Mémoires et journal inédit du marquis d'Argenson: ministre des affaires étrangères sous Louis XV, Volume 2

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Page 331 - ... peine at-elle une contenance à elle. Elle se méprend souvent du rire aux pleurs; elle se réjouit des causes funestes et s'afflige d'événements comiques. Elle est charitable par bigoterie et dévote d'une superstition étrangère, ce qui est plus ridicule qu'édifiant aux yeux des Français. Cependant elle ne manque pas d'esprit; mais la nature lui a refusé la suite dans l'esprit. « Son rang est un drapeau de ralliement, et, depuis que le roi a des maîtresses déclarées, ceux qui crient...
Page 24 - Au moment où j'écris, en pleine paix, avec les apparences d'une récolte, sinon abondante, du moins passable, les hommes meurent tout autour de nous comme des mouches, de pauvreté et broutant l'herbe. Les provinces du Maine, Angoumois, Touraine, Haut-Poitou, Périgord, Orléanais, Berry, sont les plus maltraitées ; cela gagne les environs de Versailles.
Page 27 - Orry vante l'aisance où se trouve le royaume , la régularité des payemens, l'abondance de l'argent dans Paris , et qui assure, selon lui, le crédit royal. Il se complaît dans l'amour que lui portent les financiers; il est vrai que plus il ya de pauvres , plus ces gens-là deviennent riches. Ils sont reçus, accrédités partout, et ne contribuent en rien aux. charges publiques. L'évêque de Chartres a tenu des discours singulièrement hardis au lever du roi et au dîner de la reine. Le roi...
Page 335 - Le Dauphin est d'un extrême embonpoint, ennemi du mouvement et de tous exercices, sans passions, même sans goûts ; tout l'étouffe, rien ne l'anime. Si l'esprit étincelle encore de quelques traits, ce doit être un feu mourant, que la graisse et la dévotion achèveront d'éteindre. Pour avoir du mérite, il faut avoir été ce qu'on doit être dans ses âges. Il aura passé ses beaux jours sans plaisirs et sa jeunesse sans amours.
Page 331 - Il falloit encore à cette politique de cour une femme sans attraits et sans coquetterie, qui ne retînt son mari que par le devoir et le besoin de donner des héritiers à la couronne. La reine ignore l'art de s'attacher des créatures dans sa propre cour. Elle n'est ni haïe ni aimée. Elle attire par quelques attentions ; elle rebute en rendant son amitié trop banale. L'esprit manque au cœur. Elle n'a rien à elle dans ce qu'elle dit et ce qu'elle prétend sentir ; à peine at-elle une contenance...
Page 348 - Chez lui tout se passe en débit; il écoute mal et parle toujours avant de penser. Tout l'exercice de son âme consiste dans celui de l'imagination et de la mémoire ; aussi son esprit paraît-il infatigable. Il est plus brillant le soir que le matin. Il n'a pas besoin d'être remonté par la nourriture ni par le sommeil ; c'est le mouvement qu'il lui faut. Le repos n'est bon qu'à ceux qui méditent. De là aussi nulle justesse, point de jugement, nulle prévoyance dans les affaires. Rien n'est...
Page 20 - M. d'Angervilliers (ministre de la guerre), auquel elle en fit la demande , répondit qu'il ne pouvait rien sans le consentement du cardinal. La Reine s'adressa donc à celuici. Le Cardinal fait des difficultés, prend une mine renfrognée, et finit par éconduire la Reine. Le soir même elle s'en plaint au Roi : « Que ne faites-vous comme moi, » répond sa Majesté 1 je ne demande jamais rien à ces
Page 30 - Il ya longtemps que j'entends débiter cette maxime cruelle, fondée sur ce qu'on croit avoir observé de la fainéantise en quelques terres qui se sont maintenues franches ( ce qui ne provenait que de la facilité de faire la fraude ) , et du travail dans les pays soumis aux plus durs impôts. On ne voit pas que cet aiguillon a déjà dépassé le but , et est devenu scie ou coutelas, et que le labeur est découragé dès que l'augment d'impôt dépasse de beaucoup l'augment de profit par le labeur.
Page 32 - La misère augmente chaque jour dans les provinces, et les recouvrements s'y font avec une rigueur sans exemple. On enlève les habits des pauvres, leurs derniers boisseaux de froment, les loquets des portes, etc. Les receveurs des tailles se signalent; ils multiplient les frais. Chacun sait que, s'il paye bien, il sera augmenté à la taille l'année suivante, et chacun veut n'avoir rien à se reprocher sur ces affaires.
Page 29 - Le même conseiller d'État dont j'ai parlé ci-dessus, et qui vient de faire un séjour de deux mois dans le Perche, où sont situées ses terres , m'a dit n'y avoir vu qu'un tas de coquins qui ne veulent point travailler, et que l'on perd en leur faisant l'aumône. Il a persuadé tout de bon au ministère que c'est une habitude de paresse qui corrompt les mœurs des provinces. C'est ainsi que j'ai entendu accuser de pauvres enfants , sur lesquels opérait un chirurgien , d'avoir la mauvaise habitude...

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