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avoués au tribunal de l'honneur, dont la véritable idéé subsistera toujours, quoiqu'on l'ait si souvent mal appliquée.

Abrégeons. Horace voulait parvenir, et il est parvenu : mais comment, et à quel titre? Ce fut en divinisant Auguste, en le traitant de phénomène que l'on n'avait jamais vu, que l'on ne reverrait plus (1). Rayons la plupart des éloges qu'il lui a prodigués; et si nous ne devons pas les regarder comme un effet de sa cupidité, puisqu'il refusa l'utile emploi de secrétaire du cabinet impérial (2), regardons-les du moins comme un tribut que la vanité, jointe à la faiblesse, a payé au pouvoir souverain, qui croit tout lorsqu'on le flatte.

S'il n'avait pas en mourant institué l'empereur pour héritier (3), je ne douterais point qu'il n'eût gémi plus d'une fois de s'être mis dans la nécessité d'aduler sans pudeur cet homme qui n'a jamais rien fait que pour lui-même, cet homme dont la mémoire trop célébrée en impose encore aujourd'hui, quoique personne n'ignore qu'il n'ait été làche et cruel; car la dernière moitié de sa vie ne saurait racheter les atrocités de la première. Quand des princes ambitieux

(1) « Grand prince, nous vous accordons d'avance les honneurs de l'apothéose; nous vous dressons des autels, nous y jurons par votre divinité tutélaire, et nous avouons qu'on n'a jamais rien vu, qu'on ne verra jamais rien qui vous ressemble. »

Præsenti tibi maturos largimur honores,

Jurandasque tuum per numen ponimus aras,

Nil oriturum alias, nil ortum tale fatentes.

(Epist. lib, 11, ep. 1, v. 15.)

(2) Voyez dans la première partie, la note (4), p. xlix.

(3)

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Horace mourut sous le consulat de C. Marcius Censorinus et de C. Asinius Gallus, le 27 novembre, à l'âge de cinquante-sept ans accomplis, après avoir nommé Auguste pour héritier en présence de témoins, la violence du mal ne lui ayant pas permis de signer son testament. >> Quum, urgente vi valetudinis, non sufficeret ad obsignandas testamenti tabulas. (SUETON., Vita Horat.)

Juvénal. I.

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ont versé des flots de sang pour rester sans égaux, comme ils ne sauraient faire autant de bien qu'ils ont fait de mal, je soutiens qu'un honnête homme ne doit jamais appeler vertu ce qui de leur part n'est tout au plus qu'une expiation, toujours insuffisante aux regards de la postérité.

Pour l'honneur d'Horace, je voudrais qu'il ne fût plus question d'Auguste mais on va voir le caractère de ce poète s'ennoblir, et son encens s'épurer à mesure qu'il s'éloignera des autels qu'il lui avait dressés.

Il se disait l'ami du favori de l'empereur (1). Ne lui contestons pas les motifs de cette liaison; il suffit qu'elle soit en général marquée au sceau de la décence, et d'une sorte d'égalité qui honore encore plus le protecteur que le protégé. Observez que, par égalité, je n'entends point cette morgue jalouse ni cette superbe et chimérique prétention qui tendent à bouleverser les rapports nécessaires de la société, mais cette droiture et cette franchise incorruptibles qui font que l'homme d'un rang médiocre, en observant les égards de convention, sait commercer dignement et du fond de sa conscience avec ceux qui occupent les places les plus éminentes.

Loin d'avoir été ingrat, comme on l'en a faussement accusé (2), il ne cesse de répéter qu'il devait tout à Mécène,

(1) Horace dit à Mécène : « Si vous le trouvez bon, mon cher ami, votre poète ne vous reverra qu'au retour des zéphyrs et des hirondelles. >>

Te, dulcis amice, reviset

Cum zephyris, si concedes, et hirundine prima.

(Epist. lib. 1, ep. 7, v. 12.)

(2) On a prétendu, contre toute sorte de vraisemblance, qu'Horace, pour faire sa cour à Auguste, qui traitait en badinant Mécène d'homme efféminé, avait lancé contre lui ce trait allégorique :

Malthinus tunicis demissis ambulat.

(Sermon. lib. 1, sat. 2, v. 25.)

Scaliger (Poetices lib. 11, c. 98), sans examiner si ce vers regarde en effet

son héros et son génie tutélaire (1). Chez les hommes les plus équitables, la reconnaissance se permet souvent un langage qui, s'il est conforme à la justice particulière, ne l'est pas toujours à la justice publique : mais on le permet ce langage, on l'excuse en faveur du motif, et lorsqu'il ne franchit pas certaines bornes. J'en userai de même : je ne relèverai point quelques traits suspects, quelques louanges forcées, et qui marquent trop d'intervalle entre deux amis; car ils s'en donnaient réciproquement le titre (2). Je ne puis cependant me refuser à cette réflexion: Horace ne loue pas toujours Mécène, il ne flatte pas toujours les grands; mais, qu'on y prenne garde, il est plus près d'eux qu'on ne pense lorsqu'il en parait le plus éloigné.

