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Il espère être bientôt lieutenant (1). Sa sœur Antoinette est mariée à un lieutenant-colonel, homme fort aimable et qui la rend parfaitement heureuse. »

La comtesse Sophie de Bremond d'Ars écrit de son côté à son neveu Théophile:

« La Chapelle-Montplaisir, le 13 juillet.

» Je ne veux pas me reposer toujours sur autrui, mon cher Théophile, du soin de te transmettre mes tendres sentiments. Mon cœur sent un plaisir extrême à t'assurer par moi-même de mon amitié ; et tout vieux que soient mes yeux, et toutes tremblantes que soient mes mains par mes infirmités, je viens te tracer ces lignes qui t'attesteront l'attachement sincère que te conserve ta pauvre tante Sophie. Je t'ai suivi en pensée dans ta course si pénible, de Silésie en Hesse, et de Colmar en Silésie. Tant de lieues faites inutilement m'ont bien affligée: car tu as eu beaucoup de fatigues. Le général Hédouville est, depuis six semaines, à La Roche-Courbon avec sa femme. Il est allé à Saintes pour nous voir; nous étions déjà à la campagne; ton père lui rendra sa visite dès qu'il le pourra. Le général Müller n'est plus à Toulouse: il finit d'organiser quelques régiments portugais qu'il ira, dit-on, commander en Allemagne. MM. de Pommeroy et de La Condamine, ses aides de camp, sont partis pour le rejoindre. Edouard de Piis, que nous avons vu à son passage à Saintes, nous a écrit de Bayonne qu'il se rendait à Madrid. C'est un bon enfant; il paraît t'aimer beaucoup. Achille Duchastel est parti de Rennes pour se rendre à Belle-Isle en Mer. Léon de Beaumont a été placé par son oncle de Monbadon dans la garde d'honneur de l'empereur à Bordeaux, ce qui lui vaudra une lieutenance sans passer par l'école militaire. >> Jules de Bremond d'Ars à son frère Théophile :

<< Saintes, 2 août.

» Nous attendons l'empereur à Saintes, mon cher Théophile; il doit y passer en revenant de Bayonne; on fait de grands apprêts. Il y a maintenant dans notre ville une garde d'honneur à pied et à cheval, un arc de triomphe, de magnifiques illuminations préparées, etc. L'empereur devait arriver aujourd'hui ; c'est une foule immense dans les rues: car personne ne veut perdre l'occasion de le voir; figure-toi tout le département réuni. Depuis quelques jours, la garde d'honneur s'exerce dans la prairie: et je me disais en voyant celle à cheval courir à la débandade, sans faire aucune manœuvre : « Si Théophile était ici, comme il brillerait auprès de ces messieurs qui, tout maladroits qu'ils sont, font encore l'admiration de la foule! >>

» En effet, ils sont montés : l'uniforme est brillant: c'est l'habit vert des dragons, collet et parements rouges, pantalon de casimir blanc et bottes à l'écuyère.

(1) Ce jeune et brillant officier, fils unique du poète, allait à la mort il fut tué au combat de Busaco, en Portugal, le 27 septembre 1810.

» Louis de La Garde, lieutenant dans la garde impériale, que tu connaissais particulièrement, a été grièvement blessé à l'affaire de Madrid. »

Le comte Pierre de Bremond d'Ars à son fils :

<< Saintes, le 14 août 1808.

>>... Si ton frère Jules ne t'a rien dit du passage de l'empereur par notre ville où il est resté quatre heures, je te dois cette narration: elle sera exacte. Je n'ai rien vu: car mon enthousiasme ne m'avait pas fait sortir de la campagne; mais je serai l'abréviateur de ta maman qui s'était rendue à la ville pour loger le préfet du palais (1) qui fait partie du cortège impérial.

