deux parties dans la première, le poète expose la fin positive de sa pensée, « le travail est nécessaire à l'homme pour être heureux, » et la fin négative de la pensée, « l'oisiveté fait le malheur de l'homme »; dans la seconde partie, le poète termine son épitre en renvoyant le jardinier à ses travaux. Le tour qu'il donne à cette conclusion est noble et élégant.

Les observations que nous avons faites dans les commencemens de l'analyse de cette épitre sur l'usage des signes ponctuatifs, ont dû conduire facilement à l'application des principes de la ponctuation aux décompositions des derniers alinéas de l'épitre. Nous allons en rappeler la substance par les définitions suivantes que nous appuierons de nouveaux exemples tirés de Boileau.

CHAPITRE IX.

DIFFÉRENTS USAGES DES SIGNES DE LA PONCTUATION.

1o Le point.

Le point distingue une phrase dont le développement est fini. Il est affirmatif, interrogatif, désidératif, selon que la phrase est affirmative, interrogative, désidérative. Ces trois sortes de point expriment la même nature de point; ils ne présentent donc à l'observation aucune particularité remarquable, si ce n'est le point désidératif, qui est souvent employé pour séparer des mots isolés, c'est-à-dire des interjections, des signes de sensation. Mais le signe de la sensation (interjection) désigne une proposition entière sous un seul mot, et sous cet aspect, le point désidératif est compris dans la définition du point.

Nous trouvons l'usage des trois points dans une lettre de madame de Sévigné :

«En effet, dès qu'elle parut Ah! mademoiselle, comment se porte ?... Sa pensée n'osa aller plus. Madame, il se porte bien de sa blessure: et mon fils? Ou ne lui répondit rien. Ah! mademoiselle! mon fils! mon cher enfant! répondez moi, est-il mort sur le champ? n'a-t-il pas eu un seul moment? Ah! mon Dieu! quel sacrifice! »

Nous ajouterons à cet exemple un passage du quatrième chant du Lutrin de Boileau, dans lequel on verra l'usage des trois points tout à la fois. C'est le discours du chantre à la vue du pupitre.

La voilà donc, Girot, cette hydre épouvantable
Que m'a fait voir un songe, hélas! trop véritable!
Je le vois ce dragon tout prêt à m'égorger,
Ce pupitre fatal qui me doit ombrager!
Prélat, que t'ai-je fait ? quelle rage envieuse
Rend pour me tourmenter ton ame ingénieuse ?
Quoi! même dans ton lit, cruel, entre deux draps,
Ta profane fureur ne se repose pas !

O ciel! quoi! sur mon banc une honteuse masse
Désormais va me faire un cachot de ma place!
Inconnu dans l'église, ignoré dans ce lieu,
Je ne pourrai donc plus être vu que de Dieu!
Ah! plutôt qu'un moment cet affront m'obscurcisse,
Renonçons à l'autel, abandonnons l'office;

Et sans lasser le ciel par des chants superflus,
Ne voyons plus un chœur où l'on ne me voit plus.
Sortons... Mais cependant mon ennemi tranquille
Jouira sur son banc de ma rage inutile,
Et verra dans le chœur le pupître exhaussé
Tourner sur le pivot où sa main l'a placé!
Non, s'il n'est abattu, je ne saurais plus vivre.
A moi, Girot, je veux que mon bras m'en délivre :
Périssons, s'il le faut; mais de ses ais brisés
Entraînons, en mourant, les restes divisés.

Le point interrogatif se remplace par le point simple quand la phrase interrogative est liée grammaticalement à sa principale.

Songez quel déshonneur va souiller votre gloire,

Quand le chantre demain entendra sa victoire.

(Lutrin, ch. 3).

Méritez les lauriers qui vous sont réservés,
Et ressouvenez-vous quel prélat vous servez.
Mais déjà la fureur dans vos yeux étincelle :
Marchez, courez, volez où l'honneur vous appelle.
(Lutrin, ch. 3).

2o Le double-point.

Les deux points séparent de la principale les phrases accessoires composées qui sont séparées l'une de l'autre par le point virgule et dont les élémens sont séparés par la virgule.

<< Si vous ne trouvez aucune manière de gagner honteuse, vous qui êtes d'un rang pour lequel il n'y en a point d'honnête; si tous les jours c'est quelque fourberie nouvelle, quelque trait frauduleux, quelque tour de fripon, quelque vol ; si vous pillez et les alliés et le trésor public ; si vous mendiez des testamens qui vous soient favorables, ou si vous-même vous en fabriquez: dites-moi, sont-ce là des signes d'opulence ou d'indigence? »

(D'Olivet, pensées de Cicéron).

Tel qu'on voit un taureau qu'une guèpe en furie
A piqué dans les flancs aux dépens de sa vie ;
Le superbe animal, agité de tourmens,
Exhale sa douleur en longs mugissemens:
Tel le fougeux prélat que ce songe épouvante,
Querelle en se levant et laquais et servante,
Et d'un juste courroux rallumant sa vigueur,
Même avant le dîner, parle d'aller au chœur.

(Lutrin, ch. 1).

Il veut partir à jeun. Il se peigne, il s'apprête;
L'ivoire trop hâté deux fois rompt sur sa tête,
Et deux fois de sa main le buis tombe en morceaux :
Tel Hercule filant rompait tous les fuseaux.

(Lutrin, ch. 5).

Si les accessoires n'ont pas le caractère grammatical de subordination, qui est le conjonctif, en sorte qu'ils soient construits sous la forme de phrases parallèles, les deux points sont nécessaires pour marquer la subordination

qui, dans les rapports de même espèce, est déterminée par

la préposition.

La nature fertile en esprits excellens,

Sait entre les auteurs partager les talens:
L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme;
L'autre d'un trait plaisant aiguiser l'épigramme:
Malherbes d'un héros peut vanter les exploits;
Racan chanter Philis, les bergers et les bois.
Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s'aime,
Méconnaît son génie et s'ignore soi-même :
Ainsi, tel autrefois qu'on vit avec faret
Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret,
S'en va mal à propos d'une voix insolente
Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante,
Et poursuivant Moïse au travers des déserts,
Court avec Pharaon se noyer dans les mers.

(L'art poétique, ch. 1).

Mais si les accessoires sont placés aprés la principale et liés par des conjonctifs, le double point est inutile parce que les conjonctifs en tiennent la place.

Deux assiettes suivaient, dont l'une était ornée
D'une langue en ragoût, de persil couronnée;
L'autre d'un godiveau tout brûlé par dehors,
Dont un beurre gluant inondait tous les bords.

Satire 3o).

Le double point est nécessaire pour distinguer un discours dont le style n'est point à la même personne que le précédent, en sorte que le discours ayant un acteur différent, le conjonctif qui lie les discours du même auteur, doit être remplacé par les deux points qui en font l'office..

N'allez pas dès l'abord, sur Pégase monté,
Crier à vos lecteurs d'une voix de tonnerre:
Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre.

(L'Art. poétique, ch. 3).

Oh! que j'aime bien mieux cet auteur plein d'adresse
Qui sans faire d'abord de si haute promesse,
Me dit d'un ton aisé, doux, simple, harmonieux:
Je chante les combats et cet homme pieux
Qui des bords phrygiens conduit dans l'Ausonie,
Le premier aborda les champs de Lavinie.

(L'Art poétique, ch. 3).

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