Page images
PDF
EPUB

NOTICE

HISTORIQUE

SUR M. PONS.

La vie d'un homme de lettres paisible et retiré présente peu de ces accidents dramatiques qui répandent tant d'intérêt sur certaines biographies; cependant, s'il est un homme qui mérite qu'on l'honore d'un souvenir, c'est celui qui, sans autre ambition que celle de faire plus de bien et de mieux cultiver son esprit, a consumé sa vie à des devoirs ou à des travaux utiles. Tel a été le savant modeste dont une plume amie a voulu conserver la mémoire, et qu'une mort prématurée a ravi trop tôt aux sciences et aux lettres.

Ange-Thomas-Zénon Pons naquit à Toulon le 5 novembre 1789 de parents recommandables qui, n'ayant qu'un modique héritage à lui laisser, donnèrent tous leurs soins à son éducation. Placé par eux au collège de Tournon, il s'y distingua par

son amour pour l'étude et par une vocation précoce pour les travaux qui appartiennent à la science de l'antiquité. Dès l'âge de quinze ans, de grandes questions historiques préoccupaient son esprit; et à peine sorti du collége, il était un archéologue zélé.

En ce temps-là, comme en d'autres, les saines doctrines de la critique historique étaient le plus souvent méconnues, et un petit nombre de savants en conservaient les bonnes traditions. Les érudits de France semblaient entraînés par un mouvement général sur les pas de quelques hommes dont les systèmes trouvaient beaucoup d'enthousiastes et les études profondes peu d'imitateurs. On avait vu, à des époques différentes, Pelloutier, Dupuis, Pinkerton, Lebrigant, Latourd'Auvergne, Court de Gébelin, Volney lui-même, généralisant avant d'avoir analysé, procéder par synthèse dans la pénible et lente investigation des faits; et séduite par leur imagination quelquefois brillante, la foule de leurs sectateurs. avait remplacé l'histoire par le roman. Exemple dangereux en effet! genre facile et attrayant qui, de nos jours encore, égare tant d'esprits distingués!

Pons, jeté sans guide à l'âge de 17 ans dans la carrière littéraire, céda facilement au goût du jour, et l'archéologie nationale, telle qu'on la faisait alors, obtint ses adorations.

L'académie celtique venait de naître (1); Pons lui adressa, en décembre 1806, deux mémoires qui probablement ont été plus tard supprimés par lui-même. L'académie fut satisfaite de cet hommage et décerna au jeune auteur un diplôme de membre associé correspondant (29 déc. 1806) faveur flat

(1) La première assemblée eut lieu le 9 germinal an XIII. L'académie ne fit imprimer ses mémoires qu'en 1807; elle en suspendit la publication en 1812, époque à laquelle elle commençait à tomber en décadence. Cette collection, de 1807 à 1812, forme seize numéros réunis en 5 vol. in-8°.

teuse qui fut annoncée à Pons par Dulaure, secrétaire de l'académie.

Le nouveau Celte travailla avec ardeur à se rendre digne de la distinction précoce dont il avait été l'objet, et dans le cours de l'année 1807 il envoya deux nouveaux mémoires à l'académie celtique.

Le premier était une dissertation sur le temple antique d'Isarnore, dans le Bugey; mais, dans le travail auquel il s'était livré, Pons n'avait pris ses inspirations que dans les Origines celtiques de Bacon-Tacon (1), auteur aujourd'hui à bon droit oublié, mais qui avait obtenu une certaine Vogue vers le commencement du siècle. Si Pelloutier avait vu des Celtes dans toutes les nations de l'ancien monde, si Pinkerton des Scythes, si Latour-d'Auvergne des Bas-Bretons, BaconTacon, plus piquant et plus nouveau, avait trouvé le berceau de toute la vieille race gauloise dans les montagnes du Bugey (2); il avait appliqué au delta formé par la Saône et le Rhône ce que Polybe rapporte du delta formé par l'Isère et le Rhône (3); et sur la seule autorité de quelques étymologies aventurées, il avait attribué les ruines romaines d'Isarnore à un temple celtique d'Isis, négligeant complétement d'ailleurs

(1) Paris 1798, 2 vol. in 8°.

(2) On ne saurait assez admirer l'assurance avec laquelle certains érudits de cette époque concluaient par analogie, des formes vagues et incertaines de quelques dialectes populaires modernes, aux formes positives de quelques langues anciennes parlées à 2000 ans de distance. On invoquait avec la bonne foi la plus naïve l'autorité d'un écrivain du jour, pour fixer l'histoire des temps ante-historiques de la Gaule. (Voy. comme specimen un mémoire de M. Mangourit dans le premier vol. des Mémoires de l'académie celtique.)

-

(3) Polybe, 111. 49, et ib. Schweighaeuser (tom. I pag. 495, et tom. v pag. 595); - Amédée Thierry, Hist. des Gaulois, 1828, 1, pag. 275; le rédacteur du 8e vol. du Précis de géographie de Malte - Brun (prem. édit.) n'a pas été plus exact en ce point que Bacon-Tacon.

et paraissant ignorer les seuls monuments que la critique historique nous fournit sur ces ruines curieuses (1).

