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tres que nous avons rapportés, que la poésie, travaillée par une main habile, est très-capable de parler le langage de la piété la plus tendre et la plus affectueuse, ce que bien des personnes croient impossible.

Sonnet de Des Barreaux.

C'est le langage d'un pécheur pénitent.

Grand Dieu, tes jugemens sont remplis d'équité!
Toujours tu prends plaisir nous être propice :
Mais j'ai tant fait de mal, que jamais ta bonté
Ne me pardonnera qu'en blessant ta justice.

Oui, Seigneur, la grandeur de mon impiété
Ne laisse en ton pouvoir que le choix du supplice.
Ton intérêt s'oppose à ma félicité,

Et ta clémence même attend que je périsse.

Contente ton désir, puisqu'il t'est glorieux.
Offense-toi des pleurs qui coulent de mes yeux,
Tonne, frappe, il est temps, rends-moi guerre pour guerre.

J'adore, en périssant, la raison qui t'aigrit :
Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,
Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ?

Personne n'ignore que ce sonnet est un des plus beaux que la poésie française ait jamais produits.

Fin des sujets sacrés.

CHAPITRE II.

De ce qui contribue à la beauté de la poésie.

DES PENSÉES.

Les pensées sont les images des choses: car penser c'est former en soi la peinture d'un objet spirituel ou sensible.

1o De ce principe, il suit que la première qualité (1) que doit avoir une pensée, c'est d'être vraie, puisque les images et les peintures ne sont véritables qu'autant qu'elles sont ressemblantes: ainsi, une pensée est vraie, lorsqu'elle représente les choses fidèlement ; et elle est fausse, quand elle les fait voir autrement qu'elles ne sont. Les pensées sont plus ou moins vraies, selon qu'elles sont plus ou moins conformes à leur objet ; cette conformité fait la justesse de la pensée : une pensée juste est une pensée vraie de tous les côtés.

Mais, pour penser bien, il ne suffit pas que les pensées n'aient rien de faux; car, à force d'être vraies, elles sont quelquefois triviales: ainsi, outre la vérité qui contente l'esprit, il faut quelque chose qui le frappe et qui le surprenne, Mais comme toutes les pensées ingénieuses ne sauraient être nouvelles, il faut du moins que celles qui sont employées dans des ouvrages d'esprit ne soient point usées.

(1) Qualités que doivent avoir les pensées.

2o On peut dire que dans ce genre, surtout en fait de poésie, la vérité qui plaît tant ailleurs sans nul ornement, en demande ici nécessairement, et cet ornement n'est quelquefois qu'un tour nouveau qu'on donne aux choses par des figures, des comparaisons, des allégories, des métaphores et autres secours de l'art, qu'un esprit facile sait mettre en usage.

3o Elles doivent être proportionnées au sujet qu'on traite; ainsi dans une matière sérieuse et élevée, des pensées badines et familières seraient déplacées, de même que dans un sujet gai et riant, on trouverait mauvais qu'un auteur employât des figures et des comparaisons qui ne sont propres qu'au genre sublime.

4o Elles doivent être claires et intelligibles, autrement, quelque sublimes, quelque agréables, quelque délicates qu'elles soient, elles perdent tout leur prix et on ne fait aucun cas de l'esprit de l'auteur. En toutes sortes de matières, l'obscurité est très-vicieuse. Ce que des personnes intelligentes ont peine à entendre, n'est point ingénieux; on est obscur à mesure qu'on a le sens petit et le goût mauvais.

5o Il faut qu'elles laissent quelque chose à penser à ceux qui les lisent ou qui les entendent. Agir autrement et tourner trop long-temps autour d'une même pensée, c'est épuiser le sujet, et c'est tomber dans le défaut qu'on a si justement reproché à Ovide. Un des plus sûrs moyens de plaire n'est pas tant de dire et de penser, comme de faire penser et de faire dire (1). Un auteur qui veut tout dire, ôte au lecteur un plaisir qui le charme, et pour lequel il goûte les ouvrages d'esprit ; il le choque même, parce qu'il lui donne sujet de croire qu'on se défie de sa capacité au lieu que l'adresse de l'auteur est d'ouvrir seulement l'esprit du lecteur, en lui préparant de quoi produire et de quoi raisonner. Par-là le lecteur attribue ce qu'il pense à un effet de son génie.

