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de la moulure et peut avoir servi à recevoir une tige de soutènement de l'inscription ou de l'ornement. »

De tout ceci il semble bien résulter que le lieu de Saint-Jean d'Angély était habité par des membres des classes supérieures de l'époque gallo-romaine.

Etait-ce une villa, un burgum, une curtis, c'est-ce qu'il est difficile de déterminer? Mais de ce fait que la voie romaine ne passait qu'à une distance relativement éloignée de ce lieu, il est à supposer qu'il n'y avait pas là un centre important. Ce n'est, en effet, que plus tard, que la voie secondaire qui passait à Saint-Jean d'Angély, prit une réelle importance.

On pourrait penser cependant que cet endroit était tout à la fois le centre de l'administration de la forêt d'Essouvert, de l'exploitation agricole de la vallée de la Boutonne, à son confluent avec la Nie; peut-être en plus et, comme conséquence, un lieu de marché destiné à l'écoulement des produits de ce coin de terre et à l'approvisionnement des choses nécessaires aux habitants.

Nous ne reviendrons pas ici sur ce que nous avons dit sur le régime des forêts de la région, à l'égard notamment de la forêt d'Argençon ou de Benon 1. La forêt d'Essouvert, comme cette dernière, relevait très probablement du fisc, puisqu'on la voit plus tard faire partie du domaine direct des comtes de Poitiers, ducs d'Aquitaine, et, par suite, on s'explique très bien, en ce lieu, l'existence d'une villa qui servait de centre aux officiers du fisc.

Nous n'avons pas antérieurement au VIIIe siècle de textes précis qui nous le disent, sinon celui qui rappellerait l'existence d'une chapelle dédiée à Notre-Dame et donnée en l'année 402, par l'église de Poitiers, à Ambroise, évêque de Saintes 2. Nous sommes donc contraint de nous en référer aux documents de cette époque ou des temps qui suivirent.

La première mention que l'on voudrait trouver de ce lieu d'Angéri, remonterait à Charlemagne.

En l'année 769, au mois de juillet, l'empereur Charlemagne accordait au vénérable Hardrad, abbé du monastère de Sithiu, au pays de Thérouanne, c'est-à-dire de Saint-Bertin (abba de monasterio Sithiu qui est in pago Tervaninse), des immunités

1.Voir Cartulaire de la Grâce-Dieu, p. 3 et suiv. Arch. Saint., t. XXVII. 2. Voir le chapitre consacré aux églises.

pour son monastère. Ce privilège est donné à Andiacum1. Quelques-uns pensent qu'il s'agissait d'Angéri, le copiste ayant négligé par suite d'une lecture fautive, de tenir compte de l'abréviation usuelle qui aurait dû donner Anderiacum au lieu de Andiacum, et que ce mot n'aurait été qu'une variante d'Angeriacum, forme habituelle, dans les temps postérieurs, du nom primitif d'Angéri. On se base également pour cette interpréta tion sur ce que, la même année, au mois de mai, Charlemagne aurait signé un précepte relatif à Saint-Aubin d'Angers, au lieu dit Murnaco, que l'on traduit par Mornay, château du département de la Charente ou de la Charente-Inférieure, près de SaintJean d'Angély, ou encore par Mornac, près de Saintes 2.

Cette interprétation est douteuse. Dom Bouquet placerait, il est vrai, Andiacum, dans le pays d'Angoumois 3. C'est aussi l'opinion de Quicherat qui traduit Angiacum par Angeac (Charente). H. de Tilly, M. le docteur Guillaud veulent y voir Angeriacum et non un lieu de la Charente 5.

Mais Mabillon a des doutes. Il ne croit pas à la présence de Charlemagne dans notre contrée en cette première année du règne de l'empereur. Il est, en effet, bon de noter que le XI jour des calendes d'avril, Charlemagne se trouvait à Aix-laChapelle, et que le XVIIe jour des calendes du même mois, il était dans une villa nommée Audriaca, villa ou palais situé sur l'Authie, dans la Picardie, non loin du monastère de SaintBertin (Sithiensis) et qu'il faudrait retrouver dans Orville, canton de Pas, sur l'Authie, arrondissement d'Arras (Pas-de-Ca

1. Mabillon, De re diplom., Paris, 1681, in-fo, p. 306 et 610. Dom Bouquet, Rec. des Hist. des Gaules et de la France, t. V, p. 717-718.

2. Dom Bouquet, loc. cit., p. 717, ex schedis Joh. Mabillonü. Voir aussi Patrologie Migne, t. XCVII, col, 914 et suivantes.

3. Id., p. 718, note A.- De Tilly, Charlemagne en Saintonge, Rec. de la Con, loc. cit., t. VIII, p. 355.

4. Quicherat, De la formation française des anciens noms de lieux. Paris, A. Franck, 1867, in-16, p. 20.

5. Charlemagne en Saintonge. Rec. de la commission, loc. cit., t. VIII, p. 355-356. — M. le Dr Guillaud, conférence à Saint-Jean d'Angély citée dans la Revue de Saintonge, loc. cit., t. XXII, p. 14.

6. Dom Bouquet, loc. cit., p. 716. (Præceptum Carlomanni regis pro cœnobio Monasteriensi (Munster en Gregoriental) ex archivo hujus cœnobii.

lais) 1. S'il y avait une faute de lecture, ne pourrait-on pas admettre que le lieu d'Andiacum, où Charlemagne se trouvait au mois de juillet, pourrait être le même qu'Audriacum où il était au mois d'avril ?

Il est bon toutefois d'examiner d'autres documents qui pourraient, avec plus de probabilité peut-être, faire identifier Andiacum ou Angiacum avec Angeriacum, Saint-Jean d'Angély.

Mabillon 2, en énumérant les palais des rois Francs, rappelle que Charlemagne, en l'année 796, désigna quatre palais en Aquitaine où Louis le Débonnaire, roi d'Aquitaine, passerait l'hiver. L'un d'eux était appelé Andiacum 3.

Quelques historiens ont identifié ce lieu avec Angers (Juliomagus Andicavorum), sous le prétexte que cette ville était dans le voisinage de l'Aquitaine. D'autres veulent rapprocher Andiacum du fleuve Andaie, l'Andaye, en Gascogne, entre Bayonne et Fontarabie. Mabillon déclare qu'il ne voit pas sur quels fondements ces historiens peuvent baser leur opinion. Hadrien de Valois, dans sa Notice des Gaules, dit que ce nom a dû être altéré, et qu'il serait préférable de lire Jocundiacum, nom d'un palais situé sur le territoire des Lémovices. Mabillon, à la suite des recherches qu'il fit à cette occasion, remarque toutefois que les manuscrits de la bibliothèque de Colbert, comme toutes les éditions, donnent bien Andiacum et non Jucundiacum. Et il conclut qu'il faut rechercher vraisemblablement ce palais dans l'évêché de Saintes, pays convenant admirablement à sa situation, par suite de sa fertilité, de la beauté de ses eaux et de l'existence de forêts où l'on pouvait chasser.

Un autre motif fait encore pencher les savants historiens pour la Saintonge ou l'Angoumois en ce qui touche Andiacum 5. La chronique de Fontenelles, écrite avant l'an 800, nous apprend, sous le chapitre VII, que Bénigne (Benignus) qui

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1. Dom Bouquet, loc. cit., renvoyant à dom Martène, t. I, Ampl. collect., col. 31; et Mabillon, De re diplomatica, loc. cit., p. 610.

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3. L'Astronome, historien de Louis le Pieux avant 840. Voir Hist. litt. France, V, 49-52; XI, xIx-xx, etc.

4. Mabillon, loc. cit., p. 245-246. M. Richard le place à Angeac, en Angoumois. Hist. des comtes de Poitou, t. I, p. 2, note 1.

5. Mabillon, Loc. cit., p. 289.

6. Spicilège... D. Luca d'Achery... nova editio, Baluze, Martène... 1723, t. II, p. 269.

dirigeait cette abbaye, avait fait don à son monastère de biens lui appartenant en propre. C'était Crisciacum, Saleciagum, Saviniacum, Captialonnum et Magalonnum qui sont in pago Sanctonico; Agannagum, Bonelum, Andiagum, Vodertam, Aguin· tum, 1 Anbariago, Riveram, aliaque prædia quæ sunt sita in pago Engolismensi. Sunt possessiones viginti duo, pagi septem. L'attention de Mabillon se porta sur le nom d'Andiagum qu'il identifie avec Angiacum. Pour lui ces deux termes pourraient bien désigner le même lieu, et il pense qu'il conviendrait peutêtre de les placer non pas en Saintonge, mais en Angoumois, et de les identifier avec Angeac, de l'archiprétré de Jarnac.

Il semble bien, en effet, que, dans la chronique de Fontenelles, une distinction soit faite entre les lieux situés dans le pays de Saintonge et ceux qui sont placés dans le pays d'Angoumois. Crisciacum serait Cressé, dans le canton de Matha; Saleciagum, Salignac, canton de Mirambeau, ou une autre localité du même nom dans la commune de Pérignac, canton de Pons; ou bien encore Saleignes, canton d'Aulnay, Salanzac, commune de Champagnolles, canton de Saint-Genis, La Sauzaie, près de Fontcouverte, ou La Sauzée, près de Dampierre-sur-Boutonne; Saviniacum, Sauvignac, canton de Brossac, arrondissement de Barbezieux; Captialonum, Chalons, commune du Gua, ou Châlons, commune de Villexavier, près de Jonzac; Magalonnum, Les Magnaux, commune de Montlieu, Maculan, commune de Pons, Margonnelle, commune des Eglises d'Argenteuil, ou Le Mung, canton de Saint-Porchaire.

Quant aux localités placées dans le pays d'Angoumois, elles semblent bien, d'après nous, s'y retrouver, sauf quelques-unes qui pourraient cependant appartenir au pays de Saintonge, à la limite de l'Angoumois..

Il ne serait pas impossible de traduire Agannagum par Ad Gannagum, Ad Garnagum ou Jarnagum, 2 où l'on retrouverait

1. Une autre leçon donne Agintum.

2. Dans les cartulaires on trouve de nombreux exemples de l'adjonction de la préposition aux noms de lieux, ou bien la disparition d'un a originaire. Dans le cartulaire de Saint-Jean d'Angély, on rencontre : Adareas pour Ad Areas, Agerna devenu La Jarne, Alabeit, Albugis devenu Les Buges, Alpiniacensis ecclesia pour Le Pinier, etc.; dans le cartulaire de Baignes (abbé Cholet, Niort, Clouzot, 1868), Albaruc devenu Bascles (Charente), Albocal, Alviniacum, devenu Vignac (Charente), Areac devenu Réac ou Reiac, etc.

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Jarnac, et Bonelum 1 par Bonneuil, deux localités proches d'Angeac. Jarnac-Champagne est, en effet, dans l'arrondissement de Cognac, non loin d'Angeac-Charente et Bonneuil, placés dans le même canton et arrondissement. Mais il y a aussi, non loin de Bonneuil, Jarnac-Champagne, canton d'Archiac, arrondissement de Jonzac (Charente-Inférieure), et AngeacChampagne, canton de Segonzac, arrondissement de Jonzac (Charente). Ces trois dernières localités relevaient originairement de l'évêché de Saintes, étaient à la nomination de l'évêque, et pouvaient fort bien, par suite, faire partie originairement du pagus Sanctonicus, les circonscriptions épiscopales ayant souvent les mêmes limites que les pagi.

Quant aux autres localités indiquées par la chronique comme faisant partie du pagus Engolismensis, elles semblent bien. s'y retrouver. Vodertam serait Vouharte, canton de SaintAmant de Boixe, arrondissement d'Angoulême; Aguintum ou Agintum, Guimps, arrondissement de Barbezieux; Ambariago, Birac, près de Châteauneuf-Charente, ou Ambérac, canton de Saint-Amant-de-Boixe; Rivera, La Rivière, commune d'AngeacCharente, La Rivière, commune de Champniers (Charente); on trouve encore des localités de ce nom dans le canton de SaintAmant-de-Boixe, de Montboyer, de Rancogne, et Rivières, canton de La Rochefoucauld, dans ce même département de la Charente.

Est-ce à dire, malgré tout, que ce nom d'Andiacum devrait être dans tous ces documents traduit de la même manière? Ce n'est pas notre avis. Selon nous, la localité dite Andiacum dans laquelle Charlemagne donne le diplôme relatif à Saint-Bertin pourrait bien avoir été Orville, dans le Pas-de-Calais. Le lieu donné par l'abbé Bénigne pourrait être Angeac-Charente, sur la Charente même, non loin de Jarnac-Charente et de Bonneuil, ou Angeac-Champagne.

Quant au palais d'Andiacum désigné comme résidence d'hiver par Charlemagne à Louis-le-Débonnaire, il serait très vraisemblablement Angeriacum, Saint-Jean d'Angély. Ce château aurait existé d'après L'Astronome en 796. Rien d'étonnant qu'on le retrouve alors, comme palais des rois d'Aquitaine, en 817-818, date à laquelle Pépin y aurait reçu le chef de saint Jean-Baptiste.

1. Bonolium, Bonneuil, figure au cartulaire de Baignes.

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