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verra dans le IIIe Traité, où l'on parlera de sa noblesse. A ce derniers vers de la strophe II:

« S'egli non teme angoscia di sospiri, »

(à moins qu'il (le cœur) ne redoute l'angoisse des soupirs), Dante dit: Il faut entendre par là : si celui qui se livre à l'étude ne redoute pas les difficultés, les doutes qui s'élèvent dans l'esprit lorsque l'on commence à être amoureux de cette Dame, la Philosophie.... Et là où l'âme dit « li miei pari » (mes pareils), il faut entendre les âmes libres dégagées de toutes les misères et de toutes les délices dont l'homme est esclave.- -« Uno spiritel d'Amor» (3 v. de la IVe stroph.) doit s'entendre d'une pensée qui naît de mon désir d'apprendre: car il ne faut pas perdre de vue que dans cette allégorie, Amour doit toujours s'entendre de l'étude, de l'application de l'esprit amoureux envers la chose qu'il aime et qu'il désire. Puis quand je dis, ajoute Dante, « di si alti miracoli adornezza » (sa beauté ornée de si éclatants miracles), je veux dire que par elle, par la connaissance de la philosophie, les hommes, selon l'opinion du philosophe (Aristote), furent témoins de tant de merveilles qu'il ne purent s'empêcher de devenir amoureux de cette Dame. Là se borne, dit Dante en terminant le second Traité du Banquet, l'exposition de cette Chanson, » Et, malgré tout le mérite que peuvent avoir les commentateurs anciens et modernes du grand poète florentin, je m'en tiendrai aux éclaircissements qu'il a cru devoir nous donner sur son ouvrage.

CHANSON XV.

Amor che nella mente mi ragiona, etc. page 353.

Maintenant que Dante nous a donné lui-même la clé du sanctuaire, il devient plus facile d'y pénétrer et d'en connaître toutes dispositions intérieures: aussi ne m'arrêterai-je pas longtemps sur cette seconde Chanson, qui sert de texte aux dissertations morales, religieuses et scientifiques qui remplissent le III Traité du Banquet. La Chanson précédente traite de l'amour, de l'étude de la philosophie, et cette seconde a pour objet ses louanges. L'intelligence en sera, je crois, facile aux lecteurs attentifs. En tout cas, je dois dire que la prose du III• Traité contient une foule de documents scientifiques et philosophiques dont nous sommes tout-à-fait en droit aujourd'hui de critiquer l'ordonnance imparfaite, mais qui, ainsi que je l'ai déjà dit, étaient des semences précieuses jetées çà et là dans les intelligences au commencement du XIVe siècle, et dont on a recueilli plus tard les fruits abondants.

CHANSON XVI.

La dolci rime d'amor, ch' i soglia, etc. page 359.

Des trois Chansons extraites du Banquet, celle-ci, toute morale, peut, à une exception près, se passer de com

mentaire. L'auteur s'est proposé de démontrer que la vraie noblesse est une semence mise dans l'âme de l'homme par Dieu, et que l'âme qui l'a reçue devient amie de la vertu et en donne constamment des preuves par la noblesse de ses intentions et de ses actes.

Il est curieux de voir (str. II, III et IV) les opinions que Dante professait sur la noblesse de race, et comme cet amant de la philosophie fait remonter l'origine de toute vraie noblesse à la vertu. S'il est quelque chose qui justifie ce que je disais plus haut, de la hardiesse avec laquelle le poète florentin a exprimé les idées les plus fortes et les plus en avant de son siècle, dans la langue parlée par tous les habitants de l'Italie, à coup sûr c'est cette Chanson, où le bon plaisir impérial employé à faire des nobles est traité si cavalièrement, à une époque où les croisades, la chevalerie et l'orgueil nobiliaire gouvernaient tyranniquement encore l'opinion de toute l'Europe.

Dante était un homme, un poète plein de cœur et de courage; et lui qui avait à sa disposition ce langage allégorique et parfois alambiqué dont ces Chansons nous ont fourni tant d'exemples, parle contre la noblesse d'institution humaine, avec une franchise que peu d'autres ont montrée depuis lui.

Je terminerai mes observations sur cette Chanson en signalant les beautés pures et originales que renferme la VIIe strophe.

Depuis Horace, tous les poètes ont fait leurs petits couplets sur les quatre âges de l'homme; mais j'avoue que je n'en connais pas où ce rapprochement des différentes époques de la vie soit présenté avec tant de nouveauté, de grâce et d'élévation que dans ce passage de

Dante. Ce délicieux morceau, que je ne me souviens pas d'avoir vu cité, mérite d'être connu, étudié, savouré; et je le recommande particulièrement aux jeunes gens qui font une étude sérieuse de la langue italienne.

Quoique l'ensemble de cette Chanson soit clair, il s'y trouve cependant un passage que je ne me flatte pas d'expliquer complètement, mais sur lequel je dirai quelques mots. La première strophe se termine par cette phrase: « Et premièrement j'invoque ce Seigneur (Amour) qui habite dans les yeux de ma Dame, et par l'intermédiaire duquel elle est amoureuse d'elle-même. » Cette figure et cette locution sont communes à tous les poètes mystiques italiens. On les trouve employées dans toute leur simplicité dans les poésies attribuées à saint François d'Assises; et elles se fondent sur l'idée que l'amant, à force d'adorer l'objet qu'il désire, s'identifie avec lui et finit par se transformer en lui, de telle sorte que l'aimant et l'aimé ne font plus qu'un. C'est ainsi que saint François et plus tard Jacopone de Todi ont dit être tranformés en Jésus-Christ par l'ardeur de l'amour qu'ils lui portaient. Cette figure, qui ne fut longtemps que religieuse, a été adoptée ensuite par les poètes mondains et philosophes, tels que Dante, Cecco d'Ascoli, Francesco de Barberino, Pétrarque, etc., qui se sont aussi transformés en la Dame de leurs pensées, qui n'ont plus fait qu'un avec elles, si bien que cette Dame, qui était aussi un homme, devenait amoureuse d'elle-même. C'est en raison de ce langage apocalyptique que beaucoup de passages des poèmes de Dante et de ses sectateurs, prennent un sens conventionnel et allégorique, comme cette phrase de la Vie nouvelle où Dante, s'excusant de ne pas faire plus d'éloges de Béatrice morte, donne pour raison

« Qu'il ne convient pas qu'il traite ce sujet, parce qu'alors (faisant un avec sa Dame) il se trouverait forcé de se louer lui-même, chose inconvenante et blåmable. » Par ce trait, on peut juger des étranges combinaisons. auxquelles le style dantesque est soumis, et combien il est facile de prendre le change sur les idées de ceux qui l'ont employé.

CHANSON XVII.

Doglia mi reca nello core, etc. page 367.

Quelques mots suffiront pour éclaircir ce que pourrait présenter encore d'obscur cette Chanson toute philosophique et morale.

Le poète s'adresse aux Dames cette fois : or, par cette désignation collective, je crois qu'il faut entendre les différentes sciences et l'ensemble des connaissances humaines qui concourent à former la science par excellence, la Philosophie.

En morigénant les Dames comme il fait dans cette pièce, Dante paraît donc s'élever contre ceux qui s'occupent des sciences diverses, et qui, au lieu de faire. tourner le savoir qu'ils acquièrent à la connaissance et à l'exercice des vertus, oublient cet objet principal pour ne plus s'occuper que de l'attrait extérieur qu'offre l'étude des choses de la nature, et satisfaire exclusivement leur curiosité, leurs plaisirs et souvent même des passions coupables. En admettant cette expli

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