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les courtisanes qui vécussent librement et indistinctement avec les hommes, l'habitude, générale parmi les jeunes gens, de vivre avec cette espece de femmes, tandis que toutes les meres de famille se tenaient dans l'intérieur de leur domestique, ne dut pas apporter beaucoup de réserve dans le langage ordinaire et journalier. Tout ce qui a rapport aux convenances sociales, n'a pu se perfectionchez une nation où le commerce continuel

ner que

:

des deux sexes a dû former peu à peu l'esprit général et épurer le ton de la société. La société ainsi composée est en effet l'empire naturel des femmes elles en sont devenues les législatrices nécessaires. Les hommes peuvent commander partout ailleurs là seulement l'autorité appartient toute entiere au sexe, à qui il a été donné par la nature d'adoucir et de polir le nôtre. Dès que tous les deux se rassemblent, dès qu'on fait de cette réunion un moyen habituel de bonheur, il faut bien, pour leur intérêt réciproque, que le plus doux et le plus aimable donne la loi, et que celui des deux qui apporte dans ce commerce le plus. d'agrémens et de douceurs, y ait aussi le plus d'influence. Alors a dû s'établir le principe de ne jamais prononcer devant les femmes un mot qui pût les faire rougir de là ce respect qu'aura

toujours pour elles tout homme un peu délicat ; sorte d'hommage qui peut les flatter encore plus

que

le desir de leur plaire, parce que l'un tient à l'attrait général du sexe, et que l'autre est un témoignage d'estime : de là ces égards que l'on doit à la modestie qui leur est naturelle, et qui doit nous être à nous-mêmes d'autant plus précieuse, que c'est encore en elles une grâce de plus et un charme nouveau qui se mêle à l'expression de leur sensibilité.

Tel était l'excellent ton de la cour de Louis XIV, celui qui se fait sentir dans tous les monumens qui nous en restent, celui qui servit de modele aux autres nations de l'Europe, et qui a fixé le caractere de l'urbanité française. C'est encore à ces traits que l'on reconnaît aujourd'hui la bonne compagnie, celle qui mérite véritablement ce nom. Sans doute la nation ne renoncera jamais à l'un des avantages les plus aimables qui l'aient distinguée jusqu'ici. On ne détruira pas le respect des convenances sociales sous prétexte d'égalité, et l'on ne nous ôtera pas la politesse des nations civilisées ni la décence des mœurs et du langage, sous prétexte de nous rendre la gaieté. Ce serait au contraire une preuve que nous l'aurions perdue, cette gaieté dont on nous parle, si l'on n'en pouvait plus

avoir qu'aux dépens de la pudeur publique. Ce genre de gaieté est heureusement celui de tous dont on se dégoûte le plus vîte. Ceux qui seraient tentés d'y avoir recours, y renonceront bientôt, ne fût-ce que par amour propre. On y réussit à peu de frais, et c'est de toutes les sortes d'esprit celle dont les sots tirent le plus de parti. Ainsi, quoique d'honnêtes gens, entraînés par la curiosité ou par la mode, puissent s'amuser un moment de ces spectacles subalternes, comme on s'arrête quelquefois dans la rue devant le théâtre de Polichinelle, ils ne croiront jamais que la gaieté française aille prendre des leçons à ces farces grossieres, qui auraient été sifflées dans les cours de Versailles par les valets de pied de Louis XIV.

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Il n'y a point, à proprement parler, de comédie latine, puisque les Latins ne firent que traduire ou imiter les pieces grecques, que jamais ils ne mirent sur le théâtre un seul personnage romain, et que dans toutes leurs pieces c'est toujours une ville grecque qui est le lieu de la scene. Qu'est-ce que des comédies latines, où rien n'est latin que le langage? Ce n'est pas là sans doute un spectacle

national. Le nôtre lui-même n'a mérité ce titre que depuis Moliere : avant lui, toutes nos pieces étaient espagnoles, parce que Lope de Vega, Caldéron, Rozas et d'autres furent les premiers modeles de nos auteurs. C'est un tribut que paient en tout genre les nations qui viennent les dernieres dans la carriere des arts; mais quand on arrive après les autres, il reste une ressource; c'est d'aller plus loin qu'eux, et les Français ont eu cette gloire qui a manqué aux Romains.

Ennius, Nævius, Cæcilius, Aquilius et beaucoup d'autres, tous imitateurs des Grecs, ne sont point venus jusqu'à nous. Il nous reste vingt et une pieces de Plaute, qui écrivait dans le tems de la seconde guerre punique. Épicharme, Diphilus,

Démophile et Philemon furent ceux dont il emprunta le plus. Si l'on en juge par ses imitations, on n'aura pas une grande idée de ses modeles, Le comique de Plaute est très-défectueux : il est si borné dans ses moyens, si uniforme dans son ton, qu'on peut l'appeler un comique de convention, tel qu'a été long-tems celui des Italiens, c'est-à-dire, un canevas dramatique retourné en plusieurs façons, mais dont les personnages sont toujours les mêmes. C'est toujours une jeune courtisane, un vieillard ou une vieille femme qui la vend, un jeune homme qui l'achete, et qui se sert d'un valet fourbe pour tirer de l'argent de son pere. Joignez-y un parasite, espece de complaisant du plus bas étage, et dont le métier, à Athenes comme à Rome, était d'être prêt à tout faire pour le patron qui lui donnait à manger; de plus, un soldat fanfaron, dont la jactance extravagante et burlesque a servi de modele aux capitans, aux matamores de notre vieille comédie, qui ne reparaissent plus aujourd'hui même sur nos tréteaux : voilà les caracteres qui se représentent sans cesse dans les pieces de Plaute. Cette uniformité de personnages et d'intrigues n'est que fastidieuse celle du style et du dialogue est dégoûtante. Tous ces gens-là n'ont qu'un langage dans toutes les situations : c'est celui

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