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Ceci dit, il y a lieu de passer en revue quelques documents qui se rapportent sans aucun doute à Saint-Jean d'Angély.

En dehors des chartes ou des notices du cartulaire, il est bon de se référer au Traité de la révélation de saint Jean-Baptiste, bien que ce document n'ait pas date certaine 1, et qu'il soit difficile de lui en donner une, même approximative.

Il y est dit que Pépin, roi d'Aquitaine, demeurait alors, dans le territoire de l'Aunis, dans un palais (palatium), nommé Engeriacus, situé sur le fleuve de La Boutonne (Vultona) aux confins du Poitou et de la Saintonge.

Le palatium n'était pas forcément une demeure somptueuse et luxueuse. Ce pouvait être simplement un lieu fortifié et mème originairement entouré de pieux ou de défenses de bois comme la plupart des châteaux primitifs 2. Rien n'empêchait alors que ce fût une habitation centrale, sise dans l'un de ces grands domaines où les rois et les princes des premiers temps du moyen âge se transportaient successivement afin de pourvoir à leur administration, en percevoir les revenus, et où, par suite, ils s'occupaient de la direction générale de leurs royaumes ou principautés, et y frappaient même monnaie.

Si l'on en croit des textes plus récents qui ne sont, sur ce point, que l'expression d'une tradition certaine, Angeriacum aurait été une villa, la villa sancti Johannis Angeriacensis 3.

D'autres lui donnent le nom d'oppidum, d'autres encore celui d'aula 4.

Il est encore une qualification qu'on rencontrerait dans les textes, celle de Fanum sancti Joannis Angeriacensis. Nous ne trouvons, il est vrai, cette dénomination dans aucun texte. Mais elle est indiquée par Moréri et quelques auteurs plus modernes 5.

Sans nous étendre sur ce sujet, nous rappellerons l'existence d'un certain nombre de petits temples ou de piles, dénommés fana, dans la Saintonge, notamment dans les environs de Saint-Jean

1. Voir plus loin les références.

2. Voir du Cange, Gloss. V. Palatium et palitium.

3. Voir notamment Cartulaire, ch. 216, vers 950.

4. Adémar de Chabannes, Chronique, édition Chavanon, lib. III, § 56. 5. V. Moréri, Dictionnaire, Vo Saint-Jean d'Angéli, et Dictionnaire de géographie ancienne et moderne à l'usage du libraire et de l'amateur de livres... par un bibliophile. Paris, Firmin Didot, frères, 1870, in-8°. Vo Fanum, col. 484.

d'Angély, et en particulier les fanaux de Villepouge et d'Ebéon 1, qui, dans ces dernières années ont été l'occasion de découvertes et ont donné lieu à de nombreuses dissertations. Il n'en a pas été trouvé de traces à Saint-Jean d'Angély même, mais tout à côté, aux portes même du faubourg de Saint-Eutrope et de Matha, ont été rencontrées, il y a quelque cinquante ans, croyonsnous, les ruines d'un petit temple avec des médailles impériales, dans la commune de Saint-Julien-de-l'Escap, sur les bords de La Nie, affluent de la Boutonne, entre les villages de la Grande et de la Petite Clie 2. Le lieu où existaient ces ruines s'appelait alors La Chapelle Trompe-Loup, et porte également sur le cadastre le nom de La Chapelle 3. C'était là sans doute le fanum dont le nom a été donné à Saint-Jean d'Angély. Saint-Julien-del'Escap avait d'ailleurs une certaine importance à l'époque mérovingienne, si l'on en croit M. Longnon. Voici en effet ce que dit le savant académicien.

« On lit dans les Miracula beati Juliani l'histoire d'une femme, aveugle de naissance, qui, s'étant fait conduire à Tours au tombeau de saint Martin, aurait reçu l'ordre du bienheureux prélat de se rendre à la basilique de Saint-Julien pour y trouver la guérison de son infirmité. Cette femme, ignorant qu'il y eût en Touraine des reliques du martyr de Brioude, se dirigea vers la Saintonge (ad Santonicam urbem), et recouvra la vue, au dire de Grégoire, après avoir prié trois jours dans une église qu'une noble dame du nom de Victorine, avait élevée sur le territoire de sa villa et qui renfermait des souvenirs de saint Julien 5. C'est le seul renseignement que l'on possède sur cette basilique mérovingienne: il n'est cependant pas impossible d'indiquer son emplacement probable. En effet, nous pensons qu'une église jouissant déjà, au VIe siècle, en raison des reliques qui y étaient conservées, d'une certaine notoriété, a pu fort bien