» Après six jours d'attente, on vit arriver ici l'empereur, venant de Bordeaux, le 4 août, à huit heures du matin: une foule immense accourue des campagnes couchait dans les rues depuis trois jours. Il descendit à la préfecture où, dix minutes après, il reçut les corps de magistrature. De sa voiture, il avait pris force placets, que chacun lui présentait. La signature de celui de M. de Chièvres (2), son camarade à l'école militaire, le frappe: il le demande, on va le chercher; comme M. de Chièvres tardait à venir, il le demande encore; enfin, M. de Chièvres arrive et est introduit. Ce que l'empereur lui a dit, je l'ignore; mais on sait qu'il l'a accueilli avec bonté, que M. de Chièvres est satisfait, et de là on conjecture déjà qu'il sera tout au moins préfet. Amen! Me de Saint-Légier-Lussinet (3) s'était fait nommer pour conduire à l'impératrice les jeunes demoiselles de la ville; force toilettes, diamants, dentelles, compliments... Bast! tout est au berniquet! L'impératrice ne veut voir personne, et à midi elle part.

» L'empereur questionna le clergé de préférence aux autres corporations.Il fut escorté par la garde d'honneur que M.Titon (4) s'obstina à vouloir commander malgré tout le monde, et se rendit à Rochefort d'où il alla passer deux heures à La Rochelle. Le maire Poittevin-Moléon a eu une tabatière d'or pour son compliment, le Titon une autre; la ville, deux mille cinq cents livres pour ses dépenses, et les pauvres deux mille écus. On avait fait sur les clochers d'assez jolies illuminations que n'a

(1) Louis-François-Joseph de Bausset-Roquefort, baron de l'empire, préfet du palais, chambellan de Napoléon Ier, né à Béziers en 1766, mort vers 1850. Il était le neveu du cardinal de Bausset, membre de l'académie française. (Voir Annuaire de la noblesse, année 1897).

(2) Voir B. Filleau, Dictionnaire des familles du Poitou.

(3) Marie-Marthe de La Porte aux Loups, femme d'André-PharamondAntoine, vicomte de Saint-Légier, seigneur de Lussinet, nommé contre-amiral honoraire sous la restauration, chevalier de Saint-Louis et de la légion d'honneur. M. de Saint-Légier-Lussinet fut l'un des rares invités au déjeuner que Mme la duchesse de Berry donna à la sous-préfecture de Saintes, le 15 juillet 1828, lors de son passage dans cette ville."

(4) Maximilien Titon, receveur général des finances du département à Saintes, avait épousé Camille-Bathilde du Bouzet qui fut, en 1806, marraine de la cloche de Saint-Eutrope avec le préfet Guillemardet.

point vues l'empereur, arrivé le jour; on avait élevé à la porte Aiguière un arc de triomphe qui y subsistera jusqu'à après-demain. La Rochelle a demandé la préfecture; ils sont évincés de leur injuste prétention...Voilà, mon ami, tout ce qui s'est passé (1). » Le passage des troupes est incessant; tout marche vers l'Espagne où nos ennemis les Anglais sont devant les ports de mer, fomentant le trouble et la guerre.

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» J'ai beaucoup connu le père de ton camarade Alphonse de Vergennes, dont tu me parles; nous étions ensemble à Hambourg; M. d'Ecquevilly était colonel du régiment du roi en quartier à Saintes; je crois qu'il était à Liège avec sa femme.

>> Votre peu d'avancement nous étonnerait, si M. de Bausset, le préfet du palais logé chez ta mère, ne lui avait pas dit qu'il n'y en avait jamais dans vos corps; à la volonté de Dieu! Si M. du Coëtlosquet est aide de camp du général Lasalle, il aura été acteur du combat de Rio-Seco, et sans doute de beaucoup d'autres scènes sanglantes en Espagne. Ces peuples opposent des masses à des troupes disciplinées et vont attirer sur eux toute l'armée française. On dit que l'empereur fait avancer une partie des troupes d'Allemagne et celles d'Italie.

