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aussi les cités, les états, les empires, par un signe de pure convention. Un morceau d'étoffe est l'image de la patrie, et disposé en bandes de diverses couleurs, ou orné d'une bête quelconque, coq, lion ou aigle à deux têtes, fait battre le cœur du Français, du Belge ou du Russe; l'insulte faite à ce lambeau de toile attaché au bout d'un bâton est faite à la nation tout entière.

Est-ce que les fleurs, comme les couleurs, n'ont pas leur langage? Des traits bizarres tracés sur la pierre ou le papier ne traduisent-ils pas la pensée et le sentiment? Ainsi en est-il des objets dessinés dans un écu: le blason est une science d'interprétation; on l'épèle comme les caractères d'un alphabet. Une statue de femme est une statue de femme. Ses attributs en feront une déesse, ou son costume une Alsacienne. Les statues de la place de la Concorde, si elles ont près d'elles un vaisseau, un léopard, un lion, s'appelleront Paris, Bordeaux, Lyon, ce qui peut dispenser d'inscrire leur nom sur le socle.

Ce sont les emblèmes qui ont donné naissance au blason. Les guerriers antiques avaient adopté un signe caractéristique. Les chevaliers au moyen âge, couverts de fer, avaient besoin de se reconnaître entre eux; ils mettaient sur leur casque, sur leur bouclier, un animal, une croix, une étoile, et arboraient telle ou telle couleur. Dans l'antiquité, les cités gravèrent sur leurs monnaies, sur leurs sceaux, quelque objet, le plus souvent un cheval, un bœuf (Bouç ini yλwτty Bébŋxev: il a un bœuf sur la langue; il a trahi), un mouton' (pecus, pecunia), une chouette. En général, sans se mettre en frais d'imagination, on prit ce qu'on avait sous la main, le plus souvent des types parlants: Mélos, une pomme, ulov; Rhodes, une rose, podov; Selinonte, une feuille de persil, vov; Side, une grenade, ato, comme Grenade; Lyon et Léon, un lion; Castille ou Castellane, un château; Mulhouse, une roue de moulin, parce qu'en allemand Mulhausen se traduit par maison du moulin; Moulins en Bourbonnais, trois anilles de moulin; La Palisse, trois pals, palisse (palis, haie); Bar-le-Duc, deux bars; Arras, trois rats. Un certain nombre de villes eurent sur leur sceau ou leur blason un emblème du pouvoir municipal: maire, conseil, assemblée, échevins: Cognac, Compiègne, Soissons, Meaux, ile d'Oleron; d'autres, un souvenir historique: Limoges, un buste de saint Martial; Saint-Jean d'Angély, la tête du précurseur découverte au x1° siècle; Cologne, trois couronnes, parce qu'elle possédait le corps des rois mages; Nimes eut ses arènes jusqu'à ce qu'un bel esprit se souvînt que sur des monnaies de la colonie de Nimes, COL[onia] NEM[ausensis], il y avait un crocodile attaché à un palmier, et traduisit ridiculement coL[ligavit] NEM[o].

Au xv siècle, la science héraldique étant créée, il fallut un peu modifier ces emblèmes du type primitif et traduire le tout en langage technique. L'orgueil s'en mêla; où la vanité irait-elle se nicher si ce n'était dans les distinctions honorifiques et les hieroglyphes de l'écu? La barque des marchands d'eau de Paris devint un vaisseau, équipé, voguant sur une mer que le vent

agite sans pouvoir le faire sombrer, FLUCTUAT NEC MERGITUR. Le

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sceau de la commune de La Rochelle n'était primitivement qu'une nef, un simple bateau (voir La Rochelle et ses environs, 1866, page 381); il se métamorphosa en un magnifique troisponts. Saintes, c'est à croire, n'avait qu'un pont surmonté de quelques tours; on l'embellit d'une porte de ville, ayant des girouettes sur les tours, puis des fleurs de lys en chef, soit par octroi du prince, soit par usurpation. Cognac, de son maire épais et lourd, hissé péniblement sur une haquenée ayant l'en

PNIANO ESPAIOR

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colure du mulet, fit un noble chevalier, armé de toutes pièces, montant un fringant coursier; lui devint peu à peu François Ier. Dunkerque échangea son hareng contre un dauphin, bête bien plus noble. Avignon, cité papale, prit trois clefs; saint Pierre n'en avait que deux. Mais les calembours continuèrent de fleurir de plus belle: Orange se serait crue déshonorée si elle n'avait pas montré des oranges; Alais, une aile; Rheims voulut, en entre

laçant deux branches d'arbre, rami, faire voir que son nom était la moitié de RINCeaux, et Fougère des fougères. Auxerre avait eu, pour son abbaye de Saint-Germain, un singe qui dans l'air se serre le dos avec sa main, SINGE AIR MAIN DOS SERRE.

