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On y déclare que les plantations étant habitées et peuplées par des sujets de l'Angleterre, c'est le droit de la métropole de les maintenir dans une étroite alliance, et d'en tirer parti pour développer le commerce et la navigation anglaise; c'est ainsi, dit-on, qu'on fera de l'Angleterre le marché, non-seulement des colonies, mais du monde, puisqu'il faudra que les autres nations tirent de la Grande-Bretagne les denrées coloniales, et d'ailleurs, est-il ajouté, c'est la politique constante des autres nations d'Europe, de se réserver le commerce de leurs colonies.

Bientôt le parlement, entraîné par ces idées, alors en grande faveur dans l'opinion, fit un pas plus décisif. L'acte de navigation, si rigide qu'il fût, permettait le commerce des colonies entre elles, et, sous ce régime, la nouvelle Angleterre était devenue, par son industrie, le marché (marché peu considérable) des plantations du sud; Boston envoyait des navires à Philadelphie, à Baltimore, à la Jamaïque; c'en fut assez pour exciter la jalousie des marchands de la métropole; et en 1672 pour chasser du sud leurs compétiteurs, ils ôtèrent la liberté de commerce entre les colonies, en frappant leurs échanges d'une taxe égale à celle qui pesait en Angleterre sur les articles importés d'outre-mer1.

1. Bancroft, chap. IX.

Par degrés, l'avarice des marchands anglais devint encore plus hardie, et un nouvel acte du parlement défendit à l'Amérique, non- seulement de fabriquer des articles qui auraient pu faire concurrence aux produits anglais sur le marché étranger, mais encore de se fournir elle-même, par son propre travail, les produits nécessaires à la consommation locale.

C'est ainsi que l'industrie américaine fut complétement détruite au profit des manufactures anglaises. Berkeley écrivait au roi, en 1671: « Cet acte sévère du parlement, qui nous interdit tout autre négoce qu'avec l'Angleterre, est un obstacle si puissant et si désastreux à notre commerce et à notre navigation, que nous ne pouvons établir dans nos plantations les cultures qui y viennent naturellement, l'olivier, le coton, la vigne; nous ne pouvons nous procurer un seul homme habile pour notre industrie de la soie, qui donne tant d'espérances; il est illégal de porter un morceau de bois ou un boisseau de grain en Europe, hors des domaines de Votre Majesté. Si cela était pour le service du roi ou dans l'intérêt de ses sujets, nous ne nous plaindrions pas, quelles que fussent nos souffrances; mais, sur mon âme, c'est tout le contraire, et c'est la cause pourquoi on ne construit ici ni grands ni petits vaisseaux. C'est que nous, nous obéissons à la loi, tandis que la Nouvelle-Angleterre s'en

dispense et fait le commerce partout où son intérêt l'appelle. Je ne vois pas d'amélioration possible dans nos affaires si on ne nous laisse la liberté de transporter autre part que dans les domaines du roi, et nos bois et nos grains.

Trente ans plus tard, Beverly consacrait un chapitre de son Histoire de Virginie au peu de soin qu'on a des manufactures en Virginie, sans se rendre compte que les coupables étaient non pas les planteurs, mais les Anglais, et sans se douter qu'il faisait la plus sanglante satire du système colonial.

On y reçoit d'Angleterre tout ce qui sert à s'habiller, comme les toiles, les étoffes de laine et de soie, les chapeaux et le cuir. Cependant il n'y a point d'endroit au monde où le lin et le chanvre soient meilleurs ; les brebis y sont d'un excellent revenu et portent une bonne toison, mais on ne les tond que pour les rafraichir. Les mûriers dont les feuilles servent à nourrir les vers à soie croissent ici naturellement, et les vers à soie y prospèrent le mieux du monde. - Il y a grande apparence que les fourrures dont on y fait les chapeaux sont renvoyées dans le pays après en être sorties. D'ailleurs on y laisse pourrir une infinité de peaux, et l'on ne s'en sert qu'à couvrir quelques denrées sèches dans les maisons un peu délabrées.... Malgré les vastes forêts qui couvrent le pays, on y fait venir d'Angleterre des meubles, des chaises, des tables, des coffres, des tabourets, des caisses, des roues de charrette, en un mot, toutes sortes d'ustensiles de bois, et qui pis est, des balais de bouleau, ce qu'on aura de la peine à croire1.

1. Beverly, p. 383.

Telle fut la politique coloniale de la Grande-Bretagne, système de monopole emprunté de l'Espagne et poursuivi strictement pendant plus d'un siècle par vingt-neuf statuts du parlement. Pendant longtemps on a vu daus l'acte de navigation un chefd'œuvre de politique. Au point de vue économique, Adam Smith déclarait que c'était une véri table violation des droits de l'humanité, mais au point de vue politique il l'approuvait : «< Comme la sûreté d'un État est d'une plus grande importance que son commerce, nous dit-il, l'acte de navigation est peut-être le plus sage de tous les règlements de commerce de l'Angleterre 1. »

Ce n'est point ici le lieu d'examiner ce qu'il y a de fondé dans l'opinion d'Adam Smith; il ne serait pas malaisé de démontrer que ce faux système, qui isolait toutes les nations, et les constituait ennemies l'une de l'autre, au lieu de les unir par le lien de mutuels échanges, a été la cause de la plupart des guerres faites dans les derniers siècles, et que tour à tour il a mis l'Angleterre aux prises avec la Hollande, avec la France et enfin avec l'Espagne, l'Espagne que, par un abus de la force bien remarquable, le cabinet de Londres contraignit à se relâcher de ses rigueurs coloniales, et à souffrir dans son domaine d'outremer ce que l'Angleterre lui refusait de son côté.

1. Adam Smith, liv. IV, chap. 11.

La théorie des lois prohibitives, a dit M. d'Hauterive, est écrite en lettres de sang dans l'histoire de toutes les guerres qui, depuis quatre siècles, mettent partout l'industrie aux prises avec la force, oppriment l'une, corrompent l'autre, dégradent la morale politique, infectent la morale sociale et dévorent l'espèce humaine.

Le système colonial, l'esclavage, les haines de l'avarice, qu'on appelle haines nationales; les guerres de l'avarice, qu'on appelle guerres de commerce, ont fait sortir de cette boîte de Pandore l'inondation des erreurs, des fausses maximes, des richesses excessives, corruptrices, et mal réparties, de la misère, de l'ignorance et des crimes, qui ont fait de la société humaine, dans quelques époques de l'histoire moderne, un tableau si odieux, qu'on n'ose s'y arrêter, de peur d'avoir à prononcer contre le développement de l'industrie et le progrès même de la civilisation1.

Pour ne parler que de l'Amérique, les effets de cette politique furent désastreux; ce fut le triomphe de la force et de l'injustice sur le droit qu'a tout homme d'acheter et de vendre librement. Les colons ne pouvant demander les produits de l'Europe qu'aux marchands anglais, qui nécessairement gagnaient au monopole, il en résultait cette iniquité qu'on appauvrissait les habitants de l'Amérique pour enrichir quelque négociant de Londres ou de Bristol. Dans la vente de leurs produits, les planteurs ne souffraient pas un moindre préjudice; le prix des tabacs baissait parce qu'il y avait peu d'acheteurs, le prix des

1 Précis d'écon. polit.

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