6o Elles doivent être naturelles. Les pensées naturelles sont celles que la nature du sujet présente, qui nais

(1) Bouhours.

sent, pour ainsi dire, du sujet même, où rien n'est tiré de loin, ni trop recherché. Une pensée naturelle semble devoir venir à tout le monde et n'avoir presque rien coûté à trouver. Rien n'est beau s'il n'est naturel.

70 Enfin elles doivent être nobles et délicates, car, comme le vrai est l'ame d'une pensée, la noblesse et la délicatesse en sont l'ornement et en rehaussent le prix. Nous allons voir ce qu'on doit entendre par ces deux qualités.

Des pensées nobles, grandes et sublimes.

La noblesse des pensées vient, selon Hermogène, de la majesté des choses dont elles sont les images. Telle est la nature de celles qui passent pour grandes et illustres parmi les hommes; comme la puissance, la générosité, l'esprit, le courage, les victoires, les triomphes, les grands traits de vertu et de magnanimité qui caractérisent les héros, etc. On doit mettre dans la même espèce les pensées fortes et sublimes. Ce sont celles qui sont pleines d'un grand sens, exprimées en peu de paroles d'une manière vive. On en verra des exemples au chapitre des sentimens dans le genre sublime : ces sortes de pensées entraînent comme par force notre jugement, et remuent toute notre ame. Elles plaisent beaucoup, parce qu'elles ont du grand qui charme toujours l'esprit.

Cette noblesse des pensées vient encore de la nature des figures que l'on emploie pour peindre les objets. La métaphore, par exemple, est une sorte de figure qui produit un merveilleux effet sur notre imagination. Rien ne flatte plus l'esprit que la représentation d'un objet sous une image étrangère, comme dans cette pensée : Les lis ne filent point, pour dire qu'en France les filles ne succèdent point à la couronne. Il en est de même des métaphores animées et qui marquent de l'action; telle est cette expression de Malherbe, pour dire que la mort n'épargne personne : Et la garde qui veille aux barrières du Louvre n'en défend pas nos rois; ou celle d'Horace lorsqu'il veut faire entendre que les grands ne

sont point exempts de soucis, qu'il dépeint volants autour des lambris dorés : Et curas laqueata circùm tecta volantes (1). Mais il faut observer que la véritable grandeur et la noblesse des pensées doivent avoir de justes mesures; tout ce qui excède est hors des règles de la perfection.

Des pensées délicates.

Les pensées délicates ont cela de propre, qu'elles sont souvent renfermées en peu de paroles, et que le sens qu'elles contiennent n'est pas si visible ni si `marqué; il semble d'abord qu'elles le cachent en partie afin qu'on le cherche et qu'on le devine, ou du moins elles le laissent seulement entrevoir, pour nous donner le plaisir de le découvrir tout-à-fait quand on a de l'esprit. Ce petit mystère est comme l'amé de la délicatesse des pensées, en sorte que celles qui n'ont rien de mystérieux ni dans le fond ni dans le tour, et qui se montrent tout entières, à la première vue, ne sont pas, à proprement parler, délicates, quelque spirituelles qu'elles soient; d'où l'on peut remarquer que la délicatesse ajoute je ne sais quoi d'agréable au sublime même. Une réflexion subtile et judicieuse tout ensemble contribue beaucoup à cette délicatesse. Ces sortes de pensées sont ordinairement exprimées d'une manière vive, qui plaît infiniment par le tour ingénieux et peu commun dont elles sont rendues; c'est ce tour même qui les fait souvent appeler brillantes. Il est certain qu'elles ennoblissent la matière traitée par l'auteur; elles donnent de la grâce et de l'élévation au discours. Mais outre la délicatesse des pensées, qui vient de l'esprit seulement, il y en a une qui vient des sentimens, et où l'affection a plus de part que l'intelligence; c'est ce qu'on verra avec plus de détail dans le chapitre des grands sentimens. Nous allons donner de suite quelques exemples de pensées nobles et délicates.

(1) Liv. a, ode 13.

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