Ce n'est plus le même homme, quand il célèbre ses

le favori de l'empereur, ce qui est fort douteux, et si, dans ce cas, ce n' n'était point entre l'un et l'autre une plaisanterie de convention, accuse Horace d'ingratitude, de barbarie et d'abjection : Ingratus Horatius, atque animo barbaro atque servili, qui ne a Mæcenate quidem abstinere potuit. On peut soupçonner Horace d'avoir eu le cœur faible et l'esprit malin; mais il est évident que l'ingratitude répugnait essentiellement à son caractère.

(1) Il est certain que Mécène lui voulait beaucoup de bien, puisqu'en mourant il eut soin de le recommander à Auguste: Horatii Flacci, ut mei, esto memor. (SUETON., Vita Horat.)

(2) « Mon cher Horace, disait Mécène, si je ne t'aime pas déjà plus que mes entrailles, puisses-tu me voir plus sec et plus décharné que Ninnus! »

Ni te visceribus meis, Horati,
Plus jam diligo, tuum sodalem
Ninno me videas strigosiorem.

(SUET., Vita Horat.)

Il paraît que ces vers de Mécène sont corrompus. Oudendorp lit : Tu tuum sodalem hinnulo videas strigosiorem. Dans les éditions originales il y à : Titium sodalem mimo tu videas strigosiorem. M. Ernesti pense que sous ce mot Titium est caché le nom d'un poète qu'il est impossible maintenant de connaître, d'un poète dont le mime était sec et décharné. Voici la construction : Me sodalen tuum videas strigosiorem mimo illius.

« Ce

égaux, Varius, Plotius et Virgile. Avec quelle effusion de cœur il se félicite de les avoir rencontrés à Sinuesse! sont, dit-il, les plus belles àmes qui aient jamais existé, et personne ne saurait autant les aimer que je les aime. Quels transports! quels embrassemens! Pour moi, tant que je jouirai de ma raison, je mettrai le plaisir de revoir de pareils amis au rang des plus grands biens (1). » L'amitié ne saurait parler un plus doux langage.

Ce n'est plus le même homme, lorsqu'il développe à ses amis les plus intimes, ou bien à leurs enfans, de tous les arts le plus essentiel, l'art de vivre, c'est-à-dire ce qu'il importe le plus de savoir, et dont l'ignorance est si pernicieuse dans quelque rang que le sort nous ait placés (2). C'est alors que tenant un juste milieu entre l'adulation et l'humeur trop véridique, il reprend le caractère libre et décent de la véritable urbanité. Nous en userons avec vous, dit-il à Celsus, selon que vous userez de votre foriune (3). C'est alors qu'il établit des principes convenables à tous les hommes, et puisés hardiment aux vraies sources de la morale. Que j'aime à lui entendre dire : Mes amis ! hȧtez-vous de régler vos mœurs; ne différez pas; commencez seulement, et vous aurez rempli la moitié de votre tà

(1) Plotius et Varius Sinuessæ, Virgiliusque

Occurrunt, animæ quales neque candidiores
Terra tulit, neque quis me sit devinctior alter.
O qui complexus, et gaudia quanta fuerunt!

Nil ego contulerim jucundo sanus amico....

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che (1). » Il les avertit encore que, s'ils ne savent pas s'occuper, que s'ils n'ont pas l'émulation de saisir quelquefois un bon livre avant le lever du soleil, leurs cœurs, vides et dénués de sentimens honnêtes, seront bientôt en proie aux fureurs de l'envie ou de l'amour (2). Tantôt il enseigne au jeune Lollius l'art de se concilier les hommes d'une manière irréprochable: tout son secret consiste à ne point heurter gratuitement leurs goûts, si l'on veut qu'ils approuvent les nôtres (3); tantôt il tàche d'aguerrir Quinctius contre les séductions du vice mais comment s'y prend-il? De crainte de le rebuter, il commence par intéresser son amourpropre, puis il le flatte lui-même au profit de la vertu :

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Vous êtes un homme de bien, lui dit-il, si vos mœurs répondent à ce qu'on en publie (4). » Enfin, car je citerais la moitié de son livre, un autre est-il sujet à quelque passion fàcheuse, il se garde bien de peser sur son mal : tel qu'un

(1) Dimidium facti, qui cœpit, habet : sapere aude;

Incipe.

(2)

(Epist. lib. 1, ep 2, v. 40.)

Ni

Posces ante diem librum cum lumine, si non

Intendes animum studiis et rebus honestis,

Invidia, vel amore, vigil torquebere.

(Epist. lib. 1, ep. 2, v. 34.)

Cicéron, Sénèque et tous les grands auteurs de l'antiquité ont senti l'excellence de ce précepte pythagorique, et en ont recommandé l'observation. Gallien (Traité de la connaissance et de la cure des maladies de l'ame) lisait matin et soir les vers de Pythagore, et les récitait par cœur. Saint Jérôme a dit : Duorum temporum maxime habendam curam, mane et vespere, id est eorum quæ acturi simus, et eorum quæ gesserimus.

(3) Consentire suis studiis qui crederit te,

Fautor utroque tuum laudabit pollice ludum.

(Epist. lib. 1, ep. 18, v. 65.)

(4) Tu recte vivis, si curas esse, quod audis.

(Epist. lib. 1, ep. 16, v. 17.)

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