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ARTICLE V.

Le traité des Tropes eft du reffort de la Grammaire. On doit conoitre les Tropes pour bien entendre les Auteurs, & pour avoir des conoiffances exactes dans l'art de parler & d'écrire.

AU refte, ce traité me paroit être

une partie effentièle de la Grammaire, puifqu'il eft du reffort de la Grammaire, de faire entendre la véritable fignification des mots, & en quel fens ils font employés dans le difcours.

Il n'eft pas poffible de bien expliquer l'Auteur même le plus facile, fans avoir recours aux conoiffances dont je parle ici. Les livres que l'on met d'abord entre les mains des començans, auffi-bien que les autres livres, font pleins de mots pris dans des fens détournés & éloignés de la

première fignification de ces mots;
par exemple :

Tityre, tu pátulæ, récubans fub tégmine fagi,
Sylvéftrem, ténui, musam meditáris, avénâ.

Vous méditez une Mufe, c'est-àdire, une chanfon, vous vous exercez à chanter. Les Mufes étoient regardées dans le Paganifme come les Déeffes qui infpiroient les Poëtes & les Muficiens: ainfi Mufe fe prend ici pour la chanfon même, c'eft la caule pour l'éfet; c'eft une métonymie particulière, qui étoit en ufage en latin; nous l'expliquerons dans la fuite.

Avéna dans le fens propre, veut dire de l'Aveine: mais parce que les Bergers fe fervirent de petits tuyaux de blé ou d'aveine pour en faire une forte de flute, come font encore les enfans à la campagne; de là par extenfion on a apelé avéna un chalumeau, une flute de Berger.

On trouve un grand nombre de ces fortes de figures dans le Nouveau Teftament, dans l'imitation de J. C. dans les fables de Phèdre, en un mot, dans les livres mêmes qui font

Virg. Ecl

I. V. I.

une objec

tion.

écrits le plus fimplement, & par lefquels on comence: ainfi je demeure toujours convaincu que cette partie n'eft point étrangère à la Grammaire, & qu'un Grammairien doit avoir une conoiffance détaillée des tropes. Réponse à Je conviens, fi l'on veut, qu'on peut bien parler fans jamais avoir apris les noms particuliers de ces figures. Combien de perfones fe fervent d'expreffions métaphoriques fans favoir précisément ce que c'est que métaphore? C'eft ainfi qu'il y Molière avoit plus de 40. ans que le BourGentil, act. geois-Gentilhome difoit de la Profe fans qu'il en fût rien. Ces conoiffan

Bourg.

11. fc. 4.

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ces ne font d'aucun ufage pour faire un compte, ni pour bien conduire une Ibid. A&t. maifon, come dit Me. Jourdain, mais III. c. 3. elles font utiles & néceffaires à ceux

qui ont befoin de l'art de parler & d'écrire; elles mettent de l'ordre dans les idées qu'on fe forme des mots ; elles fervent à démêler le vrai fens des paroles, à rendre raifon du difcours, & donent de la précision & de la jufteffe.

Les Sciences & les Arts ne font

que

que des obfervations fur la pratique : P'ufage & la pratique ont précédé toutes les fciences & tous les arts; mais les fciences & les arts ont enfuite perfectioné la pratique. Si Molière n'avoit pas étudié lui-même les obfervations détaillées de l'art de parler & d'écrire, fes pièces n'auroient été que des pièces informes, où le génie, à la vérité, auroit paru quelquefois; mais qu'on auroit renvoyées à l'enfance de la Comédie fes talens ont été perfectionés par les obfervations, & c'est l'art même qui lui a apris à faifir le ridicule d'un art déplacé.

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On voit tous les jours de perfones qui chantent agréablement, fans conoître les notes, les clés, ni les règles de la Mufique, elles ont chanté pendant bien des années des fol & des fa, fans le favoir; faut-il pour cela qu'elles rejètent les fecours qu'elles peuvent tirer de la Mufique, pour perfectioner leur talent ?

Nos pères ont vêcu fans conoître la circulation du fang; faut-il négliger la conoiffance de l'Anatomie? & ne faut-il plus étudier la Phyfique,

B

parce qu'on a refpiré pendant plufieurs fiècles fans favoir que l'air eût de la pefanteur & de l'élafticité ? Tout a fon tems & fes ufages, & Molière nous déclare dans fes préfaces qu'il ne fe moque que des abus & du ridicule.

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ARTICLE V I.

Sens Propre, Sens Figuré.

AVANT que d'entrer dans le dé

tail de chaque Trope, il eft néceffaire de bien comprendre la diférence qu'il y a entre le fens propre & le fens figuré.

Un mot eft employé dans le difcours, ou dans le fens propre, ou en général dans un fens figuré, quel que puiffe être le nom que les Rhéteurs donent enfuite à ce fens figuré.

Le fens propre d'un mot, c'est la première fignification du mot. Un mot eft pris dans le fens propre, lorfqu'il fignifie ce pourquoi il a été premiérement établi; par exemple: Le

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