Il serait presque aussi difficile pour les cités ou communautés que pour les particuliers de montrer ou leurs titres de noblesse, out les décrets qui fixent leurs armoiries. C'est là vraiment que possession vaut titre; et comme aucune loi ne défend de se fabriquer une marque ou un blason, on juge si l'arbitraire et la fantaisie se sont donné carrière. Le fameux Armorial général de France, dressé par d'Hozier en vertu de l'édit de Louis XIV de 1696, est, en dehors de concessions particulières, la charte qui constitue les droits des villes, des provinces, des communautés et corporations et d'une foule de gens au port d'armoiries. Exact ou non, reproduction de textes anciens ou création de fantaisie du juge d'armes ou de ses commis en liesse, il est la source officielle où vont puiser tous ceux qui veulent décorer d'emblèmes héraldiques leur cachet, leurs panneaux, leur papier à lettre, leurs étiquettes de commerce. En ce temps de démocratie et d'égalité, où chacun veut être plus que son voisin, le manuscrit de Charles d'Hozier est certainement le livre le plus consulté de la bibliothèque nationale. On sait que la confection de cet armorial qui n'est pas un nobiliaire — fut une mesure fiscale. Aujourd'hui l'état en besoin d'argent fait un emprunt qui grève l'avenir; alors il prélevait les millions nécessaires sur la vanité des individus et des communautés qui, volens, nolens, ceux-ci pour 20 livres, celles-là pour 40, 80, les provinces 100 et 150, se payaient la satisfaction d'avoir un blason. C'est sans doute par tradition que les 33 volumes de ce manuscrit sont devenus un objet de spéculation pour les agences généalogiques; à beaux deniers comptants elles vendent sans scrupule des armoiries à de bons bourgeois ignorants et vaniteux qui se croient nobles parce qu'ils portent d'argent à une chauve-souris de sable, attendu qu'ils s'appellent Chauvet ou Chauveau; de gueules au panier d'or s'ils se nomment Pannier (voir notamment Armorial de la généralité de La Rochelle; Rochefort, 23, 26, 56, p. 677 et 697); ou enfin d'azur à 2 carottes [ou plutôt raves] ou concombres, pourvu que dans leurs syllabes il y ait quelque rapport avec Ravaut (voir Saintes, no 343, p. 345) ou avec Cornichon.

II

Il est une autre source d'armoiries, source aussi officielle et non moins décriée : c'est l'Armorial de l'empire. Depuis le x1 siècle où les noms devinrent héréditaires, les armes sont devenues immuables, puisqu'elles représentent les êtres eux-mêmes. On ne peut donc changer les pièces d'un écu sans établir la plus horrible confusion et un inextricable chaos. Voyez ce qui arrive pour la France. Les armoiries d'un état étaient, selon l'usage féodal et même encore, les armes de la principale, de la plus

ancienne famille du pays. L'Angleterre, la Suède, la Russie, l'Espagne ont changé de dynastie, même de gouvernement, elles n'ont point changé l'écusson national. La France avait les fleurs de lys; elle a changé « si souvent - 4 fois en un demi-siècle que seule de toutes les nations civilisées, y compris la Suisse, les Etats-Unis, le Mexique, elle a fini par se trouver sans emblème héraldique;» de là l'embarras de nos agents diplomatiques à l'étranger quand ils ont à placer un panneau à la porte de leur demeure ou sur la portière de leur équipage.

Essayez de mettre en langage technique: «Un faisceau de licteur posé en pal, ayant à son sommet au dessous du fer de hache un cartouche quadrangulaire sur lequel sont inscrites les deux lettres R. F., supporte à son centre un écu ovale sur lequel est représenté un buste de jeune femme cuirassée, ayant un manteau sur les épaules et une couronne de laurier sur la tête. Ce buste est entouré de deux branches de laurier liées vers le bas par un ruban rouge auquel est attachée la croix de la légion d'honneur; au dessus du buste est une étoile à cinq rais. Les mots RÉPUBLIQUE FRANÇAISE servent d'exergue à l'écu, derrière lequel sont placés quatre drapeaux tricolores, entrelacés d'une branche de chêne à dextre et d'un rameau de laurier à senestre. Un grand manteau rouge enveloppe le tout. »