» Josias nous a dit qu'en effet M. du Coëtlosquet avait passé à Saintes, en allant en Espagne, et qu'il regrettait de n'avoir pu nous y voir, tant il était pressé.

>> Notre respectable voisine, l'obligeante Mme des Allards, est mourante sa mémoire nous sera toujours chère : sous la terreur, la digne femme, pauvre et malheureuse, avait offert tout ce qu'elle possédait à ta mère, et nous a sauvé bien des effets précieux! >>

N° 712 t. xx, p. 431.- François Trémeau, libraire d'Angoulême.

L'imprimeur-libraire en question fut François Trémeau. Son imprimerie, créée avec E. Breuil, date de l'an III, « rue des cidevant Cordeliers, no 900. » Fr. Trémeau (seul), an VI jusqu'en 1835. Il eut pour continuateur Texier-Trémeau, son gendre (si je suis bien informé), père du littérateur Edmond Texier; celui-ci auteur d'une pièce imprimée chez son père: « Un rendez-vous

(1) Le Journal de l'empire du vendredi 12 août 1808 contient sur le passage de Napoléon à Saintes un article aussi court que mal présenté :

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Saintes, 4 août. Hier, 3, LL. MM. II. se trouvèrent sur les limites de notre département au commencement de la nuit. Elles y ont été reçues par le préfet, le général de division, les maires et les adjoints de tous les villages voisins. Sur tous les points de leur passage, la population des communes, venant d'une grande distance dans les terres, s'était réunie et avait formé des bivouacs sur les bords de la grande route. Les feux allumés de toutes parts éclairaient la route que suivaient LL. MM. Elles ont fait leur entrée dans notre ville à sept heures du matin, accompagnées par les acclamations sans cesse répétées d'un peuple nombreux. Quelques heures après, S. M. l'empereur et roi a donné audience aux diverses autorités qu'elle a entretenues pendant fort longtemps. LL. MM. sont ensuite parties pour Rochefort, où l'on annonce qu'elles doivent séjourner. »

au théâtre, comédie en un acte et en prose par M. Texier-Trémeau, représentée sur le théâtre d'Angoulême par la troupe de M. Combettes, le 21 juin 1838. Angoulême, de l'imprimerie de TexierTrémeau », in-8°, 51 p. Ladite pièce porte cette dédicace: « A mon ami Albéric Second (1). » Edmond Texier avait 21 ans à cette époque-là.

Pour en revenir à l'imprimeur-libraire François Trémeau, nous constatons qu'il publia l' « Annuaire statistique du département de la Charente pour l'an XII de la république française. Angoulême, de l'imprimerie de F. Trémeau, imprimeur de la préfecture, rue des Cordeliers, n° 900 », in-12, 167 pages. Ensuite, il imprima un Annuaire du département de la Charente jusqu'en l'année 1835. Sa veuve géra l'atelier pendant quelque temps; puis, comme on l'a dit, vint M. Texier-Trémeau. François Trémeau fit partie du « jury central d'instruction publique »; il y avait pour collègue Munier, ingénieur en chef, auteur de divers écrits fort estimables, entre autres d'un « Essai d'une méthode générale propre à étendre les connoissances des voyageurs; ou Recueil d'observations relatives à l'Histoire, à la répartition des Impôts, au Commerce, aux Sciences, aux Arts et à la culture des Terres, le tout appuyé sur des faits exacts et enrichi d'expériences utiles. Par M. MUNIER, Inspecteur des Ponts et Chaussées, et Associé libre de la Société Royale d'Agriculture de Limoges (Paris, 1779, 2 vol. in-8°). » Fr. Trémeau, en 1815, fonda le Journal de la Charente, ou Feuille des actes administratifs d'Agriculture, de Commerce, d'Industrie, de Sciences, de Littérature, d'Annonces et Avis divers. Il en fut le rédacteur; chaque numéro de 4 pages in-4° à 2 colonnes paraissait tous les samedis. Enfin, Fr. Trémeau était « membre associé » de la « Société d'Agriculture, d'Arts et de Commerce du département de la Charente. » On peut donc, à juste titre, inférer de tout cela que François Trémeau eut des « lettres ». Ses initiales entrelacées composaient sa marque d'imprimeur: F. T.