Le deuxième mémoire avait pour objet d'expliquer le mythe de Deucalion et Pyrrha au moyen de la langue des Celtes et des Pélasges.

Pons ne tarda pas à s'apercevoir qu'il s'était fourvoyé et à rectifier sa marche; nous en voyons la preuve dans un court

(1) Ces monuments sont 1° La vie anonyme de saint Eugend, recueillie en entier par D. Mabillon dans les Acta SS. ord. sancti Benedicti (tom. I, pag. 570 et seq.), et par les Bollandistes (Januar., pag. 50 et seq.), et dont l'extrait concernant Isarnore se trouve dans les Scriptores rerum francicarum des Bénédictins (tom. 111, pag. 396). — Sur l'authenticité de cette légende, voy. l'Hist. litt. de la fr. des Bénédictins, tom. 111, pag. 73 et suiv., et Tillemont, Mémoires, tom. XVI, pag. 143 et suiv.; - voy. aussi dom Martin, Relig. des Gaulois, 1, pag. 374 et suiv. et 452 (1727), et Hist. des Gaulois du même, 11, pag. 270. 2. Une inscription rapportée par D. Martin, et qui prouve que ce temple était dédié à Mercure que l'on sait avoir été l'objet d'un grand culte dans la Gaule (César, De bell. gall., VI, 17, Oudendorp); mais je liens pour suspecte cette inscription qui n'a d'autre certificateur que Guichenon (Hist. de Bresse, Ire part., pag. 7), et qui n'est rapportée ni par Spon, ni par Gruter, ni même par M. Orelli qui a réuni tant d'inscriptions de cette contrée.

Il ne resterait donc que le moine de Condat et sa légende pour attester l'origine des ruines d'Isarnore, et la signification de ce nom pompeux (porte de fer ); mais ce témoignage est muet sur le dieu en l'honneur duquel le temple était bâti. Quelques antiquaires penchent pour Mars (voy. Bul. des scien. de Ferussac, Antiquités, 1828, pag. 375); mais les découvertes faites sur les lieux et le voisinage du Jura me feraient croire que ce dieu était Jupiter ou le dieu Penninus ( voy. Orelli, Corpus inscrip., I, pag. 103 et suiv.). Quelques auteurs modernes ont rapporté cette construction aux Ostrogoths (voy. Statistique de l'Ain, par M. Bossi, Paris 1808, in-4°; et la Notice statistique de M. Puvis, Bourg 1829, in-8'); c'est, je crois, une erreur. Du reste, on sait que, chez les anciens, Isis et Mercure ou leurs analogues étaient adorés comme les grands civilisateurs, et qu'ils étaient l'objet d'un grand culte, même auprès des nations septentrionales de l'Europe (voy. Vossius, Theologia gentilis, lib. 1, 11 et 111, passim).

mémoire rédigé en 1808, et qui annonce plus de vrai savoir et de critique : l'objet est d'éclaircir l'origine et la signification des mots barde et barditus (1). L'auteur n'a pris pour guide que son bon esprit, et malgré l'influence de la direction de ses travaux, il a marché d'un pas plus assuré (1).

Le progrès est encore plus remarquable dans la Notice sur Belatucadrus, divinité des anciens Bretons, qui fut insérée dans le tome 111 des mémoires de l'académie celtique (3): la substance de ce travail est prise dans les sources de la saine érudition. L'auteur a fixé sa doctrine sur l'autorité des monuments et sur les témoignages de l'antiquité; et il nous a paru que les guides qu'il avait choisis pour l'éclairer étaient Vossius (4), Selden (5) et Mongez (6), qui lui-même n'avait donné qu'une analyse incomplète de Vossius et de Selden, ces deux grands docteurs de la science des religions de l'antiquité. Le but du mémoire de Pons est de prouver que le dieu Mars, chez les Celtes, était souvent confondu avec le soleil, et que la divinité adorée sous le nom de Belatucadrus était en même temps l'astre du jour et le dieu des combats. Cette idée vraie eût reçu un développement plus important si l'auteur avait pu profiter de la théorie de Creuzer sur le culte de Baal ou Belus (7), théorie qui du reste est déjà indiquée par Selden (8). La conclusion du mémoire est une conjecture

(1) Voy. Thierry, Hist. des Gaulois. 1828, 11, pag. 101, note. (2) En cette même année (31 mars 1808), Pons avait été encouragé par une autre distinction; il avait été admis au nombre des membres associés de l'académie de Marseille.

(3) Pag. 169-174.

(4) Loc. cit., lib. 11, cap. 17.

(5) De diis syriis, syntagma 11, cap. I.

(6) Dict. d'antiquités dans l'Encyclop. méthod., v Belatucadrus. (7) Relig. de l'antiquité, trad. par Guigniaut, II, Ire part., pag. 19. (8) Nous remarquerons en passant que, par une erreur qui n'appartient qu'au prote, Pons semble attribuer à Hérodote un texte qui ap

« PreviousContinue »