Napoléon Ier, qui avait renoncé à ses armes personnelles pour adopter l'aigle romaine devenue ainsi l'emblème de la France, en créant une noblesse nouvelle, créa des armoiries pour ses ducs, comtes et chevaliers qui n'en avaient point, mais donna souvent à ses nouveaux anoblis les armes qu'ils avaient déjà, tout en les étiquetant d'un signe actuel. Les écussons des villes furent aussi caporalisés: tant de créneaux pour les villes de premier ordre, tant pour celles du troisième ordre, comme le nombre de plumes à la toque des barons ou des princes. Les fleurs de lys qu'on prit pour les armes de la famille royale furent proscrites comme elle; on les remplaça par des abeilles. Puis, quand l'empire eut disparu, on mit simplement un drapeau tricolore en chef. La France ne pouvait pourtant pas tous les quinze ou seize ans changer sa livrée. Un rapport au président de la république qui l'approuva, signé (13 avril 1872) du ministre de l'intérieur Victor Lefranc, demanda aux municipalités la suppression des aigles impériales, des bonnets phrygiens, piques ou créneaux, mais les laissait libres de reprendre ou de conserver leurs armes : «Un certain nombre de municipalités ont donné pour effigie à leurs cachets les armes spéciales de la ville; d'autres ont repris le modèle en usage avant 1852..... Je ne vois à cette diversité aucun inconvénient. » C'était sage.

III

Aujourd'hui les villes ont généralement leurs armes anciennes débarrassées des trois couleurs prises sous LouisPhilippe, des abeilles et des N imposées par l'empire, et des

lourdes couronnes murales inventées par le caprice des maires ou la fantaisie d'architectes.

En fait d'héraldique, c'est au plus vieux qu'il faut avoir recours; les villes qui n'ont point d'armoiries, au lieu d'en inventer souvent de ridicules, prennent, suivant l'antique règle, celles de leurs anciens seigneurs.

C'est pour fixer aussi exactement que possible le blason de nos villes, c'est aussi pour fournir un motif d'ornement à nos salles d'hôtel de ville ou à nos fêtes publiques que nous avons écrit ces pages. Nous croyons qu'au lieu d'un nom écrit dans un cartouche PONS OU ROCHEFORT:

C'est moi qui suit Guillot, berger de ce troupeau,

il est plus élégant, plus décoratif de dessiner les armoiries de ces villes avec leurs couleurs éclatantes. On n'est pas forcé de prendre des armes ; si l'on en prend, faites-les exactes.

Quant aux ornements de l'écu, remarquons que jamais ils n'ont eu ni tenants ni supports, encore moins de couronnes murales. Des palmes de sinople seules entourent l'écu, liées par un noeud de rubans couleur du champ; quelquefois il est sommé d'une couronne, suivant que la ville était marquisat, comté, baronnie. Rarement il a d'autre timbre; exception, Castres a pour cimier une chausse-trappe. La devise s'inscrit sur une banderole aux couleurs du champ en lettres de métal, drapée autour des armes, le plus souvent dans un listel au bas de l'écu. C'est à tort que La Rochelle place sa belle devise au sommet de l'écu.

Nous reproduisons deux gravures de ces armes à titre de spécimen l'un avec la sempiternelle couronne murale; l'autre avec tous les accessoires de l'écu. Mais pour les armes véritables de nos différentes villes il faut toujours consulter les planches coloriées, qui sont parfois en contradiction avec les gravures.

IV

La province d'AUNIS, d'après l'armorial de la généralité de La Rochelle (1696-1701), porte: De gueules à une perdrix d'or couronnée de même à l'antique. On trouve aussi: De gueules à trois besants d'or.

La province de SAINTONGE D'azur à une mitre d'évêque d'argent, accompagnée de trois fleurs de lys d'or. C'est le texte de l'armorial de d'Hozier. La mitre est certainement un souvenir du 1er évêque du pays, saint Eutrope. La devise:

XANTONES A XANTHO NOMINA SANCTA TENENT

est à la fois une allusion à l'origine légendaire des Saintongeais qui, d'après certains chroniqueurs, seraient une colonie troyenne venue après la chute d'Ilion des rives du Xanthe, Xainctes, et pendant l'époque révolutionnaire, Xantes; de là les noms de Saint-Trojan, Troianus, et Royan, Roianus; Saint-Georges de Di

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