Fr. Trémeau fut en avance sur son époque: ne voit-on pas, présentement et depuis longtemps, des libraires marchands « d'objets de piété », de porcelaines, de faiences anciennes (de fabrication moderne), de bibelots de toutes sortes... Dame! on est loin des libraires de l'époque du Lutrin.

Fr. Trémeau compta parmi les libraires « distingués » d'Angoulême ainsi que Perez-Lecler, son contemporain, dont le successeur fut Ludovic Goblet (1857-1862).

L. Goblet, homme bien appris, de bonne éducation et d'instruction variée, avait fait de sa librairie, sise rue d'Arcole, no 14, un véritable centre d'intelligences on pourrait dire d'intellectuels si le terme ne prêtait, aujourd'hui, à l'équivoque.

(1) Pierre-Albéric Second, « chroniqueur parisien », auteur dramatique, né le 18 juin 1817 à Angoulême, où son père était président du tribunal cívil, mort à Paris le 8 juin 1887.

Ce petit cercle d'érudits, de gens de lettres et d'artistes comprenait entre autres habitués: Eusèbe Castaigne, fondateur de la société archéologique et historique de la Charente, bibliothécaire et archiviste de la ville, bibliographe éminent entre tous (1);

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Edmond Sénemaud, professeur d'histoire, puis archiviste des Ardennes; Gustave de Rencogne, alors dans sa belle jeunesse, virtuose, archiviste départemental de la Charente, amateur ardent de documents curieux, éditeur et annotateur d'un précieux manuscrit du lieutenant criminel au présidial d'Angoulème, Mémoire sur l'Angoumois, monument de haut savoir et d'exactitude qui résiste à l'action du temps et sera consulté par les chercheurs avisés de tous degrés; Camille Delthil, auteur des Caprices, poésies, et des Silhouettes provinciales, le même qui devint sous-préfet après avoir dépensé beaucoup de sa verve dans les petits journaux angoumoisins et d'ailleurs; Lambert, architecte, illustrateur des bluettes de Delthil, Lambert, lieutenant de Paul Abadie lors de la construction de l'hôtel de ville; les frères Bujeaud: Victor, écrivain de la Chronique protestante, etc.; Jérôme, le charmant conteur de Jacquet-Jacques, d'Un drame dans la charmille, celui-là même qui publia deux volumes de Chansons populaires de l'ouest et du sud-ouest; Abel Jannet, poète attristé (je le vois encore comme au temps que j'allais à l'école), tel que Carjat l'a portraité, coiffé d'un haut de forme, revêtu d'un large pardessus hirsute dont la boutonnière arborait les rubans des médailles de sauvetage que ce brave garçon avait si vaillamment méritées. Il en était d'autres encore dans ce groupe de gens d'esprit, de talent et de cœur ; au premier rang, Camille Chabaneau, qui, modeste employé des postes, eut l'honneur de collaborer avec Littré, de rédiger une Histoire et théorie de la conjugaison française, une Grammaire limousine et, pour se reposer de ces graves écrits, badina avec la muse ses Poésies intimes nous en sont un éloquent témoignage. M. Camille Chabaneau, correspondant de l'institut, chevalier de la légion d'honneur, occupe une chaire de langue romane à la faculté de Montpellier.

Il convient aussi de citer Emmanuel Genty, saintongeais, né à Dampierre sur Boutonne, élève de Gleyre et de Picot. C'est

(1) C'est M. Eusèbe Castaigne qui composa et dessina la marque de librairie de Ludovic Goblet, reproduite dans le cours de ces notes, et tirée directement sur le cuivre original.

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