1. Voir Musset, Bulletin archéologique, 1897, 1re livraison. Fouilles de Chagnon-Villepouge, p. 79. — Revue de Saintonge, 1897.-C. Jullian, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (Bulletin de mars-avril 1897). Lauzun, Invent. gén, des piles gallo-romaines du sud-ouest de la France, 1898, p. 54. — Lièvre, les Fouilles de Villepouge, 1898.

2. Lacurie, notes manuscrites.

3. Matrice cadastrale. Section C, parcelle 3.

4. Géographie de la Gaule au VI• siècle, Paris, Hachette, 1878, in-8°, p. 558.

5. Miracula beati Juliani, C. XLVII.

donner son nom à la villa dont elle dépendait. Or, il n'existe dans l'ancien diocèse de Saintes, où les églises consacrées au martyr de Brioude sont d'ailleurs fort peu communes ', qu'un seul village du nom de Saint-Julien, Saint-Julien-de-l'Escap, dont l'église actuelle, datant du XIe siècle, est désignée, dès 1095, sous la simple dénomination d'ecclesia sancti Juliani: aussi n'hésitons-nous pas à inscrire le nom de la basilica sancti Juliani, mentionnée par Grégoire, sur la rive gauche de la Boutonne, à 24 kilomètres nord-nord-est de la ville de Saintes, c'està-dire sur l'emplacement de Saint-Julien-de-l'Escap, qu'un édicule romain ou gaulois 2 signale comme une localité certainement antérieure à l'époque mérovingienne. »>

Des documents plus récents confirment d'ailleurs pleinement ces inductions tirées tant de la relation de Grégoire de Tours que des restes qui se retrouvent sur le sol de Saint-Julien.

En l'année 1067, dans une charte consentie par Ostence de Taillebourg en faveur de l'abbaye de Notre-Dame de Saintes, il est fait don de la moitié de la basilique de Saint-Julien. Dans le même cartulaire, il est question plusieurs fois de cette église et de la villa sur laquelle elle s'élevait 3.

Il y est question également de l'église de Notre-Dame de La Clie.

La première est certainement la basilique dont parle Grégoire de Tours; la seconde est celle qui s'élevait évidemment sur les restes du temple dont nous avons indiqué la découverte et dont le souvenir a été conservé dans la localité. Quant au nom de la villa de Saint-Julien, il est particulièrement intéressant: c'est au commencement du XIIe siècle, « ecclesia et villa Sancti Juliani de Lestap (1100), ecclesia Sancti Juliani de Stapio (11191123), Sanctus Julianus de Lestab. »

Quels souvenirs pouvons-nous retrouver dans ce vocable? Les voici selon nous.

Le stapulum ou stapula, en bas latin, a désigné à la fois le logement où l'on mettait les bestiaux, puis par extension l'éta

1. Chives, Saint-Julien de l'Escape et Siecq, d'après l'abbé Cholet, Etudes sur l'ancien diocèse de Saintes, p. 4, 11 et 1.

2. M. Longnon cite: Joanne, Dictionnaire géographique de la France, 2e édit., p. 1111.

3. Abbé Grasilier, Cart. de Notre-Dame de Saintes, Niort, Clouzot, 1871, in-4o, chartes 9, 12, 13, 214, 215, 217, 218, 219, 220, 224.

4. Id., ch. 10, 215.

blissement agricole servant de centre à une exploitation; puis encore par extension le lieu où les agents du fisc, plus tard les rois mérovingiens et carolingiens avaient une habitation, et où leurs officiers venaient présider à la régie de leurs domaines. Le terme staplus qui en est une variante eut même par suite le sens de palais, palatium '.

Comme ces centres d'exploitation, ces villas ou ces palais étaient le lieu de réunion de personnages importants, des serviteurs et des troupes qui les accompagnaient, il s'y formait également des rassemblements de marchands qui y tenaient des sortes de foires, d'où, comme conséquence, les lieux où se tenaient ces marchés, prirent le nom d'étapes 2. Plus encore, le terme d'étape finit par désigner les lieux où les troupes en marche s'arrêtaient pour passer la nuit, ce qui semble bien la conséquence de l'habitude qu'avaient les rois ou leurs officiers de se transporter successivement d'une habitation dans l'autre.

La connaissance du pays ou un simple examen d'une carte de Saint-Jean d'Angély et de sa banlieue, suflisent à établir que le territoire de cette ville et celui de Saint-Julien devaient évidemment n'en faire qu'un à l'origine. D'où nous concluons qu'il y avait dès l'époque gallo-romaine, en ces lieux, une villa servant de centre à l'exploitation et à l'administration de la forêt d'Essouvert, un stapulum qui, par suite de sa proximité, donna son nom à la villa et au groupement d'habitations de SaintJulien, placé tout proche du temple ou fanum de la Clie; puis que ce stapulum fut ensuite le palatium des princes mérovingiens et carolingiens, pour devenir le château des comtes de Poitiers. Puis alors deux centres religieux se formèrent, l'un avec la chapelle de Notre-Dame de Saint-Jean qui existait en 402, l'autre avec la basilique de Saint-Julien dont nous constatons l'existence au VIe siècle; et chacun de ces lieux eut son existence distincte, la villa ou l'estape des rois devant naturellement l'emporter sur la villa de Saint-Julien.

Dès avant la fondation de la célèbre abbaye, Angeriacum avait un lieu pour l'exercice du culte, consacré à la Vierge Ma

1. Du Cange, Gloss., Vo Staplus.

2. Du Cange, loc. cit. Vis Staplum, Stapla, etc. Etape.

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rie. Mabillon lui donne le nom de « basilica Virginis Dei paræ sacra 1».

Ce serait à Pépin, roi d'Aquitaine, sur la demande de son frère Louis le Débonnaire que serait due la fondation de l'abbaye consacrée à saint Jean-Baptiste.

Si l'on en croît les chroniques et les légendes, voici dans quelles circonstances cette fondation aurait eu lieu.

Un moine du nom de Félix aurait découvert à Alexandrie, à la suite d'une vision, le chef de saint Jean-Baptiste entouré des corps des trois Innocents, et aurait reçu, dans la même vision, l'ordre de l'emporter en Aquitaine 2.

Ce vénérable vieillard se dirigea avec sept frères vers le rivage de la mer, où il trouva un navire tout préparé par Dieu à prendre la mer. Il y monta avec son trésor et des perles d'un grand prix, en chantant des hymnes et des cantiques. Pendant que le navire voguait au milieu des ondes, Félix leva les mains et les yeux vers le ciel : « Seigneur Jésus, s'écria-t-il, vous qui avez créé le ciel, la terre et la mer et tout ce qui s'y trouve, vous qui pénétrez la profondeur des abimes, qui avez marché à pied sec sur les flots, qui avez tendu une main secourable à saint Pierre en danger de se noyer, et préservé trois fois saint Paul du naufrage, défendez-nous contre la rigueur des grandes ondes, afin que, pleins de vie, nous bénissions votre nom dans les siècles des siècles. Daignez, Seigneur, nous envoyer un ange du ciel afin qu'il soit le guide de notre voyage, comme vous avez jadis fait pour nos pères, quand vous les avez ramenés de la terre d'Égypte, sous votre puissante protection, et conduisez-nous par une droite voie vers le lieu que vous avez choisi pour recevoir nos saints et précieux trésors. » Et voici qu'aussitôt cette prière, un nuage lumineux descend sur le vaisseau; et de ce nuage sort une colombe blanche comme la neige qui

1. Ann. Bened., t. II, p. 514.

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2. Voir Sancti Cæcilii Cypriani opera... Ed. Nice, Rigault. — Paris, Jean du Puis, 1676, in-folio. Tractatus de revelatione capitis beati Joannis Baptista, incerto auctore, p. 407. Voir aussi Chronique de Maillezais, ap. Labbe, Nov. Bill. man... collectio... t. II, p. 197. Nous renvoyons

à plus tard, une étude plus complète des différents textes où il est question de la découverte du chef attribué à saint Jean-Baptiste. Ces textes qui appartiennent d'ailleurs à une époque assez avancée du moyen âge, sont nombreux, et nous devons la connaissance d'un certain nombre d'entre eux à l'aimable obligeance du R. dom